Page images
PDF
EPUB

Sept ans après, l'Empire s'écroulait. A toutes les splendeurs succédèrent, pour la famille de l'empereur, les rigueurs de l'exil et de la proscription.

La reine Hortense se retira à Augsbourg. C'est là que Louis-Napoléon passa ses premières années d'exil. Sa mère, dont le souvenir est encore béni en France, présida elle-même à l'éducation de ce fils bien-aimé, et ne négligea rien pour le rendre digne du grand nom qu'il porte et des hautes destinées auxquelles il devait être appelé un jour.

Forcée de quitter la Bavière, la reine Hortense vint avec son fils chercher un asile en Suisse et s'établir en Thurgovie sur les bords du lac de Constance.

Ardent à s'instruire, Louis-Napoléon voulut connaître la Suisse. Ce pays, si intéressant à tant de titres, il l'étudia en digne élève des grands naturalistes, en observateur judicieux des belles manœuvres de Masséna, de Lecourbe et de Molitor, en admirateur patriote des gloires de Zurich, de Muthental et de Kloenthal, honneur éternel de la France; il se pénétra de tout ce que la constitution et les mœurs républicaines de la Suisse ont valu d'indépendance et de bonheur à cette digne et forte nation.

Pour connaître autrement que par la théorie ce que c'est qu'une armée, il entra au camp de Thoune; il y conquit ses grades en même temps que l'estime et l'affection de tous les officiers parmi lesquels il compta pour maître d'abord, et ensuite pour ami, le colonel Dufour, le même qui s'est illustré comme généralissime de la confédération suisse dans la guerre contre le Sonderbund,

Enfin il couronna cette vie active et studieuse par la publication de deux ouvrages remarquables: Considérations politiques et militaires sur la Suisse et un Manuel de l'artillerie, qui, l'un et l'autre, valurent au jeune auteur l'intérêt et les suffrages de tous les hommes éclairés qui les lurent en Suisse, en France, en Europe.

Louis-Napoléon avait alors vingt-deux ans; son éducation militaire, scientifique et littéraire était terminée. Vigoureux, intrépide, adroit à tous les exercices du corps en même temps qu'habile publiciste et facile écrivain, il cachait, sous un extérieur calme et impassible, résultat d'études sérieuses et de longues méditations, un cœur chaud et généreux, un esprit enthousiaste.

La révolution de 1830 éclata. Louis-Napoléon en apprit la nouvelle avec bonheur. Il espérait que le principe qui venait de triompher aux barricades de juillet allait inaugurer pour la France une ère de liberté et de grandeur, et ouvrir à la famille de l'empereur les portes de cette patrie si ardemment aimée.

Ses espérances furent tristement déçues. Cette révolution, qui, pour mieux réussir, s'était d'abord annoncée comme la meilleure des Républiques, ne fut qu'un changement de dynastie; la branche cadette des Bourbons se mit à la place de la branche aînée, et le peuple se trouva, cette fois encore, avoir vaincu pour une autre cause que celle de la patrie. L'ostracisme continua donc pour la famille Napoléon.

Cependant la révolution de Juillet avait ébranlé l'Europe. La Belgique se souleva la première, puis une partie de l'Italie, enfin la Pologne. La Pologne, qui aurait triomphé si elle n'eut été trahie par le gouverne

ment que le 24 février vient de renverser, la Pologne, après avoir versé des flots de sang moscovite, et le plus pur de son propre sang, tomba le fusil à la main en s'é- 1 criant « Le ciel est trop haut, et la France est trop loin! >>

Le gouvernement qui pesait alors sur la France, ce gouvernement, courbé vers Pétersbourg, eut l'égoïste audace d'apprendre à la France indignée le désastre de la Pologne, par ces paroles, déshonneur éternel du ministre qui consentit à les prononcer :

« L'ordre règne à Varsovie! >>

Au moment où la Pologne se souleva, Louis-Napoléon combattait déjà avec les Italiens pour l'indépendance et la liberté de leur patrie. Il était sur le point d'enlever la forteresse de Civita-Castellana, lorsque le gouvernement italien lui donna l'ordre de suspendre l'attaque. Louis-Napoléon se rendit alors à Bologne, que les Autrichiens menaçaient. Il fit des dispositions pour la dé- · fense de cette ville, et livra aux troupes ennemies plusieurs combats d'avant-postes où il fit preuve du plus brillant courage, notamment à Forli, où, à la tête de quelques cavaliers, il exécuta plusieurs charges audacieuses contre des forces considérables, dernière et héroïque protestation de la liberté italienne contre le despotisme autrichien.

La cause de l'Italie, cette cause si noble désertée par la royauté de juillet, était perdue; et les vengeances de la cour de Vienne et de celle de Rome poursuivirent Louis-Napoléon. Mais un coup plus terrible pour lui que ses dangers personnels le frappa dans ses affections les plus chères.

Son frère aîné, Napoléon-Louis, qui avait combattu à ses côtés, mourut dans ses bras des fatigues de la guerre. Lui-même tomba malade à Ancône, où sa mère ne parvint à le sauver des poursuites de la police autrichienne que par un véritable prodige d'audace et d'adresse.

Dès les premiers moments de sa convalescence, sa mère répandit le bruit qu'il était passé en Grèce, et, lui faisant traverser rapidement l'Italie, elle le conduisit à Paris au moyen d'un déguisement et d'un passeport an glais. Louis-Napoléon adressa à Louis-Philippe une lettre où il réclamait le droit de citoyen français et l'hospitalité de la patrie.

Malgré les prières et les démarches de la reine Hortense, qui redoutait les suites d'un voyage pour la santé profondément altérée de son fils, l'ordre fut donné à l'illustre proscrit de quitter la France immédiatement. Il se rendit à Londres; de là il revint en Suisse (août 1831). La lutte des Polonais contre la Russie n'était pas encore terminée. Ils lui envoyèrent une députation pour l'engager à se mettre à leur tête. Voici un passage de la dépêche du gouvernement polonais à Louis-Napoléon :

« A qui la direction de notre entreprise pourrait-elle mieux être confiée qu'au neveu du plus grand capitaine de tous les siècles? Un jeune Bonaparte apparaissant sur nos plages, le drapeau tricolore à la main, produirait un effet moral dont les suites sont incalculables. Venez donc, espoir de notre patrie, porter à des populations qui reconnaîtront votre nom la fortune de César, et, ce qui vaut mieux, la liberté ! Vous aurez la reconnaissance de vos frères d'armes et l'admiration de l'univers. >>

La Pologne était foudroyée avant que celui qu'elle appelait à son secours pût arriver jusqu'à elle! LouisNapoléon, l'âme navrée de douleur, se replongea dans l'étude. Cependant, de sa retraite d'Arenenberg il suivait avec attention la marche des événements, et, dès qu'il eut la certitude que la France ne considérait plus comme national le gouvernement de Louis-Philippe, il résolut de l'en délivrer (1).

(1) Le prince Louis, depuis 1832, songeait à revendiquer l'héritage de l'empereur que la mort du duc de Reichstadt lui avait acquis. Il suivait attentivement la marche de l'opinion publique en France et cherchait, par ses correspondances et par ses écrits, à raviver la foi napoléonienne dans les cœurs de ses compatriotes.- Il entra en relations avec un grand nombre d'officiers généraux de l'Empire, avec les hommes d'Etat les plus célèbres, avec les publicistes les plus distingués. Le premier, peut-être, il avait compris qu'un pouvoir issu illégalement d'une révolution où le pays n'avait pas été consulté, et dont toute la puissance avait pour base les intérêts privés de la bourgeoisie, il avait compris, disons-nous, que ce pouvoir tomberait forcément un jour devant l'opinion publique outragée. La révolution de Février, qu'on a surnommée la révolution du mépris, a donné raison à ses prévisions.

En 1833, il eut avec Lafayette de longues conférences. Le héros des Deux-Mondes, si cruellement mystifié dans celui-ci par la dynastie de Juillet, prêta, dit-on, une oreille attentive aux projets du prince Napoléon; et, faisant amende honorable de sa conduite en 1815, il s'engagea à prêter le concours de son nom à une restauration napoléonienne qui aurait pour principe la sanction populaire.

Armand Carrel eut aussi des relations avec le prince, et ne fut pas éloigné d'adopter ses idées. Il s'exprimait ainsi sur son compte: « Les ouvrages politiques et militaires de Louis-Nepoléon Bonaparte « annoncent une forte tête et un noble caractère. Le nom qu'il

« PreviousContinue »