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Comme on le voit, c'était une révolution radicale qui s'accomplissait.

A une Constitution diffuse, incomplète, dangereuse, allait succéder une Constitution simple, précise et facilement appréciable.

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A un pouvoir exécutif contestable et contesté, impuissant à faire le bien et d'une durée éphémère, allait succéder un pouvoir vigoureusement constitué, d'une durée suffisante pour rassurer tous les intérêts et établi sur une base démocratique inébranlable.

A une assemblée orageuse, pleine de passions politiques diverses et d'ambitions exagérées, allaient succéder deux assemblées sérieuses, s'occupant des intérêts de l'Etat et non de ces mesquines questions de partis qui n'avaient pour mobiles, le plus souvent, que les haines de parti, pour but que la conquête d'un portefeuille.

Le suffrage universel, altéré par le scrutin de liste, restreint et mutilé par la loi du 31 mai, était rétabli dans son entière acception par le vote direct.

La France, appelée à se prononcer librement et sur la révolution du 2 décembre et sur la forme nouvelle que voulait lui donner Louis-Napoléon, la France pourrait infirmer ou confirmer les actes du pouvoir exécutif. C'était nouveau, c'était grandiose, c'était national; la France y applaudit chaleureusement.

A dix heures, le Président de la République montait à cheval, ayant à sa droite le maréchal Jérôme, son oncle, le ministre de la guerre et un grand nombre d'officiers généraux en activité, en disponibilité ou en retraite, qui, dès le matin, s'étaient rendus avec empressement à l'Elysée, et se rendait sur la place de la

Concorde, occupée par les troupes. Il voulait juger par lui-même de l'effet produit sur l'esprit de la population et sur celui de l'armée par l'acte qui s'accomplissait. Il fut reçu partout avec des cris d'enthousiasme. Ses prévisions ne l'avaient point trompé, et les augures étaient favorables. L'ovation qu'il recevait en ce moment n'était que le prélude de cette ovation unanime de la France, qui se traduisit par 7,500,000 suffrages.

Arrivé sur la place de la Concorde, et après avoir passé devant le front des troupes, qui, malgré la discipline, rompaient les rangs pour se porter à sa rencontre, le Président entra dans le jardin des Tuileries par la grille qui fait face à la place. Il y eut alors dans la foule un mouvement d'enthousiasme impossible à décrire. Le bruit se répandit aussitôt qu'il allait prendre possession du palais des Tuileries, si longtemps inhabité. Plusieurs vieux soldats de l'empire et quelques amis dévoués se jetèrent dans les bras les uns des autres en versant des larmes et en poussant les cris de vive Napoléon! vive l'empereur!

Le prince ne fit que traverser le jardin et le palais des Tuileries. Il déboucha sur la place du Carrousel par cet arc-de-triomphe, souvenir glorieux de l'empire (1); il passa en revue les deux régiments qui s'y trouvaient rangés en bataille. De là il se rendit aux

(1) Cet arc-de-triomphe était surmonté autrefois par le groupe lèbre des chevaux de Venise, ravi à Constantinople par le doge Dandolo, et que Bonaparte, général en chef de l'armée d'Italie, avait ait transporter à Paris. Ce groupe nous fut enlevé en 1814, et le char qui surmonte aujourd'hui l'arc-de-triomphe n'est qu'une copie de cette œuvre historique.

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Invalides, et trouva partout la même sympathie enthousiaste.

Pendant ce temps, les représentants du peuple appartenant aux diverses nuances avancées s'agitaient, allaient, venaient, et cherchaient à se réunir pour prőtester contre la dissolution de l'Assemblée.

Une trentaine de représentants étaient parvenus dés le matin à se glisser dans le palais législatif par la porte d'entrée qui fait face à la rue de Lille, et qu'on avait négligé de garder suffisamment.

Le chef de bataillon Belcourt, du 42° de ligne, reçut l'ordre de les disperser aussitôt. Les représentants voulurent protester; ils envoyèrent chercher M. le président Dupin, qui jusque-là s'était tenu dans une réserve très-prudente, et qui se contenta de leur dire : « Messieurs et chers collègues, nous avons évidemment pour nous le droit que nous donne la Constitution, mais ces messieurs, en montrant les soldats, ont pour'eux la force, et, comme ils paraissent décidés à nous expulser, je vous conseille de faire comme moi, de vous retirer. » Après ces paroles, il sortit, et les représentants imiterent son exemple.

Comme on le voit, le patriotisme de M. Dupin n'allait pas jusqu'aux souvenirs héroïques de l'antiquité :

Le temps n'est plus des trépas glorieux.....

D'autres représentants du peuple avaient cherché à s'assembler au siége de la réunion conservatrice de la rue de l'Université, sous la présidence de M. Daru. La police veillait; ils furent forcés de se disperser aussitôt que réunis, Il en fut de même de ceux qui s'étaient as

semblés chez Lemardelay et à la salle Martel. Mais une réunion plus importante avait eu lieu à la mairie du 10° arrondissement. Le premier moment de stupeur et d'agitation passé, les chefs de la majorité avaient organisé une espèce de convention semblable, à peu de chose près, à celle du Conservatoire des Arts-et-Métiers. Au moyen de lettres de convocation trouvées à la questure, on était parvenu à réunir là près de 250 membres de l'Assemblée législative, légitimistes, orléanistes et républicains.

Un bureau fut nommé, et la séance fut ouverte; ce bureau se composait de MM. Benoist-d'Azy, président, Vitet, vice-président, Chapot, Moulin et Grimault, secrétaires. En vain ces représentants du droit constitutionnel cherchèrent-ils à donner à cette séance la gravité la plus solennelle, la terreur, le découragement, qui s'étaient emparés de l'esprit du plus grand nombre, la confusion qui régnait dans les délibérations, finirent par la faire tourner au ridicule et à l'absurde.

La première décision prise par cette assemblée fut la déclaration suivante : « L'Assemblée nationale décrète que Louis-Napoléon Bonaparte est déchu de la présidence de la République, et qu'en conséquence le pouvoir-exécutif passe de plein droit à l'Assemblée nationale. » Par suite de cette décision, deux représentants furent envoyés au ministre de l'intérieur, M. de Morny, pour le sommer de rentrer dans la légalité et de rendre à l'Assemblée ses pouvoirs illégalement usurpés. M. de Morny reçut les deux mandataires, mais il leur déclara avec une fermeté de langage qui ne laissait aucun doute sur ses intentions, que non seulement le gou

vernement ne reviendrait pas sur ce qu'il avait fait, et qu'à son tour il les sommait de se disperser sous peine d'y être contraints par la force.

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La seconde décision fut un ordre à la haute Cour de justice de se constituer d'office et de prononcer la mise en accusation du Président de la République.

La troisième fut la nomination du général Oudinot au commandement en chef de l'armée de Paris et de la garde nationale.

Enfin, l'Assemblée se déclara en permanence. Ces diverses délibérations donnent lieu à des scènes de confusion comme on en trouve quelques-unes dans les souvenirs des deux défuntes Assemblées, la Constituante et la Législative....

Entrons maintenant dans quelques détails qui feront mieux connaître et apprécier et la scène et les acteurs.

M. Berryer demande que l'Assemblée se regarde comme régulièrement constituée, et qu'elle décrète la déchéance du Président de la République.

M. Vitet requiert la 10° légion pour défendre le lieu des séances de l'Assemblée. M. Berryer cherche, mais en vain, à rétablir le silence sans cesse interrompu au milieu de ces motions qui se croisent en tous sens. M. Odilon Barrot entre au milieu de ce tumulte, et va apposer gravement sa signature sur le décret de déchéance déposé sur le bureau des secrétaires.

Bientôt on annonce que le maire a donné des ordres pour empêcher les représentants qui sont au-dehors de pénétrer dans l'enceinte. Un membre s'écrie: « Dépêchez-vous de prendre une décision, la troupe va arriver dans quelques instants. >>

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