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Après avoir longuement préparé tous ses moyens d'exécution et habilement choisi les hommes et le lieu qui lui répondaient du succès, il parut tout à coup à Strasbourg, et un moment il en fut maître. Ce hardi coup de main n'échoua que par une de ces fatalités qui, trop souvent, confondent les prévisions les plus sages.

La surprise et la terreur des gouvernants d'alors furent au comble. Après avoir essayé en vain d'arracher à l'homme qui venait de les mettre à deux doigts de leur perte la promesse qu'à l'avenir il ne leur serait plus hostile, ils se hâtèrent de l'expulser au-delà des mers. Mais la France protesta en faveur de Louis-Napoléon.Le jury réuni pour juger ceux qu'on appelait ses complices les renvoya tous absous. Jamais le gouvernement de Juillet n'avait couru un tel danger. Aussi quand Louis-Napoléon revint en Suisse, quelques mois après, pour y recueillir les derniers soupirs de sa mère bienaimée, le gouvernement français donna l'ordre au duc de Montebello, alors ambassadeur dans ce pays, d'obtenir à tout prix son expulsion du territoire helvétique.

« porte est le plus grand des temps modernes. C'est le seul qui « puisse exciter fortement les sympathies du peuple français. Si ce « jeune homme sait comprendre les intérêts nouveaux de la << France; s'il sait oublier les droits de légitimité impériale pour « ne se souvenir que de la souveraineté du peuple, il peut être ap« pelé un jour à jouer un grand rôle.

La prédiction de Carrel s'est réalisée. Louis-Napoléon Bonaparte s'est retrempé deux fois dans l'élection populaire, et deux fois il a été élevé sur le pavois de l'autorité souveraine par l'acclamation unanime de la France,

Le duc de Montebello, le fils de Lannes, de l'ami de l'empereur, ne recula pas devant cette mission; il n'en eut que la honte. Le gouvernement suisse était pénétré d'estime pour Louis-Napoléon; et en même temps la confédération tout entière, animée de la plus vive sympathie pour le neveu de son grand médiateur, se sentit profondément froissée qu'on osât attenter à l'hospitalité qu'elle lui avait accordée et dont il s'était montré si digue. Le duc de Montebello fut refusé.

Louis-Napoléon, à la pensée des dangers qu'il pouvait attirer sur la Suisse, se sacrifia généreusement. Il quitta cette terre de liberté et se rendit à Londres, où il reprit ses travaux sur la politique et l'art militaire.

Les événements de 1840, qui amenèrent la coalition malheureuse à la suite de laquelle la France fut mise hors du concert européen, réveillèrent encore une fois dans l'esprit du neveu de l'empereur la pensée de délivrer sa patrie du joug d'un gouvernement qui subissait ainsi les volontés et les outrages des puissances étrangères. Les correspondances que n'avaient jamais cessé d'entretenir avec lui des hommes éminents de tous les partis, achevèrent de le décider.

Son but, ainsi qu'il le déclara lui-même hautement à la Cour des Pairs, était de servir de point de ralliement à tout ce qu'il y avait de généreux et de national dans tous les partis, et de rendre à la France sa dignité sans la guerre, sa liberté sans la licence, sa stabilité sans le despotisme.

L'expédition de Boulogne eut lieu.

On connaît les détails de cette entreprise, qui échoua, elle aussi, par des circonstances qu'il serait trop long

d'énumérer, bien qu'elle fût conduite avec autant d'ha bileté que de résolution, et dont l'insuccès fut ennobli du moins par des actes de courage et de dévouement que n'ont pu s'empêcher d'admirer ceux-là même qui ont le plus cherché à la dénigrer."

Louis-Napoléon fut traduit dévant la Chambre des Pairs, constituée en Cour de justice.

Les débats de ce procès s'ouvrirent le 28 septembre 1840. Nous reproduisons, d'après le Moniteur, quelques passages du discours que prononça Louis-Napoléon !

Pour la première fois de ma vie, dit-il, il m'est enfin permis d'élever la voix en France et de parler librement à des Français!

Malgré les gardes qui m'entourent, malgré les accusations que je viens d'entendre, plein des souvenirs de ma première enfance, en me trouvant dans ces murs, au milieu de vous que je connais, Messieurs, je ne saurais croire que j'aie ici à me justifier, ni que vous puissiez être mes juges. Mais, puisqu'une occasion solennelle m'est offerte d'expliquer à la France ma conduite, mes intentions, mes projets, ce que je pense, ce que je veux, je ne laisserai point échapper cette occasion.

Gardez-vous de croire que, me laissant aller aux mouvements d'une ambition personnelle, j'aie voulu tenter en France, malgré le pays, une restauration impériale. J'ai été formé par de plus hautes leçons et j'ai vécu sous de plus nobles exemples.

Je suis né d'un père qui descendit du trône sans regret le jour où il ne jugea plus possible de concilier avec les intérêts de la France les intérêts du peuple qu'il avait été appelé à gouverner.

L'empereur, mon oncle, aima mieux abdiquer l'Empire que d'accepter, par des traités, les frontières restreintes qui devaient exposer la France à subir les dédains et les menaces que l'étranger se permet aujourd'hui. Je n'ai pas un seul jour laissé dans l'oubli de tels caseignements. La proscription a été impuissante à irriter

comme à fatiguer mon cœur; elle n'a pu me rendre étranger à la dignité, à la gloire, aux droits, aux intérêts de la France!

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Quant à mon entreprise, seul j'ai tout résolu! personne n'a connu à l'avance l'ensemble de mes projets et de mes ressources. Si je suis coupable envers quelqu'un, c'est envers mes amis seuls. Mais qu'ils ne m'accusent pas d'avoir légèrement abusé de leur courage et de leur dévouement. Ils comprendront les motifs d'honneur et de prudence qui ne me permettent pas de révéler à eux-mêmes combien étaient étendues et puissantes mes raisons d'espérer un succès.

Interrogé par le président, Louis-Napoléon répondit à toutes les questions avec une convenance, une dignité, une abnégation personnelle qui lui valurent dans le public, et même parmi ses juges, des sympathies qui n'ont fait que s'accroître et dont il recueille aujourd'hui le fruit.

Mais Louis-Napoléon était alors un vaincu entre les mains d'un vainqueur qu'il avait fait trembler et qui ne voulait plus avoir à le craindre. Il fut condamné à être enfermé à perpétuité dans une citadelle de l'Etat.

Le fort de Ham fut choisi. Louis-Napoléon passa près de six ans dans cette prison, et, durant ces six années, aucune plainte ne sortit de sa bouche, aucun acte de faiblesse n'échappa à son cœur.

Il lui eût été facile cependant de recouvrer sa liberté : il lui eût suffi de s'engager à ne rien entreprendre contre le gouvernement de Louis-Philippe. Un tel engagement eût paru à Louis-Napoléon une forfaiture envers la nation; il déclara qu'il ne le prendrait jamais.

Revenu de toutes les illusions de la jeunesse, écrivait-il à un ami, je trouve dans l'air natal, dans mes études, dans mes travaux,

dans le calme de ma prison, un charme indéfinissable, que ne m'avaient jamais causé les plaisirs et la liberté quand j'en jouissais sur la terre étrangère.

Dans une autre lettre, à une dame anglaise, publiée récemment, il disait :

Milady,

Je reçois seulement aujourd'hui votre lettre du 1er janvier, parce que étant en anglais il a fallu qu'elle soit envoyée au ministère, à Paris, afin qu'elle y fût lue.

Je suis bien sensible à votre bon souvenir, et c'est avec douleur que je pense que jamais auparavant vos lettres ne m'étaient parvenues. Je n'ai reçu de Gon-House qu'une lettre du comte d'Orsay, auquel je me suis empressé de répondre lorsque j'étais à la Conciergerie; je regrette vivement que ma lettre ait été interceptée, car je lui témoignais toute ma reconnaissance de l'intérêt qu'il prenait à mes malheurs. Je ne vous ferai pas le récit de tout ce que j'ai souffert. Votre âme poétique et votre noble cœur ont deviné tout ce qu'a de cruel une position où la défense a des limites infranchissables et la justification des réserves obligées. Dans ce cas, la seule consolation contre toutes les calomnies et contre les rigueurs du sort, c'est de sentir dans le fond de son cœur une voix qui vous absout; c'est de recevoir des témoignages de sympathie de la part de ces natures exceptionnelles qui, comme vous, madame, se séparent de la foule par l'élévation de leurs sentiments, par l'indépendance de leur caractère, et ne font pas dépendre leurs affections et leur jugement des caprices de la fortune et de la fatalité du sort.

Je suis depuis trois mois au fort de Ham avec le général Montholon et le docteur Conneau; mais toute communication avec l'extérieur m'est défendue: personne encore n'a pu obtenir de venir me voir. Je vous enverrai un de ces jours la vue de la citadelle, que j'ai faite d'après une petite lithographie, car vous pensez bien que je ne connais pas le fort vu de dehors.

Ma pensée se reporte souvent sur les lieux que vous habitez, et je me rappelle avec plaisir les moments que j'ai passés dans votre

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