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l'Hérault, de l'Yonne, de la Drôme, du Lot-et-Garonne, du Var et des Basses-Alpes.

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Le cadre que nous nous sommes tracé ne nous permet pas d'entrer dans le détail de ces événements. Nous nous bornerons à dire que le désordre fut partout réprimé avec la plus vigoureuse énergie, et que partout aussi les esprits se sont rassurés, et enfin que les populations reconnaissantes ont témoigné leur sympathie pour Louis-Napoléon par ce vote imposant de 7,500,000 suffrages.

Nous croyons devoir terminer cette histoire de LouisNapoléon par quelques détails peu connus sur son caractère et sur sa vie intérieure.

On a beaucoup écrit sur le prince depuis son retour en France; on a tracé de lui plusieurs portraits qui tous manquent de ressemblance. Tantôt on l'a comparé à Guillaume-le-Taciturne, tantôt à je ne sais quel Werther historique doublé d'Auguste et de Titus, et, à grand renfort d'antithèse, on en a fait une image impassible et froide comme la fatalité, où ne se reflète aucune pensée; une figure inerte et insensible, où ne se révèle aucune sensation, mais qui n'est que le masque d'une vie intérieure ardente et puissante, qui n'est que l'enveloppe apparente d'une pensée vaste et profonde (1).

Louis-Napoléon n'est ni Guillaume-le-Taciturne ni Werther. Sa figure n'est ni insensible ni inerte, et sa pensée ne se cache point sous un masque impassible. Sa physionomie est, au contraire, empreinte de bienveillance et de finesse, et la bonté de son âme se révèle

(1) La Guéronnière, Portrait de Louis-Napoléon.

aisément dans son regard, et dans son sourire. Tous ceux qui l'approchent sont frappés de l'expression de douceur et de bonhomie de ses traits, de la simplicité noble et digne de sa personne. Ceux qui le connaissent mieux savent combien son cœur est généreux, son âme aimante et sympathique. Dans le cours de sa vie, si diverse, si accidentée, si féconde en événements, dans la bonne comme dans la mauvaise fortune, dans l'exil comme au pouvoir, Louis-Napoléon s'est toujours créé des affections sérieuses et dévouées. Il est peu de personnes en rapport avec lui qui n'aient cédé à l'attrait irrésistible de cette nature d'élite.

L'impassibilité qu'il montre dans les grandes circonstances de la vie n'est que le résultat de sérieuses études et de longues méditations. Ce calme est celui des âmes fortes (1).

L'étude, l'exil, la captivité ont modifié à ce point sa nature généreuse, qu'aujourd'hui Louis-Napoléon est entièrement maître de lui; mais, encore une fois, ce serait une erreur de croire que la nature morale en lui est contenue par la nature physique. C'est au contraire la volonté et la force d'âme qui, chez lui, commandent aux sens. S'agiter n'est pas avancer, a-t-il coutume de dire. Ce mot est profondément vrai, en politique surtout. Sa parole, sobre et précise, est la conséquence du système de conduite qu'il s'est imposé, et qui, dans les

(1) Après Marengo, David, chargé de représenter Bonaparte au passage du Saint-Bernard, lui demanda comment il voulait être peint.

consul,

Calme sur un cheval fougueux, répondit le premier

circonstances graves et difficiles où il s'est trouvé lui a si bien réussi Nul n'apprécie vite et mieux les hommes et les choses, et le premier jugement qu'il porte est généralement juste. Il revient rarement de sa première impression, car il sait qu'elle est presque toujours bonne.

Observateur perspicace, il voit d'un coup d'œil rapide tout ce qui se passe autour de lui, sans rien laisser paraître des impressions qu'il en reçoit. Le souvenir de ces impressions, le jugement qu'il porte sur les hommes, se classent dans sa mémoire et lui reviennent toujours en temps opportun. On est souvent surpris de le voir se rappeler des faits accomplis depuis longtemps et de désigner pour des postes importants des hommes auxquels personne n'avait songé et dont lui seul avait deviné les dispositions applicables. C'était le système de l'empereur, et on sait quels heureux résultats il en obtenait.

Du reste, il a été si souvent à même de juger les hommes et de les connaître dans le concours inusité d'ambitieux, d'intrigues politiques, d'importants et d'importuns de toute espèce qui se sont pressés autour de tui dès les premiers jours de sa grandeur, qu'il a dû se ressouvenir plus d'une fois de ces vers d'un poète célèbre :

Que du faîte où nous sommes,

Le spectacle qu'on a, nous dégoûte des hommes.

On a vu avec quel heureux à propos et quel discernement il choisit les hommes appelés à concourir aux événements du 2 décembre.

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Comme l'empereur, il croit à sa destinée, et il aime les gens qui ont foi en la leur. En effet, dans la vie politique comme dans les combats, il faut être heureux pour réussir (1)."

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Cette confiance constante dans son étoile, qui ne l'a jamais abandonné, même dans les positions les plus critiques, explique et justifie tous les actes de sa vie; elle puise sa force dans la foi religieuse. Louis-Napoléon est croyant dans toute l'acception du mot. Dans les grands événements politiques qui se sont accomplis depuis trois ans, il n'a jamais manqué d'invoquer l'assistance de la religion. Dans presque tous ses discours on retrouve le nom de Dieu. Dans les divers voyages qu'il a faits en France, son premier soin a toujours été, en entrant dans une ville, d'aller demander les bénédictions du Ciel dans l'église métropolitaine. Ce n'était point, ainsi qu'on l'a souvent répété à cette époque, dans une pensée politique, c'était dans une pensée purement religieuse.

Ce qui fait ma force à moi, disait-il un jour à un général qui a longtemps fait partie de ses conseils ministériels, c'est que j'ai la foi religieuse qui vous manque!

Louis-Napoléon se lève habituellement à sept heures. en été, à huit heures en hiver. Son premier soin est de lire les lettres importantes, qui lui sont remises par son valet de chambre Thélin, et qui, toutes, portent un timbre ou un chiffre convenu d'avance avec les per

(1) L'empereur avait coutume de dire qu'il faut être heureux pour faire la guerre.

sonnes qui sont le plus avant dans sa confiance. Il fait ensuite quelques tours de promenade dans le jardin et revient à neuf heures dans son cabinet de travail, qui est contigu à sa chambre à coucher. Ses aides-de-camp sont admis auprès de lui en ce moment; puis c'est le tour des officiers d'ordonnance de service; il leur donne les ordres pour la journée. Le docteur Conneau, son médecin, se rend également à cette heure auprès de lui, ainsi que M. Mocquard, son chef de cabinet, et M. Bure, 'l'intendant de l'Elysée (1).

Quand chacun a reçu ses instructions, le prince engage souvent avec eux une conversation toute familière et qui dure quelques instants seulement; puis il s'occupe d'expédier les affaires les plus urgentes, celles dont il doit entretenir ses ministres, qui ordinairement se réunissent en conseil à l'Élysée à midi. Il parcourt les journaux, sur lesquels on a eu soin de marquer au crayon rouge les passages les plus importants. Il lit surtout attentivement les journaux anglais. Les charges du Charivari et du Journal pour rire sur sa personne ou sur celle de ses ministres, à l'époque où il leur était permis d'en publier, l'égayaient beaucoup; il riait de ces débauches artistiques, où souvent son image était loin d'être flattée.

A dix heures, le prince donne quelques rares audiences. Le déjeûner a lieu à onze heures habituellement.

(1) M. Bure, frère de lait de Louis-Napoléon, est un des hommes les plus bienveillants qui existent. Esprit honnête, cœur généreux, il est bien digne de comprendre et de seconder l'inépuisable bienfaisance du prince.

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