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aimable société, que le comte d'Orsay embellit encore par sa spirituelle et franche gaîté. Cependant je ne désire pas sortir des lieux où je suis, car ici je suis à ma place: avec le nom que je porte, il me faut l'ombre d'un cachot ou la lumière du pouvoir.

Si vous daignez, madame, m'écrire quelquefois et me donner des détails de la société de Londres et d'un pays où j'ai été trop heureux pour ne pas l'aimer, vous me ferez le plus grand plaisir, etc. NAPOLEON BONAPARTE.

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Il y a dans cette lettre touchante une phrase qui mérite d'être retenue, c'est celle-ci :

« CEPENDANT JE NE DÉSIRE PAS SORTIR DES LIEUX OU JE « SUIS, CAR ICI JE SUIS A MA PLACE AVEC LE NOM QUE JE « PORTE, IL ME FAUT L'OMBRE D'UN CACHOT OU LA LUMIÈRE «DU POUVOIR, »

La pensée du prince, sa conduite politique sont tout entières dans ces trois lignes.

Pendant la durée de sa captivité il publia plusieurs ouvrages, et notamment le premier volume des Etudes sur le Passé et l'Avenir de l'Artillerie, ouvrage d'une haute portée, où l'esprit de détail et d'observation s'unit aux déductions les plus élevées de la science et de la philosophie.

Tous les systèmes de guerre en usage en Europe depuis le quatorzième siècle jusqu'au dix-septième, depuis Duguesclin jusqu'à Gustave-Adolphe s'y trouvent développés et appréciés; toutes nos batailles territoriales et internationales y sont analysées et commentées avec une rectitude de jugement, une profondeur de vues, une élévation de pensée et une clarté de style qu'on ne saurait trop louer. La partie didactique surtout y est traitée avec un soin particulier. L'auteur n'avance aucun fait dont la preuve ne soit à l'appui, aucune asser

tion qui ne se trouve justifiée par l'autorité des écrivains militaires français et étrangers les plus renommés et les plus compétents, tels que Comines, Dubellay, Fleuranges, Brantome, Montluc, Lanoue, Rabutin, Montgomery, Lesdiguières, Biron, Rohan, Spinola, Mansfeld, Georges Basta, Walhausen, Mello, etc., etc. En un mot, c'est un des livres les plus remarquables et les plus complets qui aient été publiés sur cette matière; c'est le résultat honorable de plusieurs années d'études et de méditations.

En 1846, Louis-Napoléon ayant appris que son pêre, malade depuis longtemps, touchait à sa fin, et qu'il ne formait qu'un vœu, n'avait qu'une pensée, le revoir et le serrer dans ses bras avant de quitter la vie, demanda l'autorisation d'aller recevoir ses derniers adieux, promettant qu'il reviendrait se constituer prisonnier. Il fut refusé. On espérait le forcer ainsi cette fois à solliciter sa grâce. On ne put ébranler sa détermination; mais, indigné de la cruelle défiance d'un gouvernement auquel il s'était adressé avec tant de loyauté, il résolut de s'affranchir lui-même à tout prix de cette captivité, qui durait déjà depuis six ans.

Ses dispositions prises avec la sagacité calculée qui le caractérise, et le moment qu'il attendait arrivé, il feint une indisposition, endosse un costume d'ouvrier, laisse dans son appartement son médecin, ami sûr, compagnon de sa captivité, le docteur Conneau, avec l'instruction de s'opposer aussi longtemps que possible à ce qu'aucune ronde, aucune visite, ne vienne troubler le prétendu malade; il descend dans les cours, passe avec un imperturbable sang-froid au milieu des gardiens et

des soldats de service, et sort de la forteresse. Son évasion était à peine découverte qu'il avait déjà gagné la frontière.

Louis-Napoléon revint à Londres, où il continua ses études de prédilection. La révolution de Février les interrompit.

A peine informé de ce grand événement, il se rendit en toute hâte à Paris, et vint mettre son patriotisme à la disposition du gouvernement auquel la France avait confié ses destinées. Il espérait qu'après une révolution aussi populaire, son nom ne serait plus une cause de proscription pour lui, et qu'il pourrait enfin servir la France. Ses vœux furent encore une fois trompés.

Le gouvernement provisoire manifesta la crainte que la présence à Paris d'un neveu de l'empereur ne fût une cause d'embarras pour la République naissante.

Toujours dévoué au bonheur de sa patrie, Louis-Napoléon reprit volontairement le chemin de l'exil, à la seule pensée qu'en effet sa présence pourrait nuire à l'affermissement du gouvernement républicain.

La nation s'empressa de réclamer contre la proscription dont quelques ambitieux, qui se cachaient sous le manteau du républicanisme, voulaient frapper le neveu de l'empereur. 200,000 suffrages, jetés deux fois successivement dans l'urne électorale des départements de l'intérieur et de celui de la Corse, prouvèrent que la France voulait que Louis-Napoléon lui fût rendu.

Enfin Louis-Napoléon arrive à Paris. Il fait son entrée dans l'Assemblée, accompagné de M, Vieillard, et va prendre place auprès de lui, sur un des bancs de la gauche, non loin de celui où, quelques jours plus tard,

M. Cavaignac devait lui-même venir s'asseoir. Sa présence dans l'Assemblée produit une profonde sensation. Les hommes du pouvoir comprennent que l'avenir appartient à ce jeune homme, que le courant de l'opinion publique le pousse malgré eux, et qu'avant peu ils auront à abdiquer entre ses mains. Dés lors commence contre lui cette guerre de calomnies, de sourdes intrigues, de dénigrements, d'odieuses interprétations, qui ont marqué cette période de deux mois.

Au milieu de cette effervescence des passions déchaînées contre lui, Louis-Napoléon, ainsi qu'il le déclare un jour à la tribune, reste sourd à toutes les calomnies, à toutes les provocations, et il poursuit imperturbalement le but qu'il se propose; il visite les hommes les plus considérables de tous les partis, s'abouche avec M. Thiers, avec M. Berryer, avec M. Montalembert; va voir Proudhon (1); consulte Emile Girardin, et se concilie la confiance et l'estime de tous ceux qui le voient. Enfin il pose sa candidature à la présidence dans un manifeste remarquable, bien propre à rallier toutes les sympathies. C'est un appel solennel à tous les partis, pour les convoquer tous à une même œuvre, le salut de la patrie (2).

(1) Dans son entrevue avec Proudhon, racontée depuis par ce publiciste, il l'interroge sur toutes les questions sociales évoquées par lui dans ces derniers temps, cherche à découvrir le fond de la pen. sée du fameux utopiste, et n'y trouvant que l'impossibilité d'ap-plication et une ambition mal déguisée, il le quitte sans rien lui révéler de sa propre pensée. Proudhon, au sortir de cette entrevue, écrivit sur ses tablettes ces seuls mots : Me méfier de cet homme. (2) M. de la Guéronnière, dans le portrait qu'il a fait de LouisNapoléon, rapporte, à ce sujet, l'épisode suivant :

L'imposante majorité de suffrages qui répondit à cet appel a prouvé suffisamment que Louis-Napoléon Bonaparte avait compris les vœux et les besoins de la France.

C'était au mois d'octobre 1848. Le prince Louis-Napoléon Bonaparte préparait sa candidature à la présidence de la République. Il cherchait à rallier les partis sans se livrer à eux; il recevait tout le monde; il écoutait tous les conseils; il accueillait toutes les idées sans énoncer ni engager les siennes. Un manifeste était nécessaire. Le général Cavaignac avait écrit le sien pendant six mois de pouvoir avec la pointe de son épée dans les actes de sa dictature militaire. Quel serait celui de son redoutable concurrent?

La France l'attendait. Louis-Napoléon Bonaparte le rédige avec cette netteté de pensée et de style qui est le cachet de tous ses écrits. Par déférence plus que par goût, il croit devoir consulter deux hommes qui appuyaient sa candidature : l'un, M. Thiers, avec les précautions d'un regret et d'une défiance; l'aulre, M. de Girardin, avec l'ardeur d'une sympathie loyale, incapable d'une réticence ou d'une trahison. A cette époque, M. Véron ne s'était pas encore affranchi de la tutelle qui faisait sa plume mineure et son journal esclave. Le Constitutionnel suivait les inspirations de l'ancien président du conseil de la monarchie de Juillet. C'était donc quelque chose d'important que l'approbation de M. Thiers.

Le manifeste contenait la phrase suivante « La République doit être généreuse et avoir foi dans son avenir: aussi, moi qui ai connu l'exil et la captivité, j'appelle de tous mes vœux le jour où la patrie pourra sans danger faire cesser toutes les proscriptions et effacer les dernières traces de nos guerres civiles. »

« C'est une imprudence, s'écria M. Thiers. L'amnistie, quand le sang de la bataille de juin n'est pas effacé sur le pavé des barricades! La bourgeoisie va crier haro! Il s'agit bien d'être généreux: il s'agit d'être habile! >>

M. Thiers trouva, en résumé, que le manifeste de Louis-Napoléon Bonaparte n'avait pas le sens commun, et le lendemain il s'empressa de lui en envoyer un autre qu'il avait fait rédiger par

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