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Mais plus la mission qu'il avait à remplir était grande et glorieuse, plus les difficultés qu'il avait à vaincre étaient réelles et nombreuses.

Avant d'apprécier les actes de la vie politique du Président de la République, nous croyons nécessaire d'entrer dans quelques détails particuliers qui serviront à éclaircir la suite de ce travail.

M. Merruau, homme de sens et d'esprit, alors rédacteur en chef du Constitutionnel, aujourd'hui secrétaire général de la préfecture de la Seine.

« Qu'en pensez-vous? lui dit le futur

Survint M. de Girardin. président en lui montrant les deux manifestes.

Je pense, répondit le rédacteur en chef de la Presse, que l'un est vrai comme la nature, et que l'autre est pâle comme une copie calquée derrière une vitre. Soyez vous-même: c'est ce qu'il y a de mieux. »

DEUXIÈME PARTIE.

A peine arrivé à Paris, le prince Louis-Napoléon vit se grouper autour de lui les hommes éminents de chaque parti. Tous comprenaient que la République, sous la direction des républicains de la veille, ne pouvait aboutir qu'à de nouvelles catastrophes. La victoire de Juin rassurait très-peu les esprits pour l'avenir, et le nom de Cavaignac lui-même, auquel se rattachaient les souvenirs sanglants de la Convention, effrayait une grande partie de la population, surtout dans les départements du Midi.

M. Odilon-Barrot fut un des premiers qui vint trouver Louis-Napoléon à l'hôtel du Rhin, place Vendôme, où il était descendu; M. Thiers y vint ensuite, mais après plusieurs pourparlers entre le célèbre historien et des amis officieux du prince. Le journal le Constitutionnel, qui représentait alors la pensée politique de M. Thiers, hésita longtemps à se prononcer et ne se prononça d'abord que timidement. M. le docteur Véron, qui depuis a embrassé si chaudement la cause napoléonienne, obéissait encore aveuglément à l'influence de l'auteur de l'Histoire de la Révolution. Ce fut M. de Persigny qui présenta M. Véron au prince Louis. Mais le premier et le plus chaud partisan de la

candidature de Napoléon fut M. Emile de Girardin. Un article qui eut alors un grand retentissement en France fut celui où il déclara résolument que l'avenir de la République, c'était Louis-Napoléon Bonaparte. Les légitimistes se rapprochèrent aussi. M. de Falloux, un des hommes les plus éminents du parti, prêta l'oreille aux propositions qui lui furent faites de la part du prince par M. de Persigny, qui, quelques mois après, devait lui porter le portefeuille de l'instruction publique (1). A côté des chefs de parti qui tous offraient leur concours au nouveau candidat ou acceptaient ses propositions, se groupaient les anciens bonapartistes, et, entre autres, MM. Montholon, le colonel Vaudrey, de Persigny, Bouffé de Montauban, Boulay de la Meurthe, le colonel de la Borde, Bataille, Aladenize, Laity, Conneau, le général Piat, etc., etc., et une foule d'anciens militaires de l'Empire qui avaient mis depuis longtemps leur dévouement au service du prince.

Le gouvernement, alarmé de ce concours inusité de partisans et de la foule qui se pressait chaque jour sur la place Vendôme, mettait en avant tous ses agents les plus habiles et cherchait à surprendre, dans le mouvement

(1) M. de Persigny avait été élevé dans le même collége que M. de Falloux; quelques jours après la révolution de Février, les deux anciens condisciples s'étant rencontrès à Paris et s'étant entretenus, chacun au point de vue de sa pensée politique, de l'avenir de la France, prirent ce singulier engagement, que le premier des deux qui arriverait au ministère recevrait des mains de l'autre un portefeuille. M. de Persigny tint doublement son engagement en offrant d'abord à son ami un ministère, et, ensuite, un beau portefeuille en maroquin rouge.

qui s'organisait pour la candidature de Louis-Napoléon, des projets de conspiration. Chaque jour arrivaient à l'hôtel du Rhin des lettres menaçantes ou des avertissements anonymes pour prévenir le prince qu'on devait attenter à ses jours; que des assassins, soudoyés par la police, étaient embusqués sur son chemin, et, enfin, que le gouvernement devait le faire enlever secrètement.

Louis Napoléon Bonaparte écoutait tous ces avis, toutes ces menaces avec son sang-froid habituel; à peine prenait-il quelques précautions indispensables (1). Il avait foi, comme tous les hommes prédestinés, en sa fortune politique, et il pensait comme un chancelier célèbre qu'il y a loin du poignard d'un assassin à la poitrine d'un honnête homme. Cependant il se ménageait des intelligences parmi quelques-uns des chefs les plus élevés de l'armée, et il avait reçu l'assurance d'un grand nombre qu'ils seraient les premiers à protester, si le gouvernement voulait tenter quelque chose d'illégal contre sa personne, et même à le défendre au péril de leur vie.

Cependant, dans les derniers jours du mois d'octobre, alors que la faveur populaire se déclarait de plus en plus pour lui, cédant aux sollicitations pressantes de ses amis, Louis -Napoléon se décida à aller habiter l'hôtel de M. Clary, son parent, dans la rue d'Anjou-Saint-Honoré, où il ne reçut plus que de rares amis et des hommes d'un dévouement connu.

(1) Louis Napoléon sortait ordinairement accompagné de deux domestiques, hommes vigoureux et dévoués qu'il avait amenés avec lui d'Angleterre, et portait pour arme de défense un pistolet à six coups de fabrique anglaise.

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Des comités nombreux s'étaient organisés pour l'élection du 10 décembre sous la direction du prince Jérôme Napoléon, sous celle'de MM. de Persigny et Laity, sous celle du général Piat, etc., etc. Tous ces comités avaient pour centre de correspondance l'hôtel du Rhin ou la rue du 29 Juillet où demeurait la famille de Napoléon. Il serait difficile de dire le nombre de lettres, de brochures, de publications de tout genre qui sortaient ou arrivaient chaque jour dans ces deux endroits. Plus de trente employés avaient pour occupation unique de décacheter les nombreuses missives et d'y répondre.

Enfin, le 10 décembre arriva : près de 6 millions de suffrages portèrent Louis-Napoléon Bonaparte à la présidence de la République. Dix jours s'écoulèrent avant qu'il ne fût officiellement proclamé. Pendant ce temps il choisit les hommes qui devaient faire partie du nouveau ministère. Les pourparlers qui eurent lieu à cet effet se tinrent dans un modeste appartement de la rue Saint-Dominique, chez un des plus anciens et des plus dévoués amis du Président de la République.

La pensée de Louis - Napoléon était, ainsi qu'il le déclarait lui-même dans son manifeste, de faire un appel aux hommes de bonne foi de tous les partis.

Ce premier ministère fut composé ainsi qu'il suit: de MM. Odilon-Barrot, président du conseil, ministre de la justice; Rulhières, ministre de la guerre; Malleville, ministre de l'interieur; Passy, aux finances; Drouyn de Lhuis, affaires étrangères; Lacrosse, aux travaux publics; de Falloux, à l'instruction publique ; Bixio, au commerce; de Tracy, à la marine.

Comme on le voit, toutes es opinions étaient repré

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