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sentées dans ce ministère, depuis l'opposition constitutionnelle jusqu'à l'opinion légitimiste avancée.

La proclamation officielle du nouveau Président de la République eut lieu le 20 décembre; ce fut M. Armand Marrast, président de l'Assemblée constituante, qui, au nom de la nation, l'investit de cette suprême magistrature, et lui fit prêter le serment de fidélité à la Répu blique.

Le palais de l'Elysée fut choisi pour la résidence du nouveau chef de l'Etat. A ce palais se rattachaient, pour le prince Napoléon, de nombreux souvenirs de famille, car il avait été successivement habité par Murat, grandduc de Berg, par la reine Hortense, sa mère, et enfin par l'empereur Napoléon au retour de Waterloo.

Le prince y fut conduit par M. Marrast et par une députation choisie au sein de l'Assemblée. Rien n'avait été disposé pour le recevoir. A peine était-il meublé suffisamment pour pouvoir être habité, et le passage de la commission des offrandes nationales, qui y avait été établie pendant plusieurs mois, s'y remarquait encore par de nombreuses traces de dégradation. Un lit apporté du garde-meuble, et qui avait appartenu, dit-on, à l'empereur, fut dressé au premier étage, dans la chambre même que le grand homme avait occupée pendant les derniers jours de son règne; quelques meubles qui remontaient par leur forme aux premiers jours de l'Empire, une bibliothèque vide, quelques tableaux, représentant presque tous des épisodes de nos grandes guerres nationales, étaient les seuls ornements du palais réservé au nouveau Président de la République

Quelques jours après, l'Elysée avait subi de nom

breuses réparations, et Louis-Napoléon s'installait dans les appartements du rez-de-chaussée, qu'il a toujours habités depuis cette époque.

Sa maison militaire fut composée d'abord ainsi qu'il suit: M. Vaudrey, premier aide-de-camp; officiers d'ordonnance MM. le comte Baciocchi, Persigny, Edgard Ney, Fleury, Laity, Lepic, Toulongeon et Menneval. Tous appartenaient à l'opinion napoléonienne, les uns par leurs antécédents politiques, les autres par des traditions de famille.

M. le colonel Vaudrey, son premier aide-de-camp, était un des hommes qui avaient rempli le plus grand rôle dans la conspiration de Strasbourg en 1836. II était alors colonel au 4a régiment d'artillerie, et il n'avait pas hésité à associer sa fortune à la fortune de LouisNapoléon Bonaparte, non point par ambition, car avec son grade il pouvait espérer d'arriver aux plus hautes dignités militaires, mais par amour pour la gloire napoléonienne et par patriotisme.

M. Baciocchi, cousin du prince, s'était attaché également depuis longtemps à sa fortune : il avait été arrêté à la suite des événements de Boulogne.

M. de Persigny, l'homme le plus ardent, le plus entreprenant des partisans de Louis-Napoléon, le compagnon sûr et dévoué de sa mauvaise fortune, le conseiller souvent écouté de ses jours de prospérité, M. de Persigny s'était fait nommer lieutenant-colonel d'étatmajor de la garde nationale de Paris, afin de remplir auprès du prince les fonctions d'officier d'ordon

nance.

M. Edgard Ney, dernier des fils du prince de la Mos

kowa, de la grande victime expiatoire de 1815, qui occupé aujourd'hui le rang de lieutenant-colonel de hussards, est un des officiers distingués de notre armée et l'un des aides-de-camp les plus estimés du Président de la République (1).

M. Fleury, aujourd'hui lieutenant-colonel dans la même arme des hussards, venait en ce moment d'arriver de l'armée d'Afrique, où il était entré comme simple volontaire, et d'où il était revenu chef d'escadron de spahis, ayant conquis chacun de ses grades par des services rendus ou des actions d'éclat.

M. Laity, ancien officier d'artillerie, compromis à la suite des affaires de Strasbourg par la publication d'une brochure sur les événements de 1836, publication qui avait été érigée en crime politique, et qui avait appelé sur son auteur une condamnation sévère de la part de la Chambre des Pairs. M. Laity est un homme d'un caractère justement estimé et l'un des amis les plus sûrs du président. M. Laity a été réintégré dans les cadres de l'armée avec le grade de capitaine au 7 léger qu'il occupe en ce moment.

· M. Lepic, chef d'escadron d'état-major, était le fils du

(1) C'est lui qui fut envoyé à Rome en 1849 pour vérifier l'exactitude des rapports adressés chaque jour au Président sur la situation politique de Rome et sur l'esprit des troupes françaises qui l'occupaient. C'est à la suite des rapports adressés par lui au Président, que celui-ci écrivit cette fameuse lettre du 18 août, qui produisit une si profonde sensation dans l'Assemblée et dans le pays, et qui fut comme la révélation subite de la pensée et de la volonté personnelle du Président.

célèbre général Lepic, qui commandait sous l'Empire les grenadiers de la garde impériale.

M. Menneval, capitaine d'artillerie, est le fils de l'ancien secrétaire de l'empereur, le baron de Menneval.

Enfin M. de Toulongeon, chef d'escadron d'état-major, est le fils du comte de Toulongeon, un' des plus célèbres historiens de l'empire.

Telle était la composition de la maison militaire improvisée pour ainsi dire par Louis-Napoléon. Depuis cette époque, de nouveaux aides-de-camp ont été appelés par lui à ce poste de confiance, et, entre autres, M. le général Roguet, fils du général de l'empire, et filleul de la reine Hortense; M. de Beville, lieutenant-colonel du génie, et M. Excelmans, lieutenant de frégate, fils du maréchal Excelmans, grand-chancelier de la Légiond'Honneur.

La maison civile était divisée en deux parties: le cabinet et le secrétariat.

Le cabinet avait pour chef M. Mocquard, ancien avocat, ancien homme de lettres, un des hôtes assidus de la résidence d'Arnemberg pendant les dernières années de la vie de la reine Hortense, et par conséquent un des amis les plus anciens de Louis-Napoléon.

Le secrétariat était placé sous la direction de M. Briffault, depuis représentant du peuple à l'Assemblée législative, et directeur politique du journal le Napoléon.

A côté de ces hommes, qui tous, ainsi que nous l'avons déjà dit, avaient suivi la fortune politique de LouisNapoléon ou qui se rattachaient à son parti par des traditions de famille, il en est un qui mérite une mention à part, c'est le docteur Conneau. Élevé dans la fa

mille de la reine Hortense en même temps que LouisNapoléon, il ne l'avait pas quittée un seul instant, et il était à la fois son médecin et son ami. A Strasbourg, à Boulogne, à Ham, à l'Elysée, dans la bonne et la mauvaise fortune, le docteur Conneau a toujours été le même. L'explication de ce dévouement si désintéressé est tout entière dans la réponse simple et sublime qu'il fit au président du tribunal, lorsqu'après la fuite de Louis-Napoléon du fort de Ham, il fut accusé d'en avoir favorisé l'exécution. Interrogé pour quel motif il avait contribué à faire évader le prince et à s'exposer ainsi lui-même, il répondit: Eh bien! c'est parce que je V'aime (1).

(1) Le docteur Conneau est en effet l'homme qui a joué le rôle le plus actif dans l'évasion de Ham; seul avec Charles Télin, domestique du prince, il connaissait ses projets de fuite et avait contribué à en préparer tous les moyens.

On faisait des réparations dans le château de Ham dans la partie du bâtiment qu'occupait l'illustre prisonnier. Le prince résolut de profiter de cette circonstance; il en fit part au docteur Conneau, et ils firent leurs préparatifs en conséquence. Au jour indiqué, à l'heure où les maçons quittaient la forteresse pour déjeûner, Napoléon endosse un costume d'ouvrier que lui avait procuré Charles Télin, à qui ses fonctions permettaient la libre entrée et la sortie de la forteresse. Ainsi déguisé il prend une planche qui servait de rayon à sa bibliothèque, descend rapidement l'escalier, en présence d'un de ses gardiens qui était en faction à l'entrée de la porte, évite son regard en tournant la planche de son côté et traverse ainsi la cour de la forteresse au milieu des soldats, des ouvriers et des guichetiers, se servant toujours de sa planche pour dérober ses traits. Charles Télin qui le précède entretient le concierge de la prison pendant qu'il en franchit le seuil; enfin il parvient à gagner une voiture

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