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forte et unie, mais pour essayer l'application des principes démagogiques que la révolution de Février avait semés dans toute l'Europe. La Hongrie seule, soulevée pour conquérir son indépendance nationale, puisait dans l'énergie de ses convictions et son patriotisme des moyens de défense tellement héroïques et puissants, qu'ils ébranlaient sur sa base le vieil empire d'Autriche.

Cette complication d'intérêts si graves et si divers donnait au premier acte du gouvernement de M. le Président de la République, la composition de son ministère, une importance d'une extrême gravité; de là peutêtre dépendait tout l'avenir. Le choix qu'il fit parmi les différentes nuances du parti modéré, ainsi que nous l'avons déjà expliqué, indiquèrent tout d'abord au pays la ligne politique d'abnégation personnelle et de conciliation que voulait suivre le nouveau chef de l'Etat.

L'œuvre de l'Assemblée constituante était accomplie après l'élection qui donnait un chef au gouvernement fondé par elle. La Constituante devait se retirer pour faire place à une Assemblée nouvelle dont les opinions seraient en harmonie avec les vœux que la France venait de manifester d'une manière si unanime. Telle ne fut pas la conduite de cette Assemblée; elle prorogea son mandat, et, dès lors, commença entre elle et le pouvoir exécutif une lutte d'autant plus dangereuse que la Constitution laisse dans le doute et dans l'indécision toutes les questions qui concernent les prérogatives du pouvoir exécutif et ses rapports avec la Chambre.

Cette phrase de la Charte, répétée pendant dix-huit ans par les journaux, le roi règne et ne gouverne pas, a laissé dans les esprits des notions inexactes sur les prérogatives du pouvoir exécutif. Aujourd'hui, le Président ne règne pas, mais il gouverne; il est responsable de tous les actes de son gouvernement, et cette responsabilité implique nécessairement des droits et des devoirs tout différents de ceux d'un roi constitutionnel. Ainsi, d'après l'exemple de ce qui se passe aux EtatsUnis, où le pouvoir exécutif est établi sur les mêmes bases, et d'après notre Constitution elle-même, le Président de la République nomme ses ministres par un acte de sa seule volonté; chaque année il adresse aux Chambres un message revêtu de sa simple signature, résumé de tous les actes de son gouvernement, et qui engage la politique sur toutes les questions intérieures et extérieures. Il adresse des proclamations au peuple et à l'armée sans contre-seing ministériel, etc.

Cette interprétation si naturelle et si simple du texte et de l'esprit de la Constitution, non seulement n'entrait pas dans la pensée et dans les vues des membres de l'Assemblée constituante, mais au sein même du ministère créé par le nouveau chef de l'Etat, elle donnait lieu, dès les premiers jours, à une scission que vient révéler la lettre suivante :

Monsieur le ministre,

Elysée, le 27 décembre 1848.

J'ai demandé à M. le préfet de police s'il ne recevait pas quelquefois des rapports sur la diplomatie; il m'a répondu affirmativement, et il a ajouté qu'il vous avait remis hier les copies d'une dépêche sur l'Italie. Ces dépêches, vous le comprendrez, doivent

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m'être remises directement, et je dois vous exprimer tout mon mécontentement du retard que vous mettez à me les communi

quer.

Je vous prie également de m'envoyer les seize cartons que je vous ai demandés; je veux les avoir jeudi. (Ce sont les dossiers des affaires de Strasbourg et de Boulogne.) Je n'entends pas non plus que le ministre de l'intérieur veuille rédiger les articles qui me sont personnels: cela ne se faisait pas sous Louis-Philippe, et cela ne doit pas être.

Depuis quelques jours aussi je n'ai point reçu de dépêches télégraphiques; en résumé, je m'aperçois que les ministres que j'ai nommés veulent me traiter comme si la fameuse constitution de Sieyès était en vigueur, mais je ne le souffrirai pas.

Recevez, Monsieur le ministre, l'assurance de mes sentiments de haute distinction,

LOUIS-NAPOLEON BONAPARTE.

P. S. J'oubliais de vous dire qu'il y a à Saint-Lazare 80 femmes encore arrêtées, dont une seule est traduite devant le conseil de guerre: dites-moi si j'ai le droit de les faire mettre en liberté, car, dans ce cas, j'en donnerai l'ordre à l'instant même.....

Cette lettre, écrite sept jours après la formation du ministère, provoqua la retraite de M. de Malleville, qui fut remplacé par M. Léon Faucher au ministère de l'intérieur.

Bientôt des calomnies de tout genre vinrent assaillir le chef de l'Etat. Tantôt on le représentait comme incapable de volonté et d'action; tantôt on subordonnait sa pensée politique à des engagements pécuniaires; tantôt aussi on assurait qu'il se traînait à la remorque des hommes de la réaction et se jetait à leur suite dans l'ornière des vieux errements politiques. La conduite du Président de la République et le bon sens de la na

tion ont fait justice de ces calomnies. Louis-Napoléon Bonaparte répondit d'une manière éclatante à cette dernière calomnie dans la lettre suivante, adressée au prince Jérôme Napoléon, alors ambassadeur de France à Madrid:

Mon cher cousin,

Elysée-National, le 10 avril.

On prétend qu'à ton passage à Bordeaux tu as tenu un langage propre à jeter la division parmi les personnes les mieux intentionnées. Tu aurais dit que, « dominé par les chefs du mouvement << réactionnaire, je ne suivais pas librement mes inspirations; « qu'impatient du joug, j'étais prêt à le secouer, et que, pour me << venir en aide, il fallait, aux élections prochaines, envoyer à la << Chambre des hommes hostiles à mon gouvernement plutôt que << des hommes du parti modéré. »

Une semblable imputation de ta part a le droit de m'étonnner. Tu me connais assez pour savoir que je ne subirai jamais l'ascendant de qui que ce soit, et que je m'efforcerai sans cesse de gouverner dans l'intérêt des masses et non dans l'intérêt d'un parti. J'honore les hommes qui, par leur capacité et leur expérience, peuvent me donner de bons conseils. Je reçois journellement les avis les plus opposés, mais j'obéis aux seules impulsions de ma raison et de mon cœur.

Désormais donc, je l'espère, tu mettras tous tes soins, mon cher cousin, à éclairer sur mes intentions véritables les personnes en relation avec toi, et tu te garderas d'accréditer par des paroles inconsidérées les calomnies absurdes qui vont jusqu'à prétendre que de sordides intérêts dominent ma politique. Rien, répète-le trèshaut, rien ne troublera la sérénité de mon jugement et n'ébranlera mes résolutions. Libre de toute contrainte morale, je marcherai dans le sentier de l'honneur, avec ma conscience pour guide, et lorsque je quitterai le pouvoir, si l'on peut me reprocher des fautes fatalement inévitables, j'aurai fait du moins ce que je crois sincèrement mon devoir.

L'expédition d'Italie était résolue. Une armée française, sous les ordres du général Oudinot, s'emparait de Civita-Vecchia, et sur la foi de promesses fallacieuses, se présentait sous les murs de Rome, où elle était accueillie à coups de fusils. On connaît les détails du siége de Rome et la conduite héroïque de nos troupes.

Pendant que nos soldats mouraient glorieusement sous les murs de cette ville, l'Assemblée constituante signalait les derniers jours de son existence politique par un vote incroyable, et faisait d'une question d'honneur national une question de parti. On se rappelle encore cette fameuse séance où, dans la nuit du 7 au 8 mai, l'Assemblée constituante prit la résolution suivante, votée à la majorité de 328 voix contre 241:

« L'Assemblée nationale invite le gouvernement à << prendre sans délai les mesures nécessaires pour que « l'expédition d'Italie ne soit pas plus longtemps dé<< tournée du but qui lui était assigné. »

Ce vote semblait vouloir faire rétrogader nos troupes; c'était la première fois qu'en France on abandonnait une armée devant l'ennemi. Louis-Napoléon portait trop haut le sentiment de l'honneur national pour s'associer à un pareil acte, et voici la lettre qu'il adressait le 8 juin au général Oudinot, commandant en chef de l'armée expéditionnaire d'Italie :

Mon cher général,

La nouvelle télégraphique qui annonce la résistance imprévue que vous avez rencontrée sous les murs de Rome m'a vivement peiné. J'espérais, vous le savez, que les habitants de Rome, ouvrant les yeux à l'évidence, recevraient avec empressement une armée

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