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politiques, et faillit amener une sanglante collision entre l'armée et les jeunes volontaires mobiles. La moitié des officiers de l'armée qui faisaient partie, soit comme chefs de bataillon, soit comme officiers instructeurs, des cadres de cette garde créée aux plus mauvais jours de la révolution, et qui avait, pour ainsi dire, supporté tout le poids des orages politiques de cette période encore peu connue, étaient renvoyés dans leurs corps respectifs sans récompenses et avec des notes défavorables. Quant aux officiers élus par les soldats de la garde mobile, ils étaient supprimés purement et simplement avec deux mois de solde pour toute allocation.

Les services éminents rendus par ces braves enfants de la patrie dans la sanglante semaine de juin étaient effacés et pour ainsi dire méprisés; les promesses solennelles qui leur avaient été faites du haut de la tribune par le général Cavaignac, chef du pouvoir exécucutif, étaient complétement oubliées; le sang qu'ils avaient versé pour la défense de la société, les droits qu'ils avaient acquis à la reconnaissance de la patrie, la gloire dont ils avaient décoré leur jeune drapeaú, tout était méconnu.

Un sourd mécontentement régnait parmi ces jeunes volontaires; les chefs des sociétés secrètes s'étaient emparés de cette circonstance pour les pousser à la révolte. On craignait une révolution nouvelle; on pensait, ainsi que nous l'avons dit, que le décret était l'œuvre du général Changarnier (1); que le Président avait long

(1) Voici, d'après un témoin oculaire, la scène qui se passa aux

temps hésité à le, signer, bien qu'il n'eût personnellement contracté aucune obligation envers les volontaires de la garde mobile,

Tuileries le 29 janvier entre le général Changarnier et les chefs des vingt-cinq bataillons de la garde mobile.

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Ces officiers avaient été convoqués à huit heures du matin à l'état-major de la garde nationale.

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Tous furent exacts au rendez-vous; on les introduisit dans une grande pièce, et M. Lafond de Villiers, commandant en second de la garde mobile, les fit former en cercle, sur un rang, par ordre de numéros de bataillon, en attendant l'arrivée du général en chef.

Un instant après M. Changarnier arriva.

Il parla d'abord du décret qui réduisait la garde mobile à douze bataillons, engageant les officiers de l'armée qui servaient dans cette garde comme officiers supérieurs à continuer à bien se conduire s'ils voulaient être récompensés, c'est-à-dire à ne pas faire la plus petite observation sur la mesure qui les frappait. «< Si parmi eux il y en avait un qui se permît de raisonner, dit-il, je le ferai renvoyer immédiatement à son corps, avec des notes en conséquence.

« Quant à vous, ajouta-t-il en s'adressa nt aux chefs de bataillon qui n'appartenaient pas à l'armée, vous rentrerez d'où vous êtes sortis. La garde mobile n'était organisée que pour un an, le terme de sa durée est presque atteint, vous n'avez donc aucune réclamation à faire valoir. On vous donnera quelques mois de solde à titre de gratification, et tout sera dit. »

Pas une parole de sympathie ou de reconnaissance pour les services rendus au pays par ces officiers qui, presque tous, avaient été décorés sur les barricades de juin.

Puis, élevant la voix : « J'ai appris, dit-il, que la garde mobile murmurait contre le décret qui la licencie, et qu'elle avait le projet de se réunir, en arme, aujourd'hui au carré de Marigny pour protester. Allez dire à vos hommes que s'ils bougent de leurs

Les dispositions énergiques faites par le général en chef de l'armée de Paris prévinrent la' sanglante collision que l'on appréhendait, et donnèrent même lieu, à

casernes, je les ferai sabrer jusqu'au dernier, et vous avec si vous vous réunissez à eux. » (Textuel.)

Ensuite, s'adressant au commandant Duseigneur (officier de l'armée), il l'apostropha rudement et lui infligea quinze jours d'Abbaye, sous le prétexte qu'il n'avait pas salué le général Cuny, commandant supérieur de la garde mobile, qui venait de passer à côté de lui dans la cour des Tuileries.

Après Duseigneur, ce fut le tour des commandants Sinibaldi et Arrighi (tous deux officiers de l'armée), à qui il infligea également quinze jours de prison militaire pour infraction et négligence dans leur service. Ceci était bien; mais, malheureusement, il arriva au commandant Aladenize, à qui il s'adressa avec aigreur de la manière suivante :

« Et vous, monsieur Aladenize! vous, l'ami du Président, et qui dites lui être dévoué, vous qui êtes maintenu dans votre grade par l'effet de sa bonté, vous vous êtes permis de réunir chez vous plusieurs de vos camarades, et vous avez formé le projet, me dit-on, d'adresser verbalement une réclamation collective au Président de la République sur le décret qui réorganise la garde mobile. Vous vous rendrez à la prison de l'Abbaye pour un mois ! »

Aladenize, pâle de colère et contenant son indignation, s'avança vers la table derrière laquelle le général Changarnier et son étatmajor étaient groupés, et, après avoir ôté son schako qu'il plaça sur cette table, il répondit au général en ces termes :

« Puisque nous ne sommes rien, nous ici, et qu'on nous traite en parias, oubliant les importants services que nous avons rendus au pays, puisqu'on parle de nous faire sabrer et qu'on nous envoie en prison, moi, qui ne suis pas militaire, je vais vous parler en citoyen! Je vais vous dire ce que presque tous ces messieurs vous diraient à ma place si la discipline ne leur tenait la bouche close.» Et, après avoir écrasé son schako sur la table, il arracha ses épaulettes

cette époque, à des bruits de coups d'état que rien ne pouvait justifier, et dont la conséquence fut la suppression par l'Assemblée de la double allocation accordée au

et les jeta aux pieds du général. Aussitôt le colonel Lafont de Villiers et le général Cuny s'avancèrent pour calmer Aladenize; ils lui prenaient les mains et l'appelaient leur ami; mais celui-ci les écarta vivement en leur disant : « Retirez-vous et laissez-moi parler. » Alors, se retournant vers le général Changarnier, il continua ainsi : « Vous m'avez dit que j'étais maintenu dans mon grade, je ne veux pas d'une faveur que l'on refuse à mes camarades. Je rends mes épaulettes, non pas à vous, mais aux gardes mobiles de mon bataillon qui me les avaient données.

« Vous m'avez dit qu'étant l'ami du Président, je n'aurais pas dû faire ce que j'ai fait. Je vous réponds, moi, que c'est parce que je suis son ami (et je le lui ai prouvé dans maintes circonstances) que j'ai agi ainsi. Mais vous, pouvez-voue en dire autant? Je vais vous dénoncer à la France entière comme traître à la patrie. » Alors, s'animant du geste et de la voix, il tira son épée du fourreau, chercha à la briser sur son genoux, la jeta aux pieds du général, et, s'approchant tout à fait de lui, il le menaça de la main.

Le général, étonné de cette scène imprévue pleine d'énergie et d'émotions diverses, s'approcha de la cheminée et sonna. Au même instant une grande porte s'ouvrit et donna passage à un peloton de gendarmes armés de toutes pièces et commandés par un officier.

Aussitôt le général Changarnier, le général Cuny, les colonels Rollin et Lafont de Villiers se mirent à crier : « Gendarmes, faites votre devoir !... » Les chefs de bataillon de la garde mobile se mirent tous à crier à la fois : « Pas de gendarmes, pas de gendarmes, personne n'ira en prison ou nous irons tous et aux yeux de tout le monde. » Puis, par un mouvement de rapide conversion, faisant face au peloton qui marchait vers eux, ils portèrent spontanément leurs mains à la garde de leurs épées.

Devant une résistance si énergique, les gendarmes s'arrêtèrent et le général Changarnier dut songer à modifier ses projets; car,

général Changarnier comme commandant en chef de l'armée de Paris et comme commandant en chef de la garde nationale.

A la suite de ce vote de l'Assemblée, le commandement de la garde nationale fut confié au général Perrot, et le général Changarnier resta commandant en chef de l'armée de Paris.

A la veille des événements du 13 juin, le Président de la République l'investit, ainsi que nous l'avons déjà dit, du double commandement qui lui avait été retiré.

L'attitude prise depuis quelque temps par la partie violente de l'Assemblée, les provocations incessantes de la presse anarchiste, la proclamation publiée par les écoles de Paris, tout annonçait l'approche d'une de ces grandes crises dont Paris a été si souvent le théâtre.

Dès le 12 juin, les dispositions étaient faites pour parer à ces terribles éventualités; indépendamment de la

il faut bien l'avouer, on ne fait pas disparaître facilement vingtcinq hommes comme ceux qui résistaient ouvertement contre les actes que nous venons de citer, et surtout on ne les conduit pas en prison en masse et en plein jour, lorsqu'on sait que derrière eux il y a douze ou quinze mille hommes déterminés, tous prêts à marcher pour les délivrer. Aussi se ravisa-t-on promptement en exhortant au calme, en faisant appel au devoir, au patriotisme, et enfin en levant les punitions qui avaient été infligées d'abord.

Aladenize seul ayant demandé d'aller en prison, sa punition fut maintenue, et il fut décidé qu'on l'y conduirait dans une voiture.

La scène était terminée, tout le monde se retira; mais, dans la soirée du 29 janvier, des mandats d'amener furent lancés contre un certain nombre de ceux qui avaient été renvoyés absous le matin et contre d'autres de leurs camarades qui n'étaient coupables que d'avoir du cœur.

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