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indigents. Soulager l'infortune était à mes yeux la meilleure manière de célébrer le 10 décembre.

C'est la cause des classes laborieuses, dont le bien-être est sans cesse compromis par ces théories insensées qui, soulevant les passions les plus brutales et les craintes les plus légitimes, feraient haïr jusqu'à la pensée même des améliorations.

Dans le voyage du Président à Lyon, il s'arrête à Dijon et se rend en pélerinage au village de Saint-Fixin, où un officier des armées impériales a fait élever à ses frais une magnifique statue, en bronze, de l'empereur:

Quand je suis venu, s'est-il écrié, guidé par un sentiment pieux visiter le monument érigé au martyr de Sainte-Hélène, je voulais rendre hommage au sentiment respectueux qu'en avait conçu le pays, et surtout à la pensée qui l'avait placé au sein de cette Bourgogne où l'on a vu tant d'héroïsme en 1814 pour la défense de l'empereur, ou plutôt pour la défense des droits du peuple français, des droits de tous les peuples, dont il fut, jusqu'au bout, le champion le plus fidèle.

A Dijon, pour calmer l'effervescence de la population ouvrière si souvent agitée depuis la révolution de Février, il dit avec vérité :

Les gouvernements qui succèdent à des révolutions ont une tâche ingrate à remplir: celle de réprimer d'abord pour améliorer plus tard, de faire tomber des illusions, et de remplacer, par le langage d'une raison froide, les accents désordonnés de la passion.

A Lyon, il proclame ouvertement sa pensée politique en présence de cette industrieuse cité où l'empereur Napoléon a laissé de si profonds souvenirs. Abnégation ou persévérance! s'écrie-t-il. Tout l'avenir est tracé dans ces deux mots, que les partis avaient trop bien compris, et qui excitèrent alors une si profonde émotion. Je suis, disait-il dans un énergique langage, non pas le repré

sentant d'un parti, mais le représentant des deux grandes manifestations nationales qui, en 1804 comme en 1848, ont voulu sauver par l'ordre les grands principes de la révolution française. Fier de mon origine et de mon drapeau, je leur resterai fidèle, je serai tout entier au pays, quelque chose qu'il exige de moi, abnégalion ou persévérance.

Puis il dit qu'en présence d'un danger général, toute ambition personnelle doit disparaître, et qu'il serait le premier à en donner l'exemple.

Mais, ajoute-t-il, d'un autre côté, si des påssions coupables se ranimaient et venaient compromettre le repos de la France, je saurai les réduire à l'impuissance en invoquant encore la souveraineté du peuple; car je ne reconnais à personne le droit de se dire son représentant plus que moi.

Les événements du 2 décembre ont justifié et réalisé cette prédiction.

Dans ce même voyage de l'est, le Président est accueilli à Besançon, comme dans toutes les villes sur son passage, par les chaleureuses acclamations de la foule; mais un triste incident signale la fête qui lui est offerte. A côté de la population indigène qui est excellente, il existait dans cette ville un élément socialiste composé de quatre à cinq mille ouvriers suisses; les plus exaltés avaient résolu de faire une manifestation hostile au Président; on dit même d'attenter à ses jours. Au moment où le prince se rendait au bal, qui avait été organisé en son honneur, un commissaire de police s'approche et lui dit : « Prince, mon devoir et mon honneur m'obligent à vous prier de ne pas aller à ce bal, il y a un complot contre votre personne. » Le Président répondit avec calme: Je m'en rapporte à la sympathie des habitants de Besançon et j'y vais.

A peine arrivé dans la salle, au milieu d'une foule compacte, il est entouré et pressé de toutes parts; l'intention des conspirateurs était, ainsi qu'on l'a su depuis, de l'étouffer ou de l'enlever. Une vingtaine d'individus à mines suspectes, dont quelques-uns portaient des cravates rouges, se précipitent autour de lui, le séparent de ses officiers d'ordonnance et des personnes qui l'accompagnaient, et font entendre des paroles menaçantes. Aussitôt le colonel Vaudrey, le colonel Beville et les autres officiers de la suite du Prince mettent l'épée à la main, et, secondés par quelques gendarmes de service, parviennent, après de grands efforts, à le dégager de ces étreintes dange

reuses.

Le dernier mot de cette conspiration est encore un mystère.

En présence du danger qu'il venait de courir, les personnes qui accompagnaient le Président de la République dans son voyage, veulent le dissuader d'aller plus avant et de ne pas s'exposer au milieu des populations de l'Alsace si ardemment fanatisées par les apôtres du socialisme. Ces considérations n'ont point détourné le Président de la République de son voyage, et, arrivé à Strasbourg, qui en était le but, il s'explique franchement à ce sujet au banquet qui lui est offert par les habitans de cette ville :

Avant mon départ, on voulait me détourner d'un voyage en Alsace. Vous y serez mal venu, me disait-on, cette contrée, pervertie par des émissaires étrangers, ne connaît plus ces nobles mots d'honneur et de patrie que votre nom rappelle, et qui ont fait vibrer le cœur de ses habitants pendant quarante années.

Et, moi, je me suis dit : Je dois aller partout où il y a des illusions dangereuses à dissiper, de bons citoyens à raffermir.

On calomnie la vieille Alsace. Dans cette terre des souvenirs glorieux et des sentiments politiques, je trouverai, j'en suis assuré, des cœurs qui comprendront ma mission et mon dévouement au pays.

D'ailleurs, Messieurs, pourquoi aurais-je été mal reçu ? En quoi ai-je démérité de votre confiance? Placé par le vote, presque unanime, de la France à la tête d'un pouvoir légalement restreint, mais immense par l'influence morale de son origine, ai-je été séduit par la pensée, par les conseils d'attaquer une constitution faite pourtant, personne ne l'ignore, en grande partie contre moi? Non, si j'ai agi ainsi, c'est que le titre que j'ambitionne le plus est celui d'honnête homme.

Cette loyale franchise est accueillie avec une vive sympathie par les habitants de l'Alsace, et partout dans son voyage, le Président de la République reçoit les ovations les plus enthousiastes.

Enfin, à Cherbourg, il fait entendre ces patriotiques paroles :

S'il y a une ville en France qui doive être napoléonienne et conservatrice, c'est Cherbourg: napoléonienne par reconnaissance, conservatrice par la saine appréciation de ses véritables intérêts.

Qu'est-ce, en effet, qu'un port créé, comme le vôtre, par de si gigantesques efforts, sinon l'éclatant témoignage de cette unité française poursuivie à travers tant de siècles et de révolutions, unité qui fait de nous une grande nation? Mais une grande nation, ne l'oublions pas, ne se maintient à la hauteur de ses destinées que lorsque les institutions elles-mêmes sont d'accord avec les exigences de sa situation politique et de ses intérêts matériels. Les habitants de la Normandie savent apprécier de semblables intérêts, et m'en ont donné la preuve, et c'est avec orgueil que je porte aujourd'hui un toast à la ville de Cherbourg.

Je porte ce toast en présence de cette flotte qui a porté si noble

ment en Orient le pavillon français, et qui est prête à le porter avec gloire partout où l'honneur national l'exigerait.

En présence de ces étrangers, aujourd'hui nos hôtes, ils peuvent se convaincre que si nous voulons la paix, ce n'est pas par faiblesse.

Au second anniversaire du 10 décembre, célébré à l'Hôtel-de-Ville, après avoir résumé les événements accomplis pendant ces deux années, il disait :

J'aime à profiter de ces anniversaires qui sont des jalons à l'aide desquels se mesure la marche des événements pour constater les causes qui fortifient ou affaiblissent les gouvernements. Les grandes unités, sanctionnées par l'histoire des peuples, sont toujours utiles à proclamer. Les gouvernements qui, après de longs troubles civils, sont parvenus à rétablir le pouvoir et la liberté, ont, tout en domptant l'esprit révolutionnaire, puisé leur force dans le droit de la révolution même. Ceux-là, au contraire, ont été impuissants qui sont allés chercher ce droit dans la contre-révolution. Si quelque bien s'est fait depuis deux ans, il faut donc en savoir gré surtout à ce principe d'élection populaire qui a fait sortir du conflit des ambitions un droit réel et incontestable.

Lors de la pose de la première pierre des nouvelles halles centrales de Paris, le 15 septembre 1851, le Président annonçait les événements qui devaient s'accomplir quelques mois après dans ce passage dont nous retrouverons la pensée dans le plébiscite du 2 décembre:

En posant la première pierre d'un édifice dont la destination est si éminemment populaire, je me livre avec confiance à l'espoir qu'avec l'appui des bons citoyens et avec la protection du ciel, il nous sera donné de jeter dans le sol de la France quelques fondations sur lesquelles s'élèvera un édifice social assez solide pour offrir un abri contre la violence et la mobilité des passions humaines.

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