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Ce changement de politique, le Président de la République l'expliquait lui-même par le Message suivant :

Dans les circonstances graves où nous nous trouvons, l'accord qui doit régner entre les différents pouvoirs de l'Etat ne peut se maintenir que si, animés d'une confiance mutuelle, ils s'expliquent franchement l'un vis-à-vis de l'autre. Afin de donner l'exemple de cette sincérité, je viens faire connaître à l'Assemblée quelles sont les raisons qui m'ont déterminé à changer le ministère, et à me séparer d'hommes dont je me plais à proclamer les services éminents, et auxquels j'ai voué amitié et reconnaissance.

être envoyée au Moniteur, ils ignoraient encore qu'ils n'étaient plus ministres. A l'Elysée, à l'Assemblée, dans les salons, partout la nouvelle était connue, les noms désignés, et ils refusaient d'y croire. M. Odilon-Barrot, surtout, repoussait bien loin cette pensée. Le 31 octobre 1849, les anciens ministres se rendirent tous, à l'heure habituelle, au conseil à l'Elysée, à l'exception de M. de Falloux, qui, depuis longtemps, était malade et à la campagne. Le Président de la République les reçut avec la même affabilité et vint les prévenir qu'il n'y aurait pas de conseil ce jour-là, mais sans leur faire connaître sa résolution. Ils n'en furent informés officieusement qu'à leur arrivée à l'Assemblée, à deux heures, au moment où le Message du Président venait d'y être apporté par le colonel Vaudrey.

M. Odilon Barrot se retira à la campagne, à Bougival, et ne reparut à l'Assemblée que plusieurs jours après. Le soir même, le Président lui envoya offrir les insignes de grand-officier de la Légion-d'Honneur par son frère, Ferdinand Barrot; l'ancien président du conseil refusa.

On raconte qu'il avait fait faire un costume officiel de garde des sceaux pour la cérémonie d'institution de la magistrature qui devait avoir lieu trois jours après, et qu'il avait adressé de nombreuses invitations pour un grand diner qu'il devait donner le même jour au ministère de la justice.

Pour raffermir la République menacée de tant de côtés par l'anarchie; pour assurer l'ordre plus efficacement qu'il ne l'a été jusqu'à ce jour; pour maintenir à l'extérieur le nom de la France à la hauteur de sa renommée, il faut des hommes qui, animés d'un dévouement patriotique, comprennent la nécessité d'une direction unique et ferme, et d'une politique nettement formulée; qui ne compromettent le pouvoir par aucune irrésolution; qui soient aussi préoccupés de ma propre responsabilité que de la leur, et de l'action que de la parole. (Rumeurs diverses.)

Depuis bientôt un an, j'ai donné assez de preuves d'abnégation pour qu'on ne se méprenne pas sur mes intentions véritables. Sans rancune contre aucune individualité, comme contre aucun parti, j'ai laissé arriver aux affaires les hommes d'opinions les plus diverses, mais sans obtenir les heureux résultats que j'attendais de ce rapprochement. Au lieu d'opérer une fusion de nuances, je n'ai obtenu qu'une neutralisation de forces. L'unité de vues et d'intentions a été entravée, l'esprit de conciliation pris pour de la faiblesse. A peine les dangers de la rue étaient-ils passés, qu'on a vu les anciens partis relever leurs drapeaux, réveiller leurs rivalités et alarmer le pays en semant l'inquiétude. Au milieu de cette confusion, la France, inquiète, parce qu'elle ne voit pas de direction, cherche la main, la volonté de l'élu du 10 décembre. Or, cette volonté ne peut être sentie que s'il y a communauté entière d'idées, de vues, de convictions entre le Président et ses ministres, et si l'Assemblée elle-même s'associe à la pensée nationale, dont l'élection du pouvoir exécutif a été l'expression. (Bruit à gauche.)

Tout un système a triomphé au 10 décembre.

Car le nom de Napoléon est à lui seul tout un programme. Il veut dire, à l'intérieur, ordre, autorité, religion, bien-être du peuple; à l'extérieur, dignité nationale. C'est cette politique, inaugurée par mon élection, que je veux faire triompher avec l'appui de l'Assemblée et celui du peuple. Je veux être digne de la confiance de la nation en maintenant la Constitution que j'ai jurée. Je veux inspirer au pays, par ma loyauté, ma persévérance et ma fermeté, une confiance telle que les affaires reprennent et qu'on ait

foi dans l'avenir. La lettre d'une Constitution a sans doute une grande influence sur les destinées d'un pays; mais la manière dont elle est exécutée en exerce peut-être une plus grande encore. Le plus ou moins de durée du pouvoir contribue puissamment à la stabilité des choses, mais c'est aussi par les idées et les principes que le gouvernement sait faire prévaloir que la société se rassure. Relevons donc l'autorité sans inquiéter la vraie liberté. Calmons les craintes en domptant hardiment les mauvaises passions et en donnant à tous les nobles instincts une direction utile. Affermissons le principe religieux sans rien abandonner des conquêtes de la révolution, et nous sauverons le pays malgré les partis, les ambitions et même les imperfections que nos institutions pourraient renfermer.

Cette mesure neuve et hardie produisit une vive agitation dans l'Assemblée. Les chefs des partis parlementaires, qui se voyaient ainsi effacés, protestèrent sourdement d'abord, puis ouvertement contre la politique personnelle que le Message venait d'inaugurer.

Les hostilités entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif étaient engagées et devaient continuer pendant deux années encore au milieu de péripéties diverses jusqu'à l'acte décisif du 2 décembre 1851.

Un des premiers et des plus importants épisodes de cette lutte des deux pouvoirs fut la destitution du général Changarnier.

Le Message du 31 octobre avait tracé franchement le programme politique du Président de la République; il s'agissait, pour ceux qui l'avaient alors appuyé ou qui faisaient partie du gouvernement, de le suivre sur ce terrain nouveau ou de se retirer. La neutralité devenait impossible,

Le général Changarnier, que les partis parlementaires avaient transformé en Monck moderne, et qui avait en effet le caractère, les talents, le mutisme même du restaurateur de Charles II, le général Changarnier se trouva placé dans la nécessité de s'expliquer enfin, et de se déclarer ou pour le Président de la République, ou pour les partis monarchiques de l'Assemblée.

Le rôle de Richard, fils de Cromwel, ne pouvait convenir au neveu de l'empereur, et Louis-Napoléon n'était pas homme à l'accepter (1). La conduite équivoque du général Changarnier ne pouvait durer plus longtemps; aussi, quelques jours après le Message, les relations qui existaient entre lui et le prince perdirentelles cette intimité qu'elles avaient eue jusqu'alors.

Louis-Napoléon, si sympathique de sa nature, et qui en mainte circonstance avait donné au général des preuves nombreuses de son affection (2), dut être douloureuse

(1) Plusieurs fois des ouvertures avaient été faites, non pas au Président de la République qui les aurait rejetées avec hauteur, mais aux personnes qui l'entouraient et qu'on savait être les plus influentes auprès de lui, pour l'engager à favoriser une restauration monarchique. Les fusionnistes surtout poursuivaient avec une persévérance inouïe cette idée, et parlaient d'offrir au prince Président, comme autrefois Louis XVIII avait fait offrir à Bonaparte, premier consul, le château de Chambord comme apanage, une dotation de 3,000,000 et une grande charge dans.l'Ètat.

(2) Toutes les fois qu'il allait faire des voyages dans les départements, le Président de la République donnait au général Changarnier des instructions particulières, et lui remettait pour ainsi dire ses pouvoirs; il avait coutume de l'embrasser à son départ et à son retour; aussi fut-il longtemps à croire que le général Changarnier pût le sacrifier à des intérêts étrangers.

ment affecté de cette séparation; mais il ne pouvait hésiter à retirer sa confiance à un homme investi d'une autorité aussi grande que celle dont il avait revêtu le commandant en chef de l'armée de Paris. Les rapports secrets qu'il recevait chaque jour sur les relations établies entre Frosdorf, Claremont et les chefs des partis parlementaires de l'Assemblée, et qui toutes aboutissaient à l'état-major de l'armée de Paris, les propos calomnieux et souvent grossiers que l'on tenait aux Tuileries sur l'Elysée et sur ce qu'on appelait l'entourage du prince, animé, disait-on, de détestables passions politiques, tout lui en faisait un devoir impérieux.

Le général Changarnier, d'ailleurs, s'était placé visà-vis du ministre de la guerre dans une position tout à fait exceptionnelle et contraire à l'esprit de discipline de l'armée. Plusieurs fois des interpellations avaient été adressées dans ce sens à la tribune et avaient révélé cette tendance du général Changarnier à s'affranchir de plus en plus de tout lien hiérarchique. Bientôt les rapports entre le général Changarnier et le ministre de la guerre prirent un tel caractère d'hostilité, que le Président de la République dut intervenir; mais, par suite de cette réserve qu'il s'était imposée, il n'hésita pas à sacrifier son ministre de la guerre, M. le général d'Hautpoul, homme dévoué et sûr, aux exigences du général en chef. En même temps, et pour montrer que ce n'était point par faiblesse qu'il avait consenti à se séparer de son ministre, il prononça la destitution du général Neumayer, l'alter ego de Changarnier, qui n'avait pas craint de tenir plusieurs fois, en présence des officiers de sa division, des discours outrageants pour le

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