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Président, et notamment à propos des revues de troupes qui avaient eu lieu dans la plaine de Satory (1).

La scission entre le Président et le commandant de l'armée de Paris devenait de plus en plus profonde; celui-ci ayant perdu la confiance du chef de l'Etat devait déposer entre ses mains le commandement qu'il lui avait confié. Il n'en fit rien par un sentiment qu'il a essayé d'expliquer depuis à la tribune (2), et qui, à nos yeux, rend sa conduite plus blâmable encore.

(1) Le général Changarnier fut vivement froissé de la destitution du général Neumayer; il fit de vaines instances pour la prévenir, et le jour même où elle fut signée, il se rendit à l'Élysée pour engager le prince à revenir sur cette décision. Louis Napoléon refusa de le recevoir. A partir de ce jour, le général Changarnier, qui avait coutume de venir tous les matins, à onze heures, à l'Élysée, cessa d'y paraître tout à fait, ou n'y parut plus que dans les grandes réceptions officielles, et resta retiré dans sa tente comme Achille, jusqu'au jour de sa destitution.

(2) Messieurs, lorsque le gouvernement qui a précédé celui de M. le Président de la République a établi mon quartier général aux Tuileries, cinq partis divisaient et divisent encore la France : les républicains modérés; les amis de la monarchie de tradition, les amis de la monarchie conventionnelle, les démagogues qui se distinguent sous d'autres noms, enfin les hommes qui veulent la dictature impériale, même sans la gloire, même sans le génie de l'homme immortel dont l'univers s'entretient encore.

Je n'ai voulu être et je n'ai été l'instrument d'aucun de ces partis; j'ai voulu ce que voulaient tous les hommes honnêtes, l'exécution des lois, le maintien de l'ordre, la sécurité de la France, etc., et j'ai l'orgueilleuse satisfaction d'avoir un peu contribué à vous donner ces biens. Malgré d'odieuses insinuations propagées par l'ingratitude, je n'ai favorisé aucune faction, aucun conspirateur, et

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Le Président de la République, de son côté, en conservant au général Changarnier l'immense autorité militaire dont il l'avait investi, voulait éviter le reproche d'ingratitude qu'une destitution prématurée n'eût pas manqué de faire élever jusqu'à lui, et le contre-coup fâcheux que cette destitution aurait eue dans l'Assemblée.

La question de la dotation de 3 millions, présentée au mois de juin 1850, fut un nouveau motif pour lui de retarder la destitution de ce général.

A la fin de la séance, au moment où la majorité, par ce sentiment d'hostilité systématique qu'elle ne cessait de montrer au Président de la République, hésitait à lui accorder cette allocation, M. le général Changarnier monta à la tribune et s'exprima ainsi (1):

les deux partis que je vous signalai les derniers (les démagogues et les bonapartistes) m'ont voué des haines bien méritées, et qui, pour mon honneur, survivent à ma chute.

J'aurais pu devancer cette chute par ma démission, qui eût été bien accueillie; mais ceux qui ont cru que j'aurais dû la donner, sont-ils bien sûrs que ma présence aux Tuileries ne leur a pas été utile?

Messieurs, mon épée est condamnée au repos, mais elle n'est pas brisée; si un jour mon pays en a besoin, il la retrouvera bien dévouée et n'obéissant qu'aux inspirations d'un cœur patriotique et d'un esprit ferme, très-dédaigneux des oripeaux d'une fausse grandeur.

(1) Cette action du général Changarnier lui fut inspirée, dit-on, par M. Thiers. Les chefs des partis parlementaires, et M. Thiers en particulier, voyaient avec effroi approcher le moment où ce général serait révoqué de ses fonctions; le bruit même s'était répandu dans l'Assemblée que le décret de destitution avait été signé dans la matinée, ainsi que celui qui nommait son successeur. Ils espé

Je comprends la susceptibilite, la méfiance des partis; mais quand le gouvernement a tout fait pour les calmer, quand on a pris tant de précautions pour dégager l'avenir, pour isoler la question actuelle, je ne comprends pas certaines difficultés de forme.

Voulez-vous accorder l'intégralité de la somme demandée? Eh bien ! donnez-la simplement, noblement, comme il appartient à un grand parti. Si la discussion se réduisait à ces mesquines proportions d'une chicane de mots, elle lasserait bientôt l'Assemblée, et serait indigne d'elle. Messieurs, encore une fois, si vous voulez donner, donnez sans marchander.

Ces paroles entraînent une grande partie de la majorité, et 354 voix contre 308 se prononcent en faveur de l'allocation.

La désunion qui régnait entre le Président de la République et le général Changarnier repercutait vivement dans l'Assemblée. Les revues qui avaient eu lieu dans la plaine de Satory pendant la prorogation de la Chambre, et l'odieuse affaire Alais, servirent de prétexte aux accusations les plus absurdes et les plus ridicules. Les ennemis du Président en prirent texte pour formuler des menaces d'accusation et pousser au renversement de l'autorité du pouvoir exécutif. Un journal, le plus grave de tous (les Débats), n'hésita pas à publier l'article suivant :

raient, en plaçant le Président de la République dans la position de devoir de la reconnaissance à Changarnier, retarder la destitution de ce dernier. Cette manœuvre politique réussit, car ce n'est que six mois après, par décret du 9 janvier 1851, qu'il fut, en effet, révoqué. Ce qui est certain, c'est qu'avant de monter à la tribune, le général s'entretint longuement avec l'auteur de l'His¬ toirede la Révolution,

La commission de permanence de l'Assemblée s'est réunie aujourd'hui; elle a consacré presque toute la séance à délibérer sur an incident fort singulier.

L'un des membres (M. Baze) a déclaré de la manière la plus formelle qu'il était à sa connaissance que dans la soirée du 29 octobre vingt-six individus, parmi les membres les plus exaltés de la société du 10 décembre, ont tenu une séance extaordinaire, où ils ont agité hautement le projet d'assassiner le président de l'Assemblée nationale, M. Dupin, et le commandant en chef de l'armée de Paris, M. le général Changarnier, comme étant tous les deux le grand obstacle à l'accomplissement des desseins de la société.

Ce projet aurait été adopté à l'unanimité, et on aurait procédé au tirage au sort pour désigner ceux qui devaient mettre à exécution ce double attentat. En conséquence, on aurait mis dans un chapeau vingt-quatre bulletins blancs et deux autres portant l'un la lettre C et l'autre la lettre D.

Chacun des vingt-six membres aurait été appelé à tirer successivement un bulletin. Celui qui aurait amené le bulletin avec la lettre C aurait aussitôt déclaré en termes énergiques qu'il était prêt à exécuter la décision de la réunion. Celui auquel serait échu le bulletin avec la lettre D aurait gardé le silence.

Le président de la réunion aurait annoncé que le jour de l'exécution serait ultérieurement fixé; les vingt-six membres se seraient alors séparés. Les délibérations subséquentes donnaient lieu de croire qu'on aurait été disposé à faire quelque tentative de ce genre le jour de la réouverture de l'Assemblée.

Telles sont, d'après ce que nous croyons savoir, les étranges révélations dont s'est occupée aujourd'hui la commission de permanence. Avant de se séparer, la commission qui, depuis un mois, avait demandé la dissolution de la société du 10 décembre, qui a toujours présenté à ses yeux le caractère d'une société politique défendue par les lois, a chargé trois de ses membres, MM. Baze, Léon Faucher et Monet, de se rendre auprès du ministre de l'intérieur pour lui exprimer son profond étonnement de ce que l'auto

rité n'ait pas cru devoir prévenir le président de l'Assemblée nationale et le général en chef de l'armée de Paris des projets qu'on tramait contre eux, et de ce qu'aucune mesure n'ait encore été prise pour fermer cette dangereuse société.

Trois représentants furent envoyés au ministre de l'intérieur, celui-ci leur répondit qu'ils avaient été induits en erreur par quelques faux rapports, ou qu'ils étaient l'objet d'une infame mystification.

Quelques-uns des membres de l'Assemblée, aveuglés par leur ressentiment, allèrent plus loin encore, malgré l'explication du ministre; ils firent de cette malencontreuse affaire une question politique qui fut portée à la tribune et qui ne servit qu'à déverser le ridicule sur eux, et à discréditer aux yeux de la nation une Assemblée émue par de semblables passions.

M. de Lamartine en fit une justice éclatante dans ce discours :

J'ai vu avec douleur un fait qui a vivement frappé, ému l'opipinion publique, et qui devait vivement impressionner le pouvoir exécutif. Je veux parler d'une affaire scandaleuse, mais dont le scandale est si énorme qu'il dépasse la portée du mot. Je devrais plutôt l'appeler un honteux chiffon de police indigne d'être ramassé par le dernier agent de la plus vile police dans les ruisseaux d'une capitale. Vous comprenez qu'il s'agit de cette accusation d'assassinat contre le général Changarnier et contre le président de l'Assemblée.

Je ne veux pas sonder ce mystère, non pas d'iniquités, mais de ridicule. Cependant, lorsqu'ému par le sentiment de ses devoirs envers la justice et de son respect envers l'Assemblée, le pouvoir exécutif est venu bien naturellement demander au bureau de cette Assemblée de se dessaisir d'un homme, d'un magistrat de police peu digne des hautes fonctions qui lui étaient affectées, c'est-à

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