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fuir en toute hate; celle-ci, presque atteinte par une avant-garde de cavalerie, ne dut son salut qu'à la vitesse de son cheval et qu'à son habileté d'écuyère. Vivement poursuivie par deux sousofficiers français, elle eut la douleur d'entendre les plaisanteries inconvenantes que firent ces deux enfants des camps sur sa situation et sur leur espérance insolente. L'Empereur, que l'on en instruisit, croyant l'amuser, s'en courrouça; il dit que peu s'en fallait qu'il ne fit passer par les armes deux soldats assez effrontés pour oser manquer de respect à une grande souveraine.

Autant, dit-il, dans cette circonstance, j'estime le brave sous-officier qui a, au péril de sa vie, enlevé celle du prince Louis de Prusse (car c'était un combat corps à corps), autant je blâme deux étourdis qui, non contents de la gloire que leur aurait faite une si noble prise, outrageaient ainsi en elle la Majesté Royale. Certainement, je les ferai punir... Berthier, tu me feras souvenir que je veux leur faire payer cher cette imprudence. »

Mais après ces paroles, prononcées pour la convenance, et sans qu'au fond il eût l'intention de molester ces deux braves, il oublia complètement leur méfait, et l'oublia si bien, et Berthier négligea tant de le lui rappeler, que peu après et aux environs de la journée de Friedland, tous les deux reçurent un avancement, mérité d'ailleurs

par une bravoure à l'épreuve et une conduite militaire très-honorable.

Parmi les colonels blessés, le brave Dollenbourg fut tenu pour mort. Son cheval s'étant abattu dans une charge, et lui trop faible pour se relever d'abord, ses dragons passèrent outre à la poursuite de l'ennemi, et de retour au camp, le soir de la bataille, annoncèrent à l'état-major la mort de leur loyal et intrépide colonel. Celuici, demeuré avec quelques-uns des siens parmi les blessés ennemis, ne put revenir à l'armée qu'en faisant un long détour et plusieurs jours après. Déjà son nom se trouvait inscrit dans le bulletin publié au rang des morts; il réclama auprès du prince Berthier, major-général, qui lui répondit que cela ne valait pas la peine d'une rectification, et il continua de servir. (Il est devenu maréchal-de-camp.) La campagne de Pologne se fit ensuite, et vers sa fin, l'Empereur, toujours reconnaissant des services rendus à la patrie et du sang versé pour elle, rendit un décret qui imposait à certains quais, carrefours, rueset places de Paris, les noms des généraux et des colonels tués dans ces deux dernières campagnes. Le colonel, parmi ces honneurs rendus aux héros morts, voyant une rue Doullenbourg, alla de nouveau chez Berthier pour faire relever cette erreur. Le major-général dit avec impatience :

<< Eh! M. le colonel, voulez-vous que je fasse

revenir S. M. d'une erreur involontaire, et sur une disposition si honorable pour vous! cela ne sera pas; vous vous logerez dans la rue Doullenbourg, et vous y établirez votre famille. »

Plus tard, on parla pourtant de ceci à l'Empereur, qui, admirant la délicatesse du colonel, dit au maréchal Marmont.

« Est-ce qu'il a tort, est-ce que je lui en veux, n'y allait-il pas ce pas ce jour-là de bon jeu, et se seraitil sauvé s'il eût fallu mourir pour mon service? Assurément, Sire, il aurait préféré se laisser tuer que de fuir à votre préjudice.

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Eh bien, je tiens que l'intention vaut le fait s'il n'est pas mort ce jour-là, peut-être tombera-t-il sur un autre champ de bataille; qu'il se tienne donc tranquille, je lui laisse sa rue; d'ailleurs, je dis, moi aussi, ce qui est écrit est écrit.

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