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Sont-ils autre chose dans la Belgique, abstraction faite de l'ordonnance de 1639?

On répond que la publicité consiste uniquement dans la présence du propre curé et de deux témoins; qu'aucune loi irritante ne requiert d'autres solennités,

Ainsi, pourvu que le curé et deux religieux (*) soient dans la confidence, le mariage est revêtu des formalités nécessaires.

Bien entendu que, pour échapper au vice de clandestinité, il faut que le supérieur ecclésiastique ait accordé dispense de bans et de marier ailleurs qu'à l'église.

Les évêques avaient-ils à cet égard un pouvoir discrétionaire? Impossible de le supposer; car ils auraient eu le droit de dénaturer l'institution du mariage, qui a son fondement dans les lois sociales.

L'usage d'administrer en Belgique le sacrement du mariage dans l'église, était trop impérieusement établi pour qu'il fût permis à un évêque de l'autoriser ailleurs, sans des causes très-graves.

De ce que l'ordinaire, mu par des motifs importans, aurait accordé la dispense de tous les bans, et en même temps de contracter mariage dans une maison particulière, s'ensuivrait-il qu'il aurait pu valablement autoriser le secret pendant toute la vie des époux ?

Mais il aurait alors autorisé un désordre scanda

(*) C'est le cas de cette cause.

leux; car la cohabitation, quoique putativement légitime, pouvait être surprise par des yeux étrangers: c'eût été provoquer l'accusation du concubinage.

Le pouvoir des supérieurs ecclésiastiques avait ses bornes. On trouve dans le Journal du palais un arrêt du parlemeut de Paris, du 22 décembre 1672, qui déclare abusives des dispenses de publications de bans et de marier qualibet horá, pour la célébration du mariage d'un maître avec sa servante. Le magistrat civil ne manquait jamais de réprimer les écarts de la vraie doctrine. Mais n'imputons pas aux supérieurs ecclésiastiques des abus dont sans doute ils ne se sont pas rendus coupables.

Des circonstances particulières, mais temporaires, peuvent paraître assez fortes pour déterminer une exception à la règle générale.

Un mariage occulte dans son principe et dans sa fin, ne pourrait être justifié par aucun pouvoir, quant aux effets civils. C'est un mariage devenu clandestin dans l'esprit des lois ecclésiastiques et de l'état : il entraîne les mêmes conséquences, sur-tout quand, indépendamment du mystère des époux, il n'est porté dans aucun registre public.

Il est facile de détourner un acte confié à la foi d'un seul homme. Mille accidens peuvent le détruire. Que restera-t-il pour empêcher que la fantaisie des époux ne les sépare, et qu'ils ne contractent d'autres liens? Point de possession d'état, ou plutôt une possession d'état contraire rien donc pour fonder la moindre preuve.

L'usage de célébrer les mariages à l'église (et l'usage tient lieu de loi), les conciles nationaux, les placards qui prescrivent la tenue des registres publics condamnent moralement les mariages occultes et demeurés tels jusqu'à la mort d'un des époux, par la même raison que toute espèce de clandestinité est en aversion aux mœurs et aux lois de la Belgique, par la même raison qu'ils ont été rangés en France dans la classe des mariages clandestins.

En effet, toute nuance disparaît dès que la célébration faite dans les ténèbres a traversé la durée du mariage sans être connue : les époux sont censés eux-mêmes n'avoir attaché à leur union d'autre intérêt que celui de la paix de leur conscience.

Du reste, nous n'avons plus à déplorer cette science mystique et si féconde en expédiens, qui trouvait, dans le génie des casuistes, des remèdes à tous les vices, et qui dépravait l'ordre social, par cela seul qu'elle gouvernait souvent en dépit de la morale publique.

Ces temps ne sont plus : ils n'auraient jamais existé pour les organes de la loi civile, si la matière de la validité des mariages n'eût pas été usurpée par l'autorité ecclésiastique. L'état des personnes ne saurait être un problême dans l'ordre social, et tout magistrat inflexible aurait refusé, avec justice, les effets de la loi civile à quiconque n'eût pas eu un titre public pour les réclamer.

C'est ce qu'a fait la Cour d'Appel dans l'espèce

suivante :

Pétronille Heeksteyt était en état de domesticité

chez le sieur Josse Vanovrewaele, veuf avec enfans. Elle prétend avoir contracté mariage avec son maître, en 1781.

En effet, au décès de Vanovrewaele, arrivé en 1806, Pétronille Heeksteyt requiert du curé actuel de la paroisse de S.-Sauveur, de Gand, la représentation d'un acte de mariage, rédigé sur une feuille séparée.

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Le curé produisit l'acte renfermé dans une enveloppe, où se trouvait en même temps une dispense de l'ordinaire de célébrer le mariage à l'église (pourvu qu'il se fit dans un endroit honnête), et de toutes publications de bans.

Un notaire constata ces pièces et en dressa procès-verbal.

L'acte de mariage porte la signature du curé qui dirigeait alors la paroisse de S.-Sauveur, celle du sieur Vanovrewaele, la marque de Pétronille Heeksteyt, et relate l'assistance de deux religieux du Montcarmel, pris comme témoins, ainsi que leurs signa

tures.

Un contrat de mariage passé devant un notaire de Gand avait précédé la célébration. Les deux mêmes religieux y comparaissent comme témoins.

Ce contrat assurait à Pétronille Heeksteyt un douaire d'environ cinquante louis, et quelques autres avantages.

Quels furent les motifs de ces opérations ténébreuses?

On soupçonne facilement que Vanovrewaele cherchait à cacher son alliance à ses enfans, à sa famille et au public; mais, faute de production de la supplique adressée à l'évêque diocésain, et dans laquelle ses motifs sont sans doute allégués, on est réduit à les deviner.

Quoiqu'il en soit, rien ne transpira, et le secret a duré jusqu'à la mort de Vanovrewaele.

Pour rendre le secret impénétrable, Pétronille Heeksteyt conserva le titre de servante pendant les vingt-cinq ans qui suivirent son mariage, et quoique Vanovrewaele eût une belle fortune, elle fit seule le service domestique jusqu'à la mort de ce dernier.

Elle a toujours été portée au recensement de la ville de Gand, en qualité de servante, et Vanovrewaele acquittait la contribution à laquelle cette qualité donnait lieu.

Son nom n'a paru dans aucun acte sous un autre titre, et, pour soutenir l'œuvre du mystère jusqu'à sa fin, Vanovrewaele fait, quelque temps avant sa mort, un testament, par lequel il lui lègue l'usufruit de deux maisons, sans la qualifier d'épouse. Il est vrai qu'il ne lui donne pas le titre de servante.

C'est dans cet état de choses que Pétronille Heeksteyt est venue réclamer la qualité de veuve de Vanovrewaele, l'exécution de son contrat de mariage, et tous les effets civils que lui accordent les lois.

Elle devait s'attendre à un refus: elle l'éprouva. Vanremers et Josse Vanovrewaele, gendre et fils

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