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elles ont accompli leur œuvre pacifiquement; et c'est là un grand progrès, un des plus grands progrès que puisse offrir l'humanité. La monarchie belge, en acceptant toutes les libertés, a anticipé l'avenir et réduit les théories sociales à des questions de mots; la Belgique, en attendant que les autres peuples se placent à la hauteur de ses institutions, peut sans déshonneur être stationnaire; si elle ne retrouve pas le calme absolu, c'est que l'Europe entière est entrée dans cette ère active et inquiète ouverte en Angleterre depuis deux siècles; c'est que l'esprit des peuples, comme l'esprit de l'homme, a peut-être pour toujours perdu le repos; c'est qu'il est impossible à la nation belge de ne pas se ressentir de ce mouvement universel qui doit agiter le monde sans l'emporter.

Bruxelles, le 20 septembre 1834.

PRÉFACE

DE LA PREMIÈRE ÉDITION.

Le public vit au jour la journée; bien que rien d'important ne lui reste inconnu, l'enchaînement des faits lui échappe. Et cependant tout se tient dans les choses humaines, tout est alternativement cause et effet. Dans ce long drame auquel nous assistons depuis 1830, qu'il s'agisse d'expliquer un succès ou un revers, il nous faut remonter, d'évènement en évènement, au premier jour de la révolution belge, et arrivés là, pour comprendre la révolution elle-même, nous sommes obligés de nous reporter au premier jour de l'existence du royaume-uni des Pays-Bas.

Les hommes qui ont su coordonner les évènemens dans leur esprit ne sont pas en grand nombre; trop souvent les passions politiques sont venues rompre la suite des idées, et obscurcir la série des faits.

L'auteur de cet ouvrage a été placé dans une situation qui ne lui a point permis de manquer de mémoire; il est convaincu que pour éclaircir bien des questions, il suffit de remettre les faits à leur date, et d'en constater, en quelque sorte, la généalogie.

Il n'hésite point à croire que, par ce procédé, il lui sera facile de réhabiliter la révolution belge dans ses causes et dans ses résultats; il soutient que cette révolution a été légitime dans son origine, glorieuse dans son dénouement; homme de la révolution, il a ramassé ce que deux années d'une existence laborieuse lui ont laissé de force et de courage, pour livrer un dernier assaut aux contre-révolutionnaires et aux ultra-révolutionnaires.

Il n'a pas eu la prétention d'écrire une histoire; il a dû supposer beaucoup de choses connues; il en est d'autres qu'il a jugé inutile de faire connaître. Plus de détails auraient nécessairement nui à l'unité d'intention.

Il n'a pas considéré la révolution comme un évènement purement intérieur; il l'a rattachée dans sa pensée aux destinées de l'humanité; et son horizon s'est alors élevé et agrandi. L'histoire de la Belgique est, depuis 1830, celle de l'Europe. Dans le lointain des révolutions de juillet et de septembre, il n'apparaîtra qu'une grande question, à savoir comment on a pu maintenir la paix de l'Europe, et donner à la France une dynastie constitutionnelle, à l'Angleterre, la réforme électorale, à la Belgique, l'indépendance. Il s'est tacitement formé une association qui, appelée à résoudre ce problème, a rempli une des plus belles missions qui puissent être dévolues à des hommes: cette association a eu pour chefs en France, Louis-Philippe, Talleyrand, Périer, Guizot, Broglie, Thiers; en Angleterre, Grey, Palmerston, Durham, Brougham; en Belgique, Léopold, ceux qui ont amené la royauté de ce prince, ceux qui l'ont soutenue; à ces noms l'histoire en ajoutera d'autres que la cause de la civilisation ne répudiera point, elle nommera ce roi qui, placé entre la France et la Grande-Bretagne, l'Autriche et la Russie, s'est, comme homme d'état, montré digne de porter la couronne du grand Frédéric. Vus de

cette distance, les évènemens prendront leurs véritables proportions, et les intérêts secondaires s'effaceront devant ces immenses résultats.

Si l'on avait moins souvent perdu de vue l'ensemble des faits et des rapports, si l'on n'avait point isolé chaque évènement de ceux qui l'ont précédé et suivi, et la Belgique de l'Europe qui l'entoure, bien des erreurs ne seraient pas parvenues à s'accréditer, bien des nécessités auraient été plus généralement senties. La Hollande s'étant, en 1814, adjoint une population double de la sienne, l'antipathie devait amener la lutte, le nombre décider de la victoire; la révolution advenue, il n'y avait pour la Belgi

que de salut que dans une indépendance et une monarchie

avouées par l'Europe. Ces divers évènemens ont été pour ainsi dire obligés : appelez cela système, fatalité, Providence, n'importe; pour le moment bornons-nous à constater que ce n'est pas d'accident en accident que la Belgique est tombée dans une situation qui ne serait que précaire, mais qu'elle est parvenue, à travers une succession nécessaire de faits, à un ordre de choses qui a son principe de vie et de durée. Ce n'est pas à dire que la révolution ait, dès le premier jour, compris sa mission et aperçu son but : entrée comme par instinct dans la voie qui l'a sauvée, elle y est demeurée par réflexion. L'auteur n'est point de ceux qui désespèrent de la civilisation, parce que tout n'a pu se faire en un jour : à chaque génération sa tâche; le travail des siècles s'accomplit lentement; il nous suffit, à nous, d'avoir fourni notre contingent. Nous n'avions trouvé que l'emplacement d'un peuple : par un concours unique de circonstances, il nous a été donné de fonder une nation. Plus heureux que nos pères, nous aurons assisté au triomphe d'une cause dont ils avaient tant de fois désespéré.

L'auteur, n'eût-il point eu l'intention de publier son

écrit, ne se serait pas moins livré à ce travail; il aurait voulu se rendre compte du temps où il a vécu, pour se bien persuader à lui-même qu'il a fait son devoir et qu'il peut être en paix avec sa conscience. Il a eu ses jours de doute et de découragement; ce n'est qu'après avoir acquis l'intelligence des conditions auxquelles étaient subordonnés le sort de sa patrie et celui de l'Europe, qu'il s'est senti soulagé, et qu'il a été plein de foi dans l'avenir. Citoyen d'une province dont l'existence était contestée, sa position individuelle était difficile; il pense avoir accordé aux affections locales tout ce qu'elles pouvaient exiger de lui; homme, belge, luxembourgeois, il n'a pas osé croire qu'on pût sacrifier la Belgique à une partie de province, ni l'Europe à la Belgique; il désirait qu'on parvint à concilier ces intérêts divers, et s'il s'est trompé, c'est de bonne foi; il avoue que ses amis et lui n'ont pas fait dériver leurs devoirs politiques de ce sentiment étroit qui se renferme dans une localité, mais d'un ordre supérieur d'idées auquel se rattachent l'indépendance de la Belgique et la paix du monde.

L'auteur en est à son premier culte, à son premier serment politique, le seul peut-être que l'on fasse sincère et solennel; il est deux choses dont il est également fier : c'est d'avoir, avant septembre 1830, fait de l'opposition contre le pouvoir, et d'avoir, depuis, fait du pouvoir contre l'anarchie. Qu'on lui permette de rappeler qu'un des premiers en Belgique, au sujet d'un acte fameux', il a contesté la légitimité des droits d'une maison alors toute-puissante; il peut, sans lâcheté, respecter une dynastie aujourd'hui malheureuse : il aurait même désiré garder le silence sur la conduite de la Hollande et de son roi; si, forcé dans

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