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» Et à la verité vous faites un grand preiudice à vostre liberté de la revoquer si souvent en doute que vous faites, en recherchant de vos ennemis le titre d'icelle avec tant de soin et contention, comme si vous ne teniez pas le decret public, en vertu duquel vous en joüissez dés si long-temps, confirmé par le bonheur de vos armes, assez suffisant et valable, sans y adjouster ce que vous pretendez obtenir d'eux, qui sera aussi bien inutile, si les mesmes armes avec lesquelles vous avez acquis cette liberté, et la bonne conduite dont vous userez à l'advenir, ne la vous conservent. Pour le regard du temps que cette trefve doit durer, les deputez des Archiducs nous avoient tousiours declaré avant leur depart qu'ils ne l'entendoient faire que pour sept ans au plus; mais ils nous ont depuis escrit que les Archiducs la consentoient iusques à dix, sur la tres-instante priere et instance qui leur en a esté faite de nostre part. Nous eussions bien encore desiré d'y faire adjouster quelques années de plus s'il nous eust esté possible, pource que de cette longueur de temps, et de la paisible joüissance de vostre liberté, assistée d'une bonne conduite, doit principalement dependre vostre seureté, non des mots que vous desirez avec si grand soin faire inserer en vostre traité.

» Nous vous prions donc de vous conformer à l'advis qui vous est donné de la part de ces Princes qui ont un si grand soin de vostre conservation, sont tres-bien instruits de l'estat de vos affaires, et ont une grande experience pour connoistre et discerner ce qui vous doit estre utile ou dommageable. Ils sçavent bien la crainte de ceux qui iugent cette trefve ne devoir estre exempte de tous dangers et inconveniens, n'estre pas vaine; mais ils connoissent bien aussi, que les dangers de la guerre seroient encore plus grands de beaucoup, et qu'on peut eviter les premiers par une bonne et sage conduite, au lieu que

les autres semblent inevitables, et s'il y a quelque remede pour s'en garantir, il depend autant du pouvoir, et de la volonté d'autruy, que de vous mesmes et de vos propres moyens.

» Nous vous exhortons pareillement de ne vous point separer les uns d'avec les autres, et qu'après avoir defendu vos advis par bonnes raisons, et sans contention et animosité, chacun se laisse vaincre et sousmettre en particulier à la resolution qui sera plus communement aprouvée, tesmoignant par cette preud'hommie et sincerité, que vous estes plus amateurs du bien public, et de l'Union qui vous a maintenu en prosperité iusques icy, que desireux de faire suivre vos opinions, si elles doivent mettre de la division parmy vous, et par ce moyen estre cause de la ruine de vostre Estat 1. >>

Le parti pacifique l'emporta, et la convention fut signée le 9 avril 1609.

En étudiant cette longue négociation dans les mémoires de Sully et de Jeannin, dans l'histoire du nonce du pape, Bentivoglio, dans les annales de Hugo Grotius, on est frappé des traits de similitude. La marche des évènemens est aujourd'hui plus rapide; ce qui emplissait autrefois un quart de siècle, se résume en quelques années, en quelques mois. Les rôles sont intervertis en ce sens que ce sont les Belges qui demandent aujourd'hui une reconnaissance; mais, à cela près, la question européenne de paix ou de guerre se présente avec les mêmes caractères; la France et l'Angleterre ont conclu une alliance pour résoudre cette question au nom de l'Europe, qui ne les désavoue point; en 1609, le chef du gouver

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Négociations du président Jeannin, tome II, page 1, édit. de Paris, 1659.

nement hollandais s'opposait à un dénouement qui devait diminuer l'influence de la maison stadhoudérienne; les États-Généraux appelaient la pacification, dans l'intérêt de la Hollande. Ne surgira-t-il pas un Oldenbarneveld pour défendre de nouveau l'intérêt national contre l'intérêt dynastique? L'alliance du 22 octobre 1832 aurat-elle le même succès que celle du 30 juillet 1603? Guillaume de Nassau cédera-t-il comme Maurice de Nassau?

Nous n'avons voulu que signaler une des plus étonnantes analogies qui soient dans l'histoire: assurément nous ne voulons point aventurer des présages que tant d'évènemens pourraient subitement démentir '.

Spectatrice de nos débats, l'Europe juge depuis deux ans la conduite de l'un et de l'autre gouvernement; trop souvent elle a pris la résistance mal entendue pour de l'habileté, la véritable habileté pour de la faiblesse : l'histoire prononcera en dernier ressort.

Elle se demandera, d'abord, quelle a été la conduite la plus utile à l'humanité; elle dira qu'au début d'une révolution qui pouvait détruire l'ordre social en Europe, la Belgique a rempli un grand devoir, en s'associant aux vues pacifiques des cabinets; elle dira que ceux qui ont compté sur une guerre générale ont fait un faux calcul et une mauvaise action.

Elle recherchera froidement les fautes du gouvernement hollandais.

Elle dira que le roi Guillaume n'a pas eu l'intelligence

Les prévisions de l'auteur n'ont point reçu de démenti: la convention du 21 mai 1833 a placé la Belgique dans une situation analogue à celle où s'est trouvée la Hollande à la suite de la convention du 9 avril 1609.

(Note de la troisième édition.)

des temps où nous vivons, en subordonnant les intérêts de l'Europe à ceux d'une dynastie.

Elle dira qu'il a commis une première faute, en contractant des engagemens envers la révolution belge, par la suspension d'armes de novembre 1830;

Une deuxième, en souscrivant, le 18 février 1831, au principe et aux conditions de l'indépendance belge;

Une troisième, en ne reprenant les hostilités qu'après l'arrivée de Léopold en Belgique;

Une quatrième, en refusant d'adhérer aux vingt-quatre articles dans le sens des réserves, ou même purement et simplement, sans préjudice à des négociations secondaires;

Une cinquième, en refusant de négocier directement avec la Belgique, en septembre 1832;

Une sixième, en ne prévenant point, par une évacuation volontaire, des évènemens qui devaient assurer à la France et à la Grande-Bretagne une haute prépondérance.

La postérité ne verra que les résultats; et, dans ce siècle, la postérité arrive vite.

CHAPITRE XXI.

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Considérations sur l'indépendance belge. Ancien état des provinces belges : absence d'unité et de dynastie nationale. Incertitude dans le développe

ment de la civilisation belge : Constitution de 1831. - Deux genres d'ennemis de l'indépendance : les partisans de la réunion à la France, et ceux de la restauration. Impossibilité d'une restauration complète et durable. Impossibilité d'une réunion intégrale à la France. Du partage. - Opinion de Mirabeau sur l'indépendance belge. De l'indifférence politique. - De l'esprit de localité. Reproche adressé par Guillaume-le-Taciturne aux

révolutionnaires du 16° siècle.

Nous avons rapidement tracé l'histoire de la révolution; nous avons cherché à nous rendre compte de la succession des évènemens, de l'enchaînement des causes et des effets; et nous avons vu la Belgique monter, à travers des crises nombreuses, au rang des nations.

La monarchie de Léopold est un fait; mais un fait, par cela seul qu'il est, n'a pas droit à l'existence. Il faut que ce fait renferme en lui-même les conditions propres à le perpétuer; ces conditions, on les dénie à la Belgique : objet de la haine de tous ceux dont la révolution a blessé les intérêts, objet des dédains de tous ceux qui, sans être froissés dans leurs intérêts, sont indifférens ou incrédules, la monarchie nouvelle est en butte aux attaques les plus multipliées; battue des vents de la presse, résisté à bien des orages : périra-t-elle à l'entrée du port? Sortie du peuple, aurait-elle perdu les sympathies populaires? Avouée par l'Europe, serait-elle hostile aux intérêts européens? Sans rapport avec le passé, sans rapport

elle a

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