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CHAPITRE III.

Gouvernement provisoire.

Congrès national. Indépendance, monarchie, exclusion de la maison d'Orange.

La période qui s'est écoulée depuis les Journées d'août jusqu'aux Journées de septembre offre un caractère indéfinissable : ce n'était ni l'ordre légal, ni l'insurrection. C'est ordinairement d'un seul bond qu'on se précipite de l'ordre légal dans l'insurrection; il a fallu un mois aux Belges pour prendre cet élan : un mois entier ils se sont arrêtés sur le seuil de la légalité, face à face avec la révolution. Ce fut l'attaque sur Bruxelles qui décida l'évènement : cette attaque est une grande faute, si, comme on l'a prétendu, le prince Frédéric avait cru devoir céder à l'invitation de quelques notables de Bruxelles; c'est un crime, si elle a été le résultat d'un plan conçu à La Haye; car, quoi de plus criminel que d'entreprendre de résoudre par la force, à Bruxelles, des questions qu'à La Haye on avait remises aux débats parlementaires. Quoi qu'il en soit, ce jour, la maison d'Orange a cessé de régner en Belgique; le gouvernement provisoire naquit pendant les Journées de septembre; il tenait son mandat de la nécessité. Lorsqu'un ordre de choses périt, il y a entre le passé qui n'est plus et l'avenir qui n'est pas encore, un interrègne où le pouvoir appartient momentanément à qui le prend; si la lacune n'était pas remplie, la société elle-même serait et resterait

dissoute; il faut bien que quelqu'un vienne prononcer le fiat tout-puissant qui doit la maintenir et la réorganiser. C'est là une légitimité incontestable.

Le 24 septembre 1830, à sept heures du matin, un premier gouvernement se forma sous le nom de Commission administrative. Cette commission se composait de MM. le baron E. d'Hooghvorst, Ch. Rogier et Jolly; de MM. de Coppin et J. Vanderlinden, secrétaires; le 25, elle s'adjoignit M. Nicolaï. Le gouvernement provisoire se constitua définitivement le 25 septembre; il se composait de MM. le baron E. d'Hooghvorst, Ch. Rogier, comte F. de Mérode, A. Gendebien, S. Van de Weyer, Jolly, J. Vanderlinden, Nicolaï et de Coppin. Le 28, M. de Potter fut adjoint au gouvernement.

Le gouvernement provisoire apporta beaucoup de modération dans l'exercice de ses pouvoirs extraordinaires; le premier jour il avait pu se poser à lui-même et comme a priori les trois questions fondamentales qui devaient surgir des évènemens encore incomplets.

La Belgique se constituera-t-elle en état indépendant?

Quelle forme de gouvernement adoptera-t-elle ?

Se séparera-t-elle entièrement de la maison d'Orange? Le gouvernement provisoire réserva dans sa pensée la solution définitive de ces trois questions au Congrès national, qu'il convoqua par son arrêté du 4 octobre 1830. Pour satisfaire à l'impatience des esprits, il laissa entrevoir son opinion, mais ne l'exprima point.

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Dans le même arrêté il se contentait de dire : « Les provinces belges, violemment détachées de la Hollande, >> constitueront un état indépendant. >>

Il chargea une commission de rédiger un projet de constitution qu'il publia sans l'adopter lui-même, sans le faire sien.

Cette commission se composait de MM. de Gerlache, président; Van Meenen, vice-président; Nothomb, secrétaire; Lebeau, secrétaire-adjoint; Ch. de Brouckere, Devaux, Balliu, Thorn, Zoude (de Namur), Tielemans, Dubus et Blargnies.

Dans sa première séance, le 12 octobre, la commission s'occupa de la question de savoir si l'on prendrait pour base du travail l'état monarchique ou l'état républicain. Trois membres, MM. Van Meenen, Tielemans et Nothomb, demandèrent l'ajournement de cette question; ils voulaient que les grands principes de liberté politique fussent posés et chaque pouvoir organisé, sans autre préoccupation, et qu'on réservât pour le couronnement de l'œuvre, l'organisation du pouvoir du chef de l'État; les autres membres furent d'avis qu'il était nécessaire d'adopter avant tout soit le système monarchique, soit le système républicain, et cette opinion prévalut.

Le même jour, dans une séance du soir, la commission décida, à la majorité de huit voix contre une', que la forme du gouvernement serait monarchique; elle arrêta dans les séances suivantes les bases de la constitution; et le 16, elle s'ajourna, après avoir chargé son secrétaire et M. Devaux de préparer un projet d'après ces bases. Elle se réunit de nouveau le 25, prit lecture du projet, et l'adopta après y avoir fait quelques changemens partiels. Le projet fut publié le 28; la veille, le secrétaire-rapporteur en avait donné lecture au gouvernement provisoire; M. de Potter ne put s'empêcher de lui dire : Ce n'était pas la peine de verser tant de sang pour si peu de

chose.

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Pour la monarchie: MM. de Gerlache, Van Meenen, Lebeau, Devaux, Nothomb, Ch. de Brouckere, Balliu et Zoude (de Namur). Contre M. Tielemans. Les autres membres n'étaient pas encore nommés ou n'avaient pas pris séance.

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Il faut s'être trouvé à Bruxelles à cette époque pour se faire une idée de l'accueil que reçut ce projet monarchique; il fut généralement considéré comme une œuvre de réaction. La commission avait fait cependant un sacrifice aux passions du moment, en s'abstenant de se servir de la qualification de roi, et en employant la dénomination générale de chef de l'État.

Le Congrès national ouvrit ses séances le 10 novembre; le 18 il proclama, à l'unanimité de 197 voix, l'indépendance de la Belgique, sauf les relations du Luxembourg avec la Confédération germanique; le 22, il décréta, à la majorité de 174 contre 13', que la forme du gouvernement serait monarchique: le projet de la commission fut renvoyé aux sections; l'assemblée adopta un plan plus méthodique; les différens titres furent successivement discutés et votés, et la constitution se trouva achevée le 7 février 1831. Nous n'entrerons dans aucun autre détail : par la nature de cet écrit, nous ne pouvons voir dans le travail constitutionnel que le point par lequel la Belgique touchait au système européen, à la question de paix ou de

guerre.

Nous avons dit pourquoi le gouvernement provisoire s'était abstenu de prononcer la déchéance du roi Guillaume et de sa dynastie; néanmoins, il refusa formellement, et à plusieurs reprises, d'entrer en relation avec le prince d'Orange, qui avait établi à Anvers une espèce de contre-gouvernement, et il affecta de considérer comme insignifiante la proclamation du 16 octobre, par laquelle le prince reconnaissait l'indépendance de la Belgique: proclamation qui exerça cependant une grande influence sur beaucoup d'esprits, assez faibles pour avoir besoin de

1 Pour la république : MM. Seron, A. de Robaulx, Lardinois, J. Goethals, David, de Haerne, Goffin, de Labbeville, Fransman, Delwarte, Cam. de Smet, Pirson et de Thier.

croire à une transaction. C'était de la part du prince un coup de désespoir; le 25 octobre il quitta Anvers, abandonnant cette ville au général Chassé, et la Belgique à ellemême. Anvers fut bombardé le surlendemain. Ce fut une nuit terrible que celle du 27 au 28, terrible à Anvers, terrible à Bruxelles même : une vaste lueur rougeâtre, reflet éloigné de cette scène lamentable, se dessinait à l'horizon, et le vent nous apportait le bruit expirant des bordées des forts et des frégates.

Le gouvernement provisoire avait établi son siége dans l'ancien palais des États-Généraux à Bruxelles; du haut du péristyle il pouvait en quelque sorte assister à l'incendie d'Anvers. Fidèle à la marche qu'il avait adoptée, il ne crut pas, même en présence d'un évènement aussi déplorable, pouvoir s'arroger un droit réservé au Congrès national. Enfin le 23 novembre, la question fut mise à l'ordre du jour sur la demande de M. C. Rodenbach, député de la Flandre occidentale. Le ministère français, dont le chef était alors M. Laffitte, demanda un ajournement, mais ce fut en vain. C'était là une de ces questions qui, une fois posées, ne sont pas susceptibles d'être ajournées; après deux jours de discussion, l'exclusion perpétuelle des membres de la maison d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique fut prononcée à la majorité de 161 voix contre 28. Ce décret n'était que la conséquence et la sanction du décret sur l'indépendance, qui, pour être complète, exigeait une double déchéance : celle du peuple hollandais et celle de la dynastie hollandaise. En acceptant le prince d'Orange, la révolution eût reculé devant ellemême, et elle n'eût fait que rétrograder de jour en jour davantage la pensée de la conquête n'eût point été détruite; il n'y aurait eu qu'un simulacre d'indépendance; le prince eût été, d'abord, un rebelle associé à des rebelles, puis une personne interposée, et il aurait

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