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indépendance par rapport à la felicité : mais CHAP. VII on pouffe le defintereffement de la creature à l'égard de Dieu jufqu'à un excès qui paroitroit injufte & impoffible dans Dieu même, s'il avoit un égal.

8. Mais c'eft affez parler contre un defintereffement imaginaire, qui eft comme le rival de celui de Dieu, & qui s'efforce de l'obfcurcir. Reconnoissons que Dieu feul aime gratuitement ce qu'il aime hors de lui, dans le fens qui a été expliqué : c'eft à-dire, fans befoin, & avec une pleine indépendance Que pour montrer les richeffes de fa mifericorde, il nous a aimez, quoique pecheurs, afin que nous ceffaffions de l'être ; que fa charité a été jufqu'à cet excès, que de livrer pour nous fon propre Fils, avant que nous fuffions touchez de repentir, & par confequent lorfque nous étions très-éloignez de l'aimer; & que c'eft fon amour pour nous, qui eft le principe & la fource de celui que nous avons pour lui & pour fon Fils, qui s'eft rendu notre victime. In hoc apparuit caritas Dei in nobis, dit l'Apôtre faint Jean, quoniam filium fuum unigenitum mifit Deus in mundum, ut vivamus per eum. In hoc eft caritas, non quafi nos dilexerimus Deum, fed quoniam ipfe prior dilexit nos, & mifit -Filium fuum propitiationem pro peccatis noftris. Obfervons ces paroles: In hoc apparuit caritas Dei in nobis: In hoc eft caritas. - Comprenons bien ce qu'elles fignifient; plaçons-les bien avant dans notre cœur, & tâchons d'entrer dans les fentimens de reconnoiffance & d'amour, dont le difciple bienaimé étoit plein en repetant après lui: C'est » en cela que Dieu a fait paroître fon amour

כן

1. Joan. 1. 9.

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CHAP. VII. » envers nous, en ce qu'il a envoyé fon Fils unique dans le monde, afin que nous vivions par lui: C'eft en cela que confifte cet ɔɔamour, que ce n'eft pas nous qui avions » aimé Dieu, mais que c'eft lui qui nous a » aimez le premier, & qui a envoyé fon Fils, » pour être la victime de propitiation pour » nos pechez.

Paffons maintenant à la feconde partie du fujet de ce chapitre, & expliquons comment J. C. crucifié eft le motif le plus preffant pour nous porter à aimer Dieu.

ARTICLE II.

JESUS-CHRIST crucifié eft le motif
le plus puiffant pour nous porter
à aimer Dieu.

que

la

ORSQU'ON dit que J. C. crucifié eft be motif le plus preffant pour nous porter à aimer Dieu, on ne le fepare point de fon Pere avec lequel il eft une même chose. C'est lui-même que nous devons aimer, en aimant Dieu car il eft la verité auffi-bien voie. Il nous a prouvé fon amour en mourant pour nous : & il nous preffe de répondre à fon amour par le nôtre. Mais il eft en même tems le terme de notre amour, auffibien que le motif; & nous ferions injure au Pere, bien-loin de l'honorer, fi nous feparions l'amour & les actions de graces que nous lui devons à cause du don qu'il nous fait de fon Fils, de l'amour & de la reconnoiflan

ce que nous devons à fon Fils, qui s'eft livré CHAP. VII. pour nous à la mort, & un tel genre de mort

que

celui de la croix. Qui non honorificat fi- Joan. 5. 23-lium, non honorificat patrem quimifit illum. Omnes honorificent filium, ficut honorificant patrem. C'est donc la même chofe de regarder JESUS crucifié comme le motif le plus capable de rous porter à aimer fon Pere, ou à l'aimer lui-même, & je fuppofe 'qu'on fe fouviendra toujours de l'unité effentielle qui rend le Fils infeparable de fon Pere.

§. 1. Pour avoir quelque idée de l'amour que Dieu a eu pour nous en livrant fon Fils',

de celui que nous lui devons, il faut fe représenter l'état où nous aurions été fans lui, & les peines éternelles de l'en fer dont ce Fils nous a délivrez. Ces penfées, bien-loin de diminuer la confiance, L'augmentent.

1. POUR avoir une connoiffance au moins imparfaite de l'amour que Dieu a eu pour nous, & de celui que nous lui devons, il faut nous mettre en efprit dans l'état où nous auroins été, s'il ne nous avoit pas donné fon Fils unique pour nous en délivrer. Concevons donc que nous fommes nez pecheurs & que dans la fuppofition que je fais, dont la feule mifericorde de Dieu a empêché la réalité à notre égard, nous fommes fans liberateur & fans efperance: qu'après une vie pleine d'iniquitez, fort courte & fort malheureufe, nous paffons d'une premiere mort à une feconde, qui nous prive de l'ufage de toutes les creatures, & qui nous cache par d'éternelles tenebres le fpectacle della nature ;

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CHAP. VII. que nous fommes livrez à des efprits pleins de haine & de fureur contre l'homme, & qui ne font confolez dans leurs tourmens que par ceux qu'ils lui font fouffrir: que nous fommes avec eux plongez dans des gouffres de feu, & que ce feu ne s'éteindra jamais qu'un ver immortel & infatigable nous rongera toujours, le cerur, fans nous porter jamais à un falutaire repentir: qu'un affreux & continuel défefpoir ajoute à chaque moment à notre fupplice une impatience qui le redouble: que le frémiffement & le grincement des dents, marque funefte de notre impénitence auffi-bien que d'une douleur infuportable, eft notre feule confolation: que toute iffue de cette horrible demeure eft fermée pour toujours, & que nous en fommes convaincus: que la lumiere de la juftice nous fera toujours refufée : qu'un anathême irrévocable, & un intervalle fans fond, nous fepare de la célefte Jerufalem, & de fes heureux ci oiens que Dieu n'eft pour nous qu'un Dieu irrité & inflexible, & que notre volonté créée pour lui, fera éternellement privée du bien fouverain, vers lequel elle fera malgré elle dans un mouvement qu'il ne fera pas en notre pouvoir d'interrompre Uniffons enfemble ces terribles circonstances, & tâchons d'en foutenir un moment la vûe, non pour effrayer inutilement une imagination qui ne va point au remede, mais pour en édifier notre foi, & pour la porter par cet affreux amas de miferes & de châtimens que nous avons meritez, à rendre de continuelles & d'immortelles actions de graces à J. C. qui nous en a délivrez.

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2. C'est lui-même qui nous a fait la pein

ture de cette inconcevable mifere, à laquelle CHAP. VII. nous étions condamnez fans lui, & qu'aucun ne peut éviter qu'en croyant en lui, & en l'aimant. Ce feroit accufer de menfonge la verité même, que de chercher quelque exageration dans fes paroles, qui font d'ailleurs fi claires & fi précifes, qu'on ne fçauroit les obfcurcir. C'eft le Juge de tous, qui condamne le ferviteur inutile à des tenebres exterieures qui dit que le feu de la gêne ou de l'enfer ne s'éteint point, & que le ver qui confume ceux qui y font condamnez, ne meurt point. C'eft lui qui nous parle de larmes éternelles & infructueuses, & de grincement de dents. C'eft lui qui met entre Lazare & le mauvais riche un abîme infurmontable, & qui fait refufer par Abraham une goutte d'eau à ce malheureux plongé dans les Hammes. C'eft lui enfin qui prononce contro les réprouvez ce formidable arrêt : » Reti>> rez-vous de moi, maudits, & allez au feu

éternel, qui a été préparé pour le diable » & pour fes anges. » Eft-il permis, en l'entendant, de faire autre chofe que de trembler ? & un fi effrayant tonnerre dans la bouche de la verité & de la juftice même, ne doit-il pas reveiller de leur affoupiffement ceux en qui la foi n'est pas éteinte ?

3. Je fçai qu'il y a des perfonnes qui s'occupent rarement de ces veritez, & qui en éloignent même la vue à deffein, parce qu'elles font plus propres, felon leur penfee, à exciter la crainte, qu'à nourrir l'amour, & qu'elles répandent dans l'ame une terreur qui diminue la confiance, dont ces perfonnes évitent de troubler la douceur & la tranquillité. Mais y a-t-il quelqu'un qui foit

GY

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