Page images
PDF
EPUB

CHAP. V.

§. 6. Il faut exhorter les Chrétiens à con. noître leur véritable grandeur, & à n'en pas dégénerer. C'est une chofe commune. parmi eux, de préferer les moindres biens à leur ame, quoiqu'elle foit au-deffus de l'univers entier. Quelle difference entre un homme qui court fans ceffe après les faux biens un homme détrompé par la croix de JESUS-CHRIST, qui ne fonge qu'à fauver fon ame?

[ocr errors]

I. RICONNOISSIZ, ô Chrétien, nous dit un grand Pape, quelle eft votre dignité, & après avoir été affocié à la Divinité du Fils de Dieu, ne retournez pas à votre ancienne baffeffe, par une vie qui vous dégrade & vous des honore. Souvenez-vous de l'augufte Chef, dont vous êtes devenu le membre. Souvenez-vous de la fainteté du corps, où fa grace vous a fait entrer : S. Leo. Serm. Agnofce, ô Chriftiane, dignitatem tuam, de nativ divina confors factus natura, noli in veDomini. terem vilitatem degeneri converfatione redire. Memento cujus capitis, & cujus corporis fis membrum.

[ocr errors]

2

2. Mais devroit-il être néceffaire qu'on nous fit fouvenir de notre dignité, & d'une telle dignité, qui furpaffe toute intelligence? A t on befoin de dire à un Roi qu'il eft Roi Et quelle comparaifon peut, on faire d'une Royauté, qui ne feroit que temporelle, avec un Royaume éternel? Ne rou-git-on pas d'une naiffance baffe, d'un état humiliant, d'une mifere extrême, fans qu'on prenne foin d'en infpirer de la confufion & de l'éloignement ? Quelqu'un délivré de la

[ocr errors]

mendicité, de la captivité, d'une affaire CHAP. V. honteufe & criminelle, eft-il porté, s'il n'eft retenu par fes amis, à fe rengager dans le malheureux état d'où il eft forti è N'est-ce pas une grande preuve de notre mifere, que de la fentir fi peu ? N'eftce pas un grand témoignage de notre bas feffe, que d'être fi peu touché de notre véritable grandeur ?

3. Nous fommes par notre premiere deftination, & encore plus par notre création nouvelle, au-deffus de tout ce qui doit finir avec le tems, au-deffus de l'univers entier, con fideré comme l'affemblage de tous les biens qui ne font ni la juftice, ni la verité : & ce feroit pour nous une extrême folie, de perdre notre ame pour acquerir tout le mondes puifque rien ne peut entrer en compa raifon avec elle, ni tenir lieu d'échange à fon égard. Et cependant tout entre en comparaifon avec elle, & fouvent tout lui eft préferé. On délibere ferieufement entr'elle & les moindres biens: entr'elle & une efperance fouvent mal fondée des biens les plus legers: entr'elle & la crainte des maux paffagers, & fouvent imaginaires. On oublie à chaque moment ce qu'elle eft, & ce qu'elle a couté. C'eft être fage, que de s'en fouvenir; c'est être vertueux, que de lui donner la préference. Et l'effet du plus grand courage confifte, à être plus touchez de notre interêt perfonnel que de tout autre, nous eftimant plus nous-mêmes, que ni la liberté, ni la vie, felon cette parole du grand Apôtre Non facio animam meam A&t. 20: 28 pretiofiorem quam me. Je fais plus d'état 3 de moi que, de ma vie.

[ocr errors]

en

HAP. V.

י,

4. Mais ce courage, qui eft fi conforme à l'équité, & fi étroitement lié avec nos véritables interêts, & qui par confequent devroit être fort commun, eft devenu trèsfare. Une ame immortelle, achetée fi cherement par fon Liberateur, deftinée à un bonheur infini, & qui eft le bonheur de Matt. 25.21 Dieu même, felon cette parole, intra in gaudium Domini tuis eft presque toujours facrifiée à un bonheur préfent, ou plutôt au defir & à la recherche d'un tel bonheur. Mais demandez à ceux qui le cherchent avec tant d'empreffement, s'ils fçavent ce qu'ils cherchent, & s'ils en ont une juste ́idée ? Demandez-leur fi quelqu'un d'eux l'a trouvé;. s'il a pû s'y fixer, s'il a pû le fixer lui même; s'il n'a pas échapé à leurs mains, quand ils ont cru l'avoir faifi; s'ils n'ont pas éprouvé que c'étoit une ombre fans réalité qui les avoit féduits; s'ils n'ont pas été dégoutez fucceffivement de tous les biens dont ils avoient fait dépendre leur félicité, avant que de les avoir obtenus. Demandez-leur fi cette experience, qui les a détrompez à l'égard de tout ce qu'ils ont obtenu, les a corrigez, & leur a ôté le defir de chercher quelque chofe de nouveau. Demandez-leurs'ils ont enfin compris que leur cœur étoit plus vafte & plus grand que tout ce qu'ils ont eu, & que tout ce qu'ils ont efperé: fi ce gouffre infatiable n'a pas paru auffi avide, & auffi plein de defirs, après tout ce qu'on y a jetté, que s'il étoit demeuré abfolument vuide.: & fi une, faim fi dévorante, à qui rien ne fuffit, ne lés a pas enfin convaincus qu'elle a un autre objet, qu'ils s'efforcent inutilement de remplacer par tous

les biens particuliers qu'ils entaffent, & qui CHAP. V. ne font à l'égard du bien infini que le cœur a perdu, mais dont il eft un continuel defir, qu'une goutte d'eau, plus capable d'allumer fa foif que de l'éteindre. Demandezleur enfin fi leur mifere, au milieu des biens préfens, n'eft pas une preuve fenfible d'une grandeur prefque infinie qu'ils négligent, & à laquelle ils ne peuvent renoncer, quoiqu'ils foient affez malheureux pour l'oublier, & affez injuftes pour mettre leur bonheur dans cet oubli.

5. Quelle difference entre ces hommes trompez qui courent, un bandeau fur les yeux, après des biens qui fuient devant eux, & qui n'ont aucune folidité; & ces hommes fidéles & recomoiffans, à qui J. C. crucifié a appris quelle eft leur véritable dignité, & quel eft le remede à leur mifère; en qui il a éteint la foif des biens, qui ne peuvent qu'augmenter leur mifere, en enfammant la concupifcence, qui eft la fource 'de leur injuftice; qui il a montré en quoi a confifte le véritable bonheur, & l'unique chemin pour y arriver; qu'il confole maintenant par la patience & par l'efpérance, & qu'il tient humiliez, mais tranquilles à fes pieds, après les avoir perfuadez, que toutes leurs anciennes agitations étoient inu tiles, & qu'ils ne pouvoient trouver de repos, de fureté, de gloire, de bonheur, qu'en fe tenant unis à lui, qui eft l'auteur & le réparateur de leur véritable grandeur, & le feul qui puiffe les relever de leur baffeffe, & les délivrer de leur mifere.

[merged small][ocr errors][merged small]

Y

CHAPITRE V I.

JESUS-CHRIST crucifié eft le fondement de notre 'efperance par rapport à la véritable juftice, & au véritable bonheur.

[ocr errors]

Our ce qui a été dit jufqu'ici prouve que notre Seigneur Jefus, crucifié pour nous, eft le fondement de notre efperance, & que c'eft de lui, & par lui, que nous devons attendre la juftice & le bonheur, qui font les deux grands objets de l'efperance chrétienne. Ceux qui ne font pas éclairez par la foi, ou qui ne fuivent pas fa lumiere, féparent ces deux chofes, en defirant le bonheur, fans defirer la justice, qui eft le feul moyen d'y parvenir. Mais ces deux chofes font inféparablement unies. Sans la juftice veritable, on fera toujours malheureux : & avec elle on ne peut l'être. » L'affliction & le désespoir *, dit faint Paul, accableront tout homme qui fait le mal le Juif premierement, & puis le Gentil. » Et au contraire, l'honneur, la gloire, & la paix feront le partage de tout homme qui fait le bien, du Juif premierement, & puis du Gentil. » La loi éternelle l'ordonne ainfi, & il ne faut efperer aucune exception.

[ocr errors]
[ocr errors]
[ocr errors]

2. C'eft donc également par rapport à la juftice véritable, & par rapport au véritable bonheur qui ne peut être qu'éternel, que

« PreviousContinue »