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que nous en foions aimez à cause de vous ? CHAP. VII. L'intervalle entre vous & nous peut-il ceffer d'être infini ? Mais fans approfondir des pa roles qui font un abîme, quoiqu'elles ne puiffent manquer d'être exactes, quelqu'un pourra-t-il déformais être affez malheureux pour mettre des bornes à l'amour qui vous est dû? Votre exemple, quand tout feroit égal entre nous, ne confondroit-il pas fon amour timide & mefuré, qui regleroit fes mouve mens par des intervalles concertez, & qui n'iroit à vous que par étude, & par une ef pece de méthode ? Mais vous êtes mon Dieu vous êtes le bien infini: vous m'aimez avec excès: vous voulez & vous obtenez que je fois aimé comme vous l'êtes vous même ? Que tous les ménagemens périffent; ou qu'ils foient le malheureux partage de ceux qui ne connoiffent ni votre amour, ni les biens qu'il nous a procurez:

avez

3. C'est en effet cette double ignorance & de votre amour, & des biens ineftimables dont il eft la fource, qui rend notre reconnoiffance fi peu vive & fi peu fenfible, & qui rallentit un amour qui devroit s'éforcer d'égaler le votre. Plufieurs n'ont pas reçû votre efprit, qui feul peut nous inftruire des biens immenfes que vous nous méritez: & comme ils n'en jugent que par les fens, ou par lefprit du monde qui ne les connoît & ne les aime point, ils de meurent froids & indifférens, ou même ftupides, au milieu des richeffes & des tréfors qui font l'étonnement des perfonnes plus éclairées, & qui peuvent dire avec l'Apo- Co., zi tre : Nous n'avons pas reçû l'efprir du monde, mais l'efprit de Dieu, afin que

CHAP. VII. » nous connoiffions les dons que Dieu nous » a faits. » Vt fciamus qua à Deo donata funt nobis. Il faut d'autres yeux que ceux du corps, pour en bien juger. Il faut une autre lumiere que celle de la fageffe humaine pour en connoître le prix. Il faut même quelque chofe de plus que la feule révélation, pour en fentir l'importance & la grandeur. Il n'y a que le cœur éclairé par l'amour, qui en juge bien. Son amour, font fes yeux: & plus fon amour est ardent, plus fes yeux font capables de difcerner, quelle eft l'efperance à laquelle Dieu nous a appellez, & quelles font les richeffes & la gloire de l'héritage des Saints: Det vobis ( Deus,) dit faint Paul, en priant pour nous auffi bien que pour les Ephéfiens, spiritum fapientia & revelationis, in agnitione ejus; illuminatos oculos cordis veftri. ut fciatis qua fit fpes vocationis ejus, & qua divitia gloria hereditatis ejus in fanctis.

Ephef. 1.17.

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4. Ce font de grandes paroles que celles que nous venons d'entendre: Det vobis Deus fpiritum fapientia & revelationis: illuminates oculos cordis veftri, ut fciatis qua fit fpes, qua divitia gloria hereditatis ejus in fanctis. Sans cet efprit de fageffe & d'intelligence, fans ces yeux éclairez du cœur, tout le myftere de la religion, tout le fruit de l'incarnation & de la mort de J. C. tout ce que nous devons à fon amour, demeure inconnu & couvert de ténebres : ou il nous laiffe auffi froids & auffi immobiles, que fi nous n'y avions aucun interêt. Mais quand l'efprit de Dieu devient la lumiere du nôtre; quand il donne au cœur

yeux éclairés quand il nous intereffe

par un vif fentiment aux biens déjà reçus, CHAP. VII & par une vive efperance aux biens qui nous font promis tous les autres objets difparoiffent; tout ce qui tenoit le cœur dans l'engourdiffement, s'évanouit, & l'on commence à comprendre ce que dit faint Paul, » que tour lui paroît une perte au Philip. 3.8. prix de la haute connoiffance de J. C.

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» & qu'il regarde comme des ordures toutes chofes, pour l'acquérir lui-même, & pour 5 le gagner, en lui facrifiant tout le refte. » Omnia detrimentum feci, & arbitror ut fercora, ut Chriftum lucrifaciam.

5. Ce

que le cœur fent plus alors, & ce qui le pénétre le plus, eft l'amour que J. C. a eu pour nous, & dont il nous a donné des preuves qui font au-deffus de l'intelligence de l'ange & de l'homme, & dont

la foi même paroît accablée: fupereminens Ephef. 3. 19. fcientia charitas Chrifti. Il ne peut se lasser de fonder cet abyme, & de s'y perdre en le fondant. Il en eft occupé jour & nuit. Plus il y penfe, plus il y veut penfer : & il lui arrive rarement d'y penfer, fans y dé. couvrir quelque chofe de nouveau, qui est la récompenfe de fes recherches, & un attrait pour les continuer. Mais comme c'eft le cœur qui fait ces recherches, & qu'il les fait par befoin, & pour nourrir fon amour, & non par une curiofité ftérile, il n'eft content, que lorfqu'il aime d'avantage; & il ne veut voir ni connoître ce qu'il y a de fublime dans la fcience de J. C. & de fes myfteres, que pour y découvrir de plus en plus jufqu'à quel excès J. C. nous a aimez, & combien il feroit jufte de l'aimer avec le même excès, fi tout notre amour

CHAP. VII. ne Ini étoit pas dû, & s'il n'étoit pas nécessairement borné par les limites d'une volonté qui ne peut être infinie.

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§ 3. On fait réfléxion que toute la vie de JESUS-CHRIST, depuis le moment de fon Incarnation jusqu'à la Croix, a été un facrifice continuel qu'il a offert pour nous: & l'on rougit de ce que notre vie, partagée par mille occupations baffes & indignes, répond fi mal à un tel sacrifice.

1. Un homme qui eft dans ces dispositions, remonte jufqu'au premier moment où J. C. s'eft revêtu de notre chair, où il s'est offert à fon pere, pour tenir lieu des holocaustes & des facrifices pour le péché, quiétoient incapables de nous juftifier. Et il le regarde dès-lors, non feulement comme acceptant la croix qui lui sera un jour préparée par les hommes, mais comme y étant déja cloué par la volonté, par fon obéiffance pour fon Pere, & par fon amour pour nous. Il ne confidere toute la vie de J. C. que comme un long & perpetuel facrifice', qui commence à fon incarnation, & qui finit à fa mort. Il comprend que tous les travaux de J.Č. toutes les fouffrances, toutes fes prieres, toutes fes contradictions de la part des pecheurs, toutes les humiliations depuis la crèche où il fut mis en naiffant, jufqu'au bois où il fút fufpendu fur le Calvaire, ont été pour nous, & nous ont eus pour but; & il ne peur affez admirer, comment des hommes fi indignes d'être aimez, ont été l'objet continuel de fa charité, & la fin d'une vie fi précieuse & fi divine, fans que rien ait interrompe l'attention continuelle que J C.-a cue pour eux.

2. Ces réfléxions le conduisent à d'autres, dont il eft humilié le premier, & qui font en effet très-humiliantes pour la plupart des fidéles, qui paffent les premieres années de leur vie dans les ténébres de l'ignorance, & dans le vice; qui retournent lentement & lâchement à la justice par la pénitence; qui partagent l'amour qu'ils doivent à J. C. par mille fortes de defirs, qu'ils croient l'égitimes, parce qu'ils ne font pas manifeftement criminels; qui fe livrent à un ftérile loifir, ou à des occupations dont ils font choix au hazard, ou par des vûes où l'amour d'eux-mêmes a beaucoup de part; qui marquent des bornes étroites à leur piété, & aux exercices qui fervent à la nourrir ; qui confiderent comme un joug tout ce qui les rappelle à la religion; qui fe délaffent en la met tant à part, ou en l'oubliant pour de longs intervalles; qui font confolez, & mis en liberté par cette efpece de tréve; qui refpirent, quand tout ce qui paroiffoit d'un devoir rigoureux, eft acquitté, & dont le cœur rentre dans fa fituation naturelle, quand il eft rendu à luimême & à fes defirs, & que J. C. ne le tient plus dans un refpect incommode, & dans un recueillement qui l'importune & qui le gêne.

3. Eft-ce donc là, dit cet homme touché & plein de réfléxions, ce que nous devons à un Dieu, qui s'eft fait homme pour nous, & non feulement homme, mais pauvre, foible paffible, mortel? qui n'a vécu que pour nous; qui ne nous a jamais oubliez un inftant; qui nous a affociez à tout ce qu'il a fait, dit, penfé, fouffert pendant toute fa vie; qui brûloit d'impatience de la donner pour nous, & de fe plonger pour nous dans un batême de fang. & de douleurs,qui fera éternellement notre vis

CHAP. VIIS

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