Page images
PDF
EPUB

animo), pris et gardé possession de ces mers; les autres émanant des peuples voisins, et devant servir à transformer cette prise de possession en droit légitime, par la reconnaissance ou l'aveu des puissances intéressées.

Faits émanés de l'Angleterre elle-même.

Les faits qui émanent directement de l'Angleterre sont, il est facile de le comprendre, ceux qui s'offrent en plus grand nombre au publiciste anglais, et dans l'exposition desquels son amour-propre national se complaît davantage.

Il place au premier rang l'institution de l'amirauté anglaise, créée d'abord sous le nom de « préfecture », « garde » ou « tutelle» de la mer.

Ce nom seul, dit Selden, n'est-il pas déjà par lui-même une preuve que la mer était considérée, par nos rois, comme une de leurs provinces, dont la tutelle ou la garde était déléguée par eux à des amiraux, au même titre que l'était, à des comtes ou préfets, celle des provinces territoriales du sol britannique 1?

Si on lui objecte que la dignité d'amiral existe aussi dans le royaume de France, il répond d'abord que l'amirauté française est une institution plus moderne, et n'offre pas le même caractère de permanence. « D'ailleurs », ajoute-t-il, « le roi « de France n'entend déléguer à ses amiraux qu'un simple « droit de commandement sur les vaisseaux, les gens de mer <«<et les arsenaux de la marine, sans leur attribuer aucun « droit de garde ou de tutelle sur la mer elle-même. » En veut-on la preuve? Selden la trouve dans la teneur des diplômes que les rois d'Angleterre délivrent à leurs propres amiraux. Mais, dira-t-on, l'amiral de France a cependant, en vertu de sa charge, juridiction sur les délits qui se commettent, non-seulement dans les ports, mais en pleine mer. Selden reprend : « Sa juridiction n'est alors qu'une juridiction

1 Non alia habebatur tutelæ maris quam telluris seu terrestris provinciæ ratio. (Mare clausum, lib. 2, c. 14.)

<< précaire, semblable à celle qu'un prince exerce quelquefois << par tolérance sur un territoire étranger 1. »

Prétendus droits de l'Angleterre sur les mers baignant les côtes de France.

Si ce raisonnement peut paraître faible, Selden se croit fort quand, rappelant avec complaisance une époque néfaste de notre histoire, il montre l'Angleterre maîtresse de presque tous nos rivages sur l'Océan, pendant que le roi de France conservait à peine le domaine direct sur quelques lieues du littoral de la Picardie 2. Et cependant, même alors, quel était, en droit et en justice, le titre du roi d'Angleterre sur les rivages de la Normandie, et, plus tard, sur ceux de la Guyenne et de l'Aquitaine? N'était-ce pas comme grand vassal du roi de France qu'il les possédait? n'était-ce pas au nom de ce roi qu'il pouvait exercer, comme une dépendance de son domaine, des droits de suzeraineté sur les mers voisines? Afin d'échapper à cette conséquence qui le presse, Selden renonce à tirer, en droit, avantage de la possession temporaire du littoral de la France par les Anglais; il soutient que, même alors, c'était en vertu du droit primordial inhérent à sa couronne, et non à raison des duchés de Guyenne ou de Normandie, que le roi d'Angleterre étendait son domaine maritime jusqu'à nos rivages. Tandis que le sol privilégié des Iles Britanniques est, à ses yeux, le centre heureux d'où rayonne en tout sens le droit absolu à la suzeraineté des mers, les beaux rivages de la France, déshérités de tout droit à ce domaine, n'auraient été placés par la nature, au bord de l'Océan, que pour servir de confins 3

1 Modo non dissimili ab eo quo princeps supremus in alieno territorio in sui comitatûs reos animadvertit, eosque ut domi regit, nec tamen obtento in ipso territorio dominii jure. (Mare c'ausum, lib. 2, c. 18.)

2 Mirum igitur non est reges Angliæ tam ampli littoris imperii dominos integros ac in solidum, per tot sæcula, maris præjacentis regnum, ut insulæ appendicem, etiam tutò retinuisse; maximè cùm, non solùm in adverso littore tam diù et tam latè imperitarent ipsi, verùm etiam præter eos qui regiunculas aliquot haberent maritimas... easque diversis imperiis subditas, non essent in vicinis qui ullo modo reluctari potuissent. (Ibid.)

3 Undè sequitur adversorum littorum illa nomina mare interluens in codicillis non omninò designare ut proprium littoribus illis seu quoquo jure ad

à l'immense territoire maritime de la puissante Angleterre 1. Cette théorie, longuement développée par Selden, le met à l'aise pour conclure que l'État britannique a conservé intacts tous ses droits sur les eaux qui baignent nos rivages, même après que les rois d'Angleterre, déchus de la Normandie, expulsés de la Gascogne et de l'Aquitaine, n'ont plus possédé sur le sol français, ni province, ni ville, ni port, ni rivage. Telle serait, suivant notre auteur, la signification et la vertu d'une vaine formule, ajoutée, précisément depuis cette époque, aux anciens titres de l'amiral anglais, et par laquelle on le désigne, non-seulement comme amiral d'Angleterre, d'Irlande, du pays de Galles, comme préfet général des flottes et des mers dépendantes de la couronne, mais aussi comme amiral de Normandie, de Gascogne, d'Aquitaine, voire même de Boulogne et de Calais 2. « Et cela pour marquer expressément, » dit « Selden, qu'en perdant ces villes et ces provinces, l'Angle<< terre a bien entendu ne rien perdre de son ancien domaine « maritime, qui continue d'avoir pour frontière les côtes de la France 3. >>

Il semble inutile de nous étendre sur les autres titres que l'Angleterre avait prétendu se créer à elle-même, soit par des actes publics dans lesquels ses rois se seraient proclamés << maîtres et seigneurs de la mer » 4, soit par des formules par

illa attinens, sed limitis transmarini duntaxat vicem (quantum ad maris anglicani et hibernici attinet) obtinere. (Mare clausum, lib. 2, c. 17.)

1 Territorium Angliæ marinum terminant. (Ibid.)

2 Admirallus noster Angliæ, Hiberniæ, Walliæ, Calesiæ et Boloniæ et marchiarum nostrarum earumdem, Normanniæ, Gasconiæ et Aquitaniæ, necnon præfectus generalis classium et marium nostrorum. (Ibid., c. 16.)

3 Ne igitur provinciis illis maritimis, diù ab Anglo olim possessis et posteà ereptis, obtendi potuisset etiam mare alluens seu confine, simul cum provinciis, ereptum esse, cùm ob præteritam possessionis in eodem domino confusionem, cunctis fortè non satis constaret de finibus maris anglicani in littore adverso, ut dictum est, positis, ideò ad fines illos designandos retentum est in præfecturæ codicillis, primò Aquitaniæ amissæ nomen, dein adjectum etiam Normanniæ. (Ibid., c. 17.)

→ Serenissimus et potentissimus Carolus, rex noster, anno superiore, titulo avito et justissimo se pronuntiavit et progenitores suos, reges Angliæ, dominos maris hujus semper hactenùs extitisse. (Ibid., c. 23.)

lementaires dans lesquelles « les communes » ou «<les lords » auraient décerné aux rois ce titre pompeux 1.

Venons aux faits par lesquels l'Angleterre aurait en effet exercé ce droit de maîtrise et de souveraineté sur toute l'étendue des mers qui séparent les Iles Britanniques de la France.

En nous restituant le duché de Normandie, la couronne d'Angleterre a conservé, près des côtes de cette province, les deux petites îles de Jersey et de Guernesey. Au lieu de voir, dans cette anomalie, un simple jeu de la fortune qui préside plus souvent qu'une logique rigoureuse à la démarcation des États, l'auteur anglais soutient que ces îles n'ont pu être délaissées à l'Angleterre qu'à titre de reconnaissance de son domaine sur la mer qui les baigne 2; mais, bientôt après, il montre lui-même combien ce raisonnement a peu de force, car à propos des îles d'Oléron et de bien d'autres qui avaient d'abord été laissées également à l'Angleterre et qui, depuis, ont été réunies au sol de la France qu'elles avoisinent, il a soin d'avertir que, par le fait de cette distraction, le domaine anglais sur ces mers n'a cependant souffert aucun détriment. (Attamen integrum, interea, mansit Angliæ regibus, ut antè, maris dominium.)

Et d'ailleurs, Selden y a-t-il pensé, lorsqu'il a voulu rattacher la possession des îles normandes (the norman isles, comme les appellent les Anglais eux-mêmes) à un prétendu domaine pré existant de l'Angleterre? cette possession n'est-elle pas au contraire un monument impérissable de l'annexion des Iles Britanniques à la Normandie? et ces vieilles mœurs, ces priviléges antiques de la province française, et jusqu'à

1 Egregium est hâc de re testimonium in tabulis parlamentariis Henrici Quinti regis, ubi ad hunc modum pro more rogatur lex. « Item priont les commens que per lou nostre très soverain seigneur le roy et ses nobles progenitors de tout temps ont ésté seigneurs del meer, etc. » (Mare liberum, lib. 2, c. 23.)

2 Neque undè ita retineri potuissent insulæ facilè intelligitur, nisi intrà Anglicani in mari imperii fines locum et ipsæ habuissent. (Mare clausum, lib. 2, c. 19.)

cette clameur de haro, qui se conservent sans altération à quelques pas de nos côtes 1, ne disent-elles pas bien haut que l'Angleterre, si fière aujourd'hui de sa domination maritime, a été cependant subjuguée autrefois par des conquérants d'outremer?

Selden range sous trois catégories les autres faits qu'il allègue comme preuves que l'Angleterre a notoirement exercé son droit de souveraineté sur les mers situées à l'orient et au nord des Iles Britanniques.

Ces faits se rapportent :

Au droit de passage,
Au droit de pêche,

Au droit de guerre.

Droit de passage dans les mers britanniques.

Pour ce qui concerne le simple passage, combien de fois des princes étrangers n'ont-ils pas réclamé de la couronne d'Angleterre des saufs-conduits maritimes pour les personnes ou les marchandises de leurs sujets, pour leurs ambassadeurs et quelquefois pour eux-mêmes ! Or ces demandes n'étaientelles pas, c'est Selden qui l'affirme, un aveu formel que l'Angleterre est souveraine absolue des mers qui l'avoisinent ??

Non-seulement, à certaines époques, la couronne d'Angleterre a imposé un droit de péage sur les navires qui traversaient ses eaux 3, non-seulement, elle regarde comme un procédé tout simple et passé en usage depuis des siècles (per omnia sæcula tralatitium est), de mettre l'embargo, quand bon lui semble, sur les navires nationaux ou étrangers qui station

1 The privileged Islands being a companion to the Islands of Guernesey, Jersey, Alderney. Jersey, 1840.

2 Nisi marini, per quod transeundum esset, territorii domina fuisset et regina, quorsùm hæc tam ambitiosa petitio quàm responsio imperiosa? (Mare clausum, lib. 2, c. 20.)

3 Imprimis hic observandum est quod in tabulis parlamentariis Richardi secundi regis occurrit de vectigali cuilibet navi, per admirallatum septentrionalem... transeunti, ad maris custodiæ seu tutelæ stipendia et commeatus, imposito. (Ibid., c. 15.)

« PreviousContinue »