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nent dans ses ports 1, mais il lui est même arrivé de faire arrêter, en pleine mer, et conduire dans un port anglais, avec leurs équipages et cargaisons, tous navires quelconques, amis ou ennemis, qui étaient trouvés passant sur son territoire maritime, pour en user ensuite comme de sa propre chose à son plaisir et volonté (suam in rem et pro libitu uti 2).

L'auteur anglais veut bien supposer, un peu légèrement peut-être, que cette mainmise sur la propriété d'autrui a toujours été suivie d'une juste indemnité au profit des armateurs dépossédés. Moyennant ce correctif, de tels actes de violence et d'arbitraire lui semblent pouvoir servir de fondement très-légitime à un droit qu'il trouve incontestable 3.

Droit de pêche dans les mers britanniques.

Pour ce qui touche à la pêche, Selden cite la date de quelques édits par lesquels des rois d'Angleterre auraient octroyé aux pêcheurs de France, de Danemark, de Frise ou de Hollande, certaines permissions de pêcher dans telles limites qu'ils définissaient et sous telles conditions qu'ils imposaient en maîtres, comme par exemple celle de payer une taxe à l'amirauté. Il avoue cependant que ces règlements sur la pêche, émanés de la couronne d'Angleterre toute seule, sont assez rares, et que le plus souvent, l'exercice réciproque du droit de pêche maritime a été stipulé dans des traités conclus avec

1 Nimirùm sisti quandoque naves quorumcumque tam exterorum quàm subditorum in portubus, per omnia sæcula tralatitium est. (Mare clausum, lib. 2, c. 20.)

2 Ex ipsis (regis Joannis mandatis) manifestum est, quatuor viros aliosque quinque portuum cives, et cæteros, in mandatis præcedentibus habuisse, omnes naves quas invenerint per mare arrestandas et salvò, cum omnibus in eis inventis, ducendas in Angliam... Nec de navibus hostium, sed quorumcunque verba fiunt, utpotè prolata à domino cujus tunc intererat non solùm territorio suo marino, sed etiam navibus in eo præternavigantibus, non aliter ac in portu stationem habentibus, suam in rem et pro libitu uti. (Mare clausum, 1. II, c. 20.)

3 Atque in eo, avito suo jure... usus est Edwardus rex tertius quemadmodùm et alii reges Angliæ. (Ibid.)

les princes étrangers: mais là même où le fait lui manque, là où la parité des droits semble ressortir des termes égaux d'un traité, Selden, interprétant à sa manière l'intention présumée des parties, veut que l'Angleterre seule ait stipulé comme propriétaire, tandis que les autres peuples auraient stipulé au simple titre d'usagers 1. A moins toutefois qu'il ne s'agisse des ports et des rivages; car, là seulement, Selden consent à reconnaître que chaque État est chez lui seigneur souverain 2.

Droit de guerroyer dans les mers britanniques.

La troisième marque par laquelle notre auteur prétend établir en fait la souveraineté maritime de l'Angleterre, c'est, ditil, que nul État, quoique en paix avec elle, ne peut, sans sa permission, guerroyer avec un autre État dans les mers britanniques. L'acte principal qu'invoque ici Selden, est un édit du roi Jacques Ier, publié (en 1604) à l'occasion de la guerre entre l'Espagne et la Hollande. Le roi d'Angleterre y défendait aux parties belligérantes de commettre aucun acte d'hostilité dans ses ports, rades, criques ou autres endroits tellement voisins desdits ports ou desdites rades qu'on pouvait raisonnablement les considérer comme renfermés dans leurs limites; il ordonnait qu'en tous ces lieux soumis à sa juridiction royale (intrà illos portus nostros et locos jurisdictionis nostræ), tous navires étrangers, marchands ou autres, fussent considérés comme étant sous sa tutelle et s'abstinssent de tout ce qui pouvait rompre la paix, sous peine d'être arrêtés par tout

1 Causa autem quòd adeò frequentes non occurrant sive transeundi sive piscandi in mari anglicano libertatis concessionum formulæ, indè planissimè evenit quia, ex fœderibus cum vicinis principibus initis, toties ejusmodi libertas fuerit (uti itidem portuum, littorum, itinerum, aliarumque rerum) ità utrinquè indulta, ut constante fœdere, velut ager compascuus, tàm fœderato utenti quàm anglo domino, mare deserviret. (Lib. c. 21.) Et ailleurs : Utrinque interim securitas ejusmodi ex pacto nonnunquam præstabatur. sed ab anglo tàm ut à domino loci quàm ut ab eo qui in amicitiam rediturus erat; ab aliis hoc tantùm nomine, non illo. (Ibid.)

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2 Nisi de portuum et littorum usu rem capias, nam ità tàm hos dominos quàm illum esse nemo diffitetur. (Ibid.)

bâtiment de la flotte militaire, ou même de la flotte marchande de l'Angleterre. Et pour l'application de cet édit, le roi Jacques avait fait dresser un tableau des parties de mer comprises dans les limites qu'il définissait, au moyen de lignes droites idéalement tracées et qui rattachaient entre eux les angles saillants des îles ou des promontoires qui entourent le sol britannique, de manière à former comme une zone circulaire de lieux d'asile qu'on appela « les chambres du roi 1». Mais à peine l'avocat de l'Angleterre a-t-il transcrit ces curieux documents, il s'aperçoit bien vite qu'il vient de fournir des armes contre lui-même : car à quoi bon tout ce soin pris par la couronne d'Angleterre pour délimiter l'étendue de ses mers territoriales, si sa souveraineté s'étend au delà, jusqu'à des distances indéfinies? Aussi, à côté de l'édit du roi Jacques, Selden place aussitôt le commentaire qu'en a donné son maître Alberic Gentilis. Sous son interprétation extensive, la lettre de l'édit disparaît, c'est l'intention du roi qu'il faut voir (edicti mentem). Le droit de la couronne britannique préexistait à cet édit. L'édit n'a pu vouloir y déroger ni le restreindre l'édit ne déclare donc pas le droit royal 2, il le sous-entend. En un mot, cet édit n'est autre chose qu'un règlement particulier fait pour telle ou telle guerre ; mais rien n'est changé par là au droit ancien en vertu duquel la suzeraineté maritime de l'Angleterre s'étend, non-seulement sur les « chambres royales », mais sur « l'Océan britannique» tout entier. C'est ainsi qu'en docteur habile, Selden forge d'abord

1 The king's chambers.

2 Neque hæc est declaratio juris regii facta in edicto, sed nova prorsus dispositio et lex. Nam declaratio nihil novi inducit, et nihil mutat. At edictum hoc mutat multùm, si multò ultra fines illos nunc constitutos porrigit se vis territorii regis. At verò non juridisctionem suam eis finibus circumscribi simpliciter voluit edicto illo, sed tantúm quoad bellica Hispanorum et Hollandorum tunc temporis invicem gesta; reliqui maris Britannici, pariter ac semper, ut decessores, dominus et moderator. Id quod tum ex edicto ipso, tum è Gentili satis est manifestum. (Mare clausum, lib. 2, c. 22.)

3 Ut in ædibus secessus reductiores seu cubicula aut conclavia, quæ cameræ barbarò-latinè nuncupari solent, habent domini, etiam ut Londinum urbs camera regis Angliæ» à vetustis sæculis in jure nostro etiamnum dicta

l'argument dont ensuite il va se servir. C'est ainsi qu'il sait plier au besoin de sa cause les faits en apparence les plus rebelles.

Mais si l'on peut supposer à Jacques Ir une arrière-pensée dans son édit, comment expliquer qu'Élisabeth, cette reine impérieuse et fière, ait fait soutenir par ses ambassadeurs (quand ils réclamaient de Christian IV, roi de Danemark, la libre navigation dans l'Océan du Nord, en 1602), ce principe libéral «que, d'après le droit des gens, la mer appartient en commun à tous les peuples et ne saurait été réduite en souveraineté particulière ?» En rappelant, comme pour mémoire, ce fait sur lequel il évite de s'appesantir, Selden semble n'y attacher aucune importance; il affecte de n'y voir qu'une sorte de réminiscence tardive d'une doctrine surannée, tombée depuis longtemps en désuétude et remplacée par un droit contraire 1; ou bien encore << on peut supposer, dit-il, que les ambassa« deurs d'Élisabeth, au lieu de s'en tenir à ce qui était à leurs « propres yeux la vérité, ont cherché des arguments dans le « droit romain pour complaire aux Danois, chez qui ce droit « était encore en honneur 2. »

Faits émanés de peuples étrangers et dans lesquels Selden prétend trouver l'aveu de la suprématie maritime de l'Angleterre.

Après ce que nous pouvons appeler les faits anglais, Selden invoque certains faits étrangers dans lesquels il trouve une

est, ipso velut nominis angustioris usu, dominio ejus quod circumquaque adjacet diffusiùs designato; ità sinus hi amplissimi simili nomine insigniti, et pro arbitrio regum Angliæ præfiniti, maris quod reliquum est, itidem dominium indicant. (Mare clausum, 1. 2, c. 22.)

1 Sanè non tàm ut juri patrio hâc in re exploratissimo adversum, quod ità excidit est habendum... quàm pro Ulpiani seu juris cæsariani scholæ reliquiis obiter in scriptione et nimis negligenter adhibitis æstimandum. (Ibid., 1.2, c. 24.)

2 Aut idem de illis (Elisabethæ legatis) dicendum, aut eos non tàm quæ sibi vera argumenta, quàm quæ apud jurisconsultos cæsareos quibuscum agerent vim habere majorem viderentur, pro re natà selegisse. (Ibid., 1. 2, c. 24.)

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reconnaissance formelle de la souveraineté maritime de l'Angleterre par les autres puissances de l'Europe.

Le plus éclatant de ces faits, c'est qu'au temps de Selden, presque toutes les marines étrangères étaient dans l'usage d'amener leurs pavillons devant celui de l'Angleterre, lorsqu'elles le rencontraient dans les parages voisins de ce royaume. Nous n'essaierons pas de dire qu'un tel usage, avec la signification qu'on lui donnait, ne fût qu'un salut de politesse, qu'une affaire de forme et sans portée : c'était, pour l'Europe, une humiliation et une honte de se soumettre à cette volonté du plus fort; c'était, de la part de l'Angleterre, un acte d'orgueil et de prépotence de l'imposer. Les rois de France l'avaient bien senti, et longtemps avant que Louis XIV eût enlevé aux Anglais, pour un temps leur suprématie maritime, et pour toujours la puissance d'humilier ainsi les neutres, des édits d'Henri II (1515) et d'Henri III (1584) avaient usé de représailles à cet égard, en enjoignant aussi à tous navires étrangers d'amener pavillon, fût-ce au milieu de l'Océan, devant les bâtiments de la marine royale de France: mais, comme le remarque Selden, le parlement de Paris, trop timide peut-être en politique dans cette circonstance particulière, mais se connaissant en modération et en équité, ordonna, en vérifiant le second édit (le premier ne lui avait pas été présenté), « qu'il ne fût rien innové à cet égard aux anciens usages de l'amirauté française. » Selden en tire avantage pour prétendre que nos parlements ont implicitement confirmé le droit de l'Angleterre, en lui abandonnant une prérogative dont l'exercice remontait, dit-il, jusqu'au règne de Jean Ier 1. Mais en rappelant à la fois le nom de ce prince et la justice de nos rois, ne nous fait-il pas souvenir de l'arrêt qui, sous PhilippeAuguste, dépouilla de son fief de Normandie, et de toutes sest

1 Utrumque (edictum) planè vicinorum, etiàm exterorum omnium juri, nimiùm adversabatur. Quod verò ità sibi ipsis imperii et dominii signum esse seu pignus voluêre illi primò in edictis quæ tamen post... rejecta jure sunt : id sanè à tot sæculis Anglo perpetuò competiisse... argumentum, maximè apud illos, leve esse nequit, quo firmetur Anglo dominium quod tractamus. (Mare clausum, 1. 2, c. 26.)

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