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ront la plupart des peuples maritimes du monde entier, résoudra, dans le sens de la justice, les principales questions soulevées dans les siècles passés, proclamera l'abolition de la course maritime et servira de point, de départ pour les progrès à venir.

CHAPITRE Ier.

LA NEUTRALITÉ MARITIME SE CONSTITUE SUR DES BASES PLUS LARGES. FORMATION D'UN GRAND ÉTAT NEUTRE EN AMÉRIQUE. PREMIÈRE LIGUE DE NEUTRALITÉ ARMÉE EN EUROPE.

Coup d'œil sur le rôle qu'avait joué la neutralité maritime avant la constitu. tion des États-Unis.

Le premier fait important, que nous venons de signaler comme ayant marqué la fin du XVIIIe siècle, est la constitution d'une neutralité maritime forte et puissante.

Trop souvent, pendant les époques précédentes, la neutralité n'avait été qu'un état précaire, transitoire et mal défini.

Les peuples qui, suivant la mobilité de leur politique, passent et repassent de la situation de neutre à celle de belligérant, neseront jamais de bien fermes appuis pour une cause qu'ils n'auront qu'accidentellement embrassée. Ce n'était pas, assurément, de l'Espagne au temps de Charles-Quint et de Philippe II, ni de l'Angleterre, en aucun temps, que pouvait venir une initiative généreuse pour l'établissement des droits de la neutralité. Une politique qui tendait ouvertement au monopole du commerce et à l'asservissement des mers, n'acceptait que par circonstance certains tempéraments, qu'elle était toujours prête à retirer.

La France elle-même, malgré ses tendances libérales sous Henri IV, était revenue, sous Louis XIV, à une politique dominatrice et conquérante, qui lui avait fait admettre, dans son droit maritime, des rigueurs inconnues même au moyen âge.

Ce fut par les efforts convergents de la Hollande et des royaumes Scandinaves que la cause des neutres commença à obtenir quelques concessions importantes.

Il y avait, en effet, chez ces peuples, un intérêt considérable et permanent à faire prévaloir les droits de la libre navigation en temps de guerre.

La Hollande avait plus particulièrement à cœur, pour développer son commerce d'économie, de conquérir la franchise

du pavillon; la Suède et le Danemark, pour maintenir leurs exportations de bois de construction, de goudron et de fer, tenaient surtout à restreindre dans des bornes étroites la définition de la contrebande.

Mais, en héritant du génie commercial des Hanséatiques, la Hollande avait aussi hérité de leur humeur ambitieuse et altière. Ce peuple, qui semblait né pour la paix, fut entraîné par ses révolutions et ses alliances à devenir, sinon l'artisan, au moins le complice d'inexcusables violences.

Quant aux royaumes Scandinaves, ils avaient posé hardiment leur neutralité, et avaient montré autant de constance et d'énergie à la défendre contre les entreprises de la force que de netteté à en définir les principes. Les noms de Hübner et de Bernstorf en font foi.

D'autre part, une puissance plus continentale que maritime, plus guerrière que marchande, la Prusse, prenant en main, sous l'inspiration du grand Frédéric, la cause des neutres, avait, dans l'affaire de l'emprunt silésien, soutenu contre les prétentions britanniques, une de ces luttes diplomatiques dont l'éclat et l'heureux succès valent mieux qu'une victoire remportée par les armes.

Et, cependant, toutes ces résistances n'avaient pas empêché l'Angleterre de parvenir à ce qui paraissait être le comble de ses vœux et de sa fortune.

Elle tenait, dans ses mains, le triple sceptre du commerce, des colonies et de la mer, lorsque, par une disposition providentielle, on vit sortir de son propre sein l'État nouveau qui devait ébranler, pour un temps, sa puissance coloniale, partager avec elle le commerce du monde, et amener, dans le droit maritime, le triomphe de ces prérogatives des neutres dont le gouvernement anglais avait été le plus injuste, le plus constant et le plus redoutable adversaire.

Ce grand événement, que nous avons pris pour point de départ de notre dernière époque, mérite bien assurément que nous nous arrêtions quelques instants à en étudier les causes immédiates et les caractères.

Montrons d'abord comment il se rattache, par ses causes lointaines, à l'histoire générale de notre Europe.

SECTION Ire

Considérations sur les causes générales d'où sont sorties l'indépendance américaine et la révolution française.

Comment, à certaines époques, l'Europe semble entraînée vers de nouvelles et communes tendances.

Si les révolutions intérieures des États présentent à l'historien un sujet d'étude plein d'intérêt, n'est-il pas plus important encore d'observer ce mouvement général des esprits qui, à certaines époques, semble entraîner notre Europe tout entière vers une tendance nouvelle, comme s'il s'agissait de réunir les forces éparses de l'humanité pour lui faire franchir une barrière qui paraissait arrêter son progrès ?

N'est-ce pas là ce qui distingue éminemment l'histoire des peuples civilisés de celle des peuples barbarés, chez qui les changements de dynasties et les révolutions d'empires ne sont, le plus souvent, que le produit de forces inintelligentes et brutales qui se heurtent et se brisent violemment l'une l'autre ?

Les croisades.

Sans sortir du sujet qui nous occupe, nous avons signalé aux xire et xш° siècles, l'enthousiasme religieux qui poussait les nations chrétiennes à traverser les mers pour conquérir les saints lieux.

La recherche des terres inconnues.

A la fin du xv siècle, et au commencement du xvi, l'esprit de découverte et de voyage, une sorte de besoin d'agrandir les limites du monde connu et de s'ouvrir des voies nouvelles au dehors, avait remplacé l'esprit de propagande catholique des croisades, ou plutôt lui avait donné une direction différente, sans le détruire.

La réforme.

Nous aurions pu signaler également, à cette dernière époque, un autre travail intérieur qui agitait plusieurs parties de la chrétienté et qui se rattachait presque aux mêmes tendances, car il s'agissait aussi d'un mouvement d'expansion de l'esprit humain, qui semblait vouloir se donner carrière pour faire des découvertes nouvelles dans le domaine de la religion et de la pensée.

Une remarque commune peut s'appliquer à ces divers entraînements des esprits et des peuples; c'est qu'à l'exception de la découverte du nouveau monde, qui a dépassé l'attente de ceux-là même qui le cherchaient, tous les projets dont on poursuivait l'exécution avec tant de zèle n'ont pu s'accomplir, ou sont restés bien en deçà du but auquel on se proposait d'atteindre. Il semble que la Providence ait marqué certaines limites où s'arrêteraient tous ces efforts des hommes, et passé lesquelles leur enthousiasme novateur viendrait s'amortir et s'éteindre.

Ainsi, malgré deux siècles et plus de croisades, la Palestine et la Syrie, le Caire et Tunis sont demeurés aux mains des Musulmans, et c'est par la côte occidentale de l'Afrique que les Européens sont parvenus plus tard dans les régions de l'Orient; mais cette agitation armée des peuples chrétiens n'en a pas moins amené des résultats considérables qui se sont produits d'eux-mêmes. C'est pendant ces guerres du dehors que << la liberté civile » a fait ses premiers pas au dedans, et au lieu des conquêtes guerrières qu'ils se proposaient en partant pour la Terre-Sainte, les croisés s'aperçurent, en revenant chez eux, qu'ils avaient conquis leurs propres franchises.

Le mouvement religieux de la réforme n'a pas non plus atteint le but extrême qu'il semblait poursuivre avec tant d'ardeur, quand l'Allemagne et l'Angleterre parlaient d'anéantir le pouvoir spirituel de la papauté. La papauté, restée debout avec ses dix-huit siècles d'existence, est encore la clef de voûte sur laquelle repose tout l'édifice de la grande société

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