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Lampredi admet les « prémisses », mais il soutient que, pour «< conclure » logiquement, il faudrait se borner à dire : Dont, les neutres ont le droit de continuer, pendant la guerre, le commerce de commission auquel ils se livraient pendant la paix.

Mais le droit de louer un navire neutre emporte-t-il pour ce navire le privilége de sauvegarder, en la couvrant de son pavillon, la marchandise ennemie qu'il voiture? Il n'y a pas, suivant Lampredi, de corrélation nécessaire entre ces deux sortes de droit. Si le dernier doit être admis, il faut le déduire d'une autre origine.

C'est ici que s'offre à la discussion de Lampredi l'argument principal et nouveau sur lequel se fonde la théorie qui présente l'immunité de la marchandise ennemie sur navires neutres comme un droit absolu, auquel on n'a pu déroger qu'en violant la loi de nature.

Cet argument, dont Hübner passe pour avoir été l'inventeur, bien qu'il l'ait formulé seulement en quelques paroles, consiste à prétendre qu'enlever des marchandises ennemies sur navires neutres, revient au même que de les enlever sur le territoire d'un État neutre. Si cette assimilation du navire au territoire était admise, la conclusion à en tirer ne pourrait faire l'objet d'un doute pour personne, car l'inviolabilité du territoire neutre est un des axiomes fondamentaux du droit des gens; mais Lampredi s'élève hautement contre cette manière absolue de présenter le navire marchand comme une portion détachée du territoire.

« Deux vaisseaux qui se rencontrent sur la haute mer ressemblent, dit-il, à deux voitures qui se croiseraient dans un lieu désert et inoccupé. Ne serait-il pas fort étrange que l'une des deux prétendît être territoire d'un État, parce qu'elle en porterait la bannière? La prétention d'une voiture de mer n'est pas moins inouïe, lorsque, ayant arboré le pavillon d'un peuple neutre, elle veut qu'on la tienne pour une portion intégrante du territoire de cet État, et fonde sur cette allégation son inviolabilité. »

Ceci ne serait encore qu'une figure: notre auteur y ajoute les raisons de droit qui, suivant lui, empêchent de confondre les priviléges du navire avec ceux du territoire.

Il reconnaît qu'à beaucoup d'égards ces « agrégations flottantes » qui promènent sur les mers le pavillon de la patrie, sont régies par les mêmes lois et soumises aux mêmes juridictions que les habitants du territoire, mais il est cependant certains rapports sous lesquels le navire subit la loi du souverain étranger dans les eaux duquel il se trouve. Si, pour la «police intérieure », il dépend de son propre souverain, ne tombe-t-il pas, pour les « actes extérieurs », dans la dépendance de la juridiction territoriale qui lui a permis l'entrée de ses ports? Lampredi soutient qu'ici les dissemblances sont assez graves pour détruire la théorie d'une assimilation complète, et que, dans les matières même où le navire et le territoire sont en fait soumis aux mêmes règles, ces règles, dont l'application au territoire est une suite directe de la juridiction souveraine, ne s'appliquent au navire que dans une certainė mesure et par des motifs particuliers, au nombre desquels il place l'abandon formel ou tacite que le souverain étranger peut être censé avoir fait d'une partie de ses droits.

Mais ce n'est pas le lieu d'approfondir cette question quelque peu subtile, et qui semblerait bien vaine si l'on ne cherchait dans sa solution le moyen d'en résoudre une autre dont l'importance domine le droit maritime tout entier.

Hübner et Lampredi se retrouvent d'accord pour émettre le vœu que tous les peuples de l'Europe puissent s'entendre pour adopter la maxime : que le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie. Leur dissentiment porte seulement sur le point de savoir si cette maxime salutaire doit être proclamée comme un droit primitif et absolu des peuples neutres, ou si elle doit être admisé comme un tempérament équitable aux droits des belligérants dissentiment grave et profond, nous devons le reconnaître, lorsqu'il s'agissait d'unir ses forces pour marcher à la conquête de ce grand principe, mais dissentiment dont l'intérêt ira en s'affaiblissant et finira par disparaître, si,

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comme nous l'espérons, le triomphe de ce principe est assuré.

Question du transport des marchandises neutres par navires ennemis.

Il est d'autres points sur lesquels la doctrine de Lampredi ne diffère presque en rien des principes posés par Hübner.

L'un et l'autre affirment avec la même netteté que, d'après la loi primitive et la conscience, nul ne doit se permettre de porter atteinte à la propriété des neutres trouvée à bord des bâtiments de l'ennemi.

«Ne serait-ce pas chose absurde, dit Lampredi, de croire que, parce qu'un des belligérants a le droit de s'emparer des propriétés de l'ennemi, il puisse également prendre celles des amis, parce que, par hasard, elles se trouvent mêlées ensemble, comme si le contact des premières eût communiqué la contagion aux autres, et leur eût fait changer de nature1. »

Question du droit de visite.

L'un et l'autre voient également, dans le droit de visite, un moyen introduit par la nécessité, avoué par la justice et par la raison, pour s'assurer de la « nationalité » des bâtiments qui naviguent en pleine mer, et pour exercer, s'il y a lieu, à bord de ces navires, la saisie des marchandises prohibées.

Tous deux applaudissent aux mesures prises par les nations. policées pour réduire, autant que possible, les inconvénients de cette vérification nécessaire, en réglant les formes pratiques suivant lesquelles la visite doit s'exercer avec tous les ménagements dus aux peuples neutres.

Question de compétence en matière de jugement des prises faites sur les

neutres.

C'est au sujet de la compétence pour le jugement des prises. opérées en pleine mer sur des navires neutres que se rallume,

Traduction de Peuchet, p. 148-149.

entre le publiciste italien et le publiciste danois, un de ces conflits d'opinions qui peuvent servir à jeter quelque lumière sur les obscurités du droit des gens.

Nous avons déjà fait remarquer le progrès qui s'est accompli au XVIIe siècle dans le droit de la mer, lorsqu'il a été admis en principe: que nulle prise faite sur les neutres ne devait passer en la possession du capteur qu'en vertu d'une sentence du juge compétent pour prononcer sur ces matières. Mais quel sera ce juge?

L'usage universel des nations maritimes autorise chacune des puissances belligérantes à établir, chez elle, des tribunaux qui prononcent sur la validité des prises neutres faites par ses armateurs et conduites dans ses ports.

Opinion d'Hübner.

Hübner proteste, au nom du droit, contre un tel usage. Eh quoi dit-il, on soupçonne un navire neutre d'avoir enfreint les lois de la neutralité : le prétendu délit aurait eu lieu dans des parages qui sont hors de la juridiction du souverain au nom duquel on l'accuse. Néanmoins, on arrête ce navire avec violence, on le conduit par force dans un port étranger; on traîne l'équipage devant des juges qui ne sont pas les siens, car ils sont institués par un prince dont la puissance est nulle à son égard, si l'on se reporte au lieu, soit de l'arrestation, soit du délit n'est-ce pas là une violation manifeste des principes établis, en matière de juridiction, par le droit des gens universel?

Mais, ce qui n'est pas moins grave, ce tribunal qui va prononcer sur le sort de la capture, est un tribunal établi par le capteur lui-même. Le corsaire, en effet, n'a été que l'instrument du souverain dont les juges sont les délégués, et dès lors on peut dire, qu'au mépris des règles fondamentales sur la bonne administration de la justice, ce souverain sera, dans la même cause, juge et partie.

D'après quelles lois, enfin, ce tribunal prononce-t-il sa sentence? d'après celles du souverain qui l'a formé : or, que sont

les édits ou les ordonnances d'un souverain sur les matières de course? Ce ne sont que des lois intérieures ou civiles, faites pour le plus grand avantage de la société qu'elles doivent régir, et par conséquent (la raison le veut aussi), dans un intérêt contraire à celui des peuples étrangers.

Déférer aux tribunaux d'amirauté le jugement des prises faites sur les neutres, c'est donc, suivant Hübner, bouleverser l'ordre des juridictions, et manquer aux conditions les plus essentielles d'une bonne justice.

Opinion de Lampredi.

Lampredi répond que les règles de juridiction invoquées par Hübner s'appliquent au jugement des contestations civiles, mais que la compétence en matière de prises maritimes s'établit sur de tout autres principes. Les infractions commises par des neutres aux devoirs de la neutralité ne sont pas de ces délits ordinaires à l'égard desquels la compétence se détermine par la souveraineté territoriale et la qualité des sujets : ce n'est pas ici le souverain de la nation neutre qui est l'offensé, c'est celui de la nation belligérante, et le souverain neutre semble avoir pris l'engagement tacite de ne pas défendre ses sujets infracteurs du droit des gens. Les faits dont il s'agit ne sont pas non plus, à proprement parler, des actes de guerre, car l'État neutre n'est pas considéré comme devenant ennemi du belligérant par cela seul que quelques hommes, voyageant dans une « voiture marine » sur l'Océan, auront porté, au mépris de leur devoir de neutres, des munitions de guerre ou des armes à l'ennemi de même, on ne peut regarder comme un acte d'hostilité envers le souverain neutre, les mesures que prend le belligérant pour empêcher que ces hommes ne fortifient son ennemi à l'abri de leur neutralité. Ni les lois ordinaires de la compétence ni celles de la guerre ne sont donc, suivant Lampredi, applicables à ce cas particulier, dans lequel on retombe sous l'empire pur et simple du droit de nature: c'est en vertu de ce droit que le belligérant offensé se saisit, sur la haute mer, du navire neutre devenu l'instrument de l'offfense.

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