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Quand le sénat avait décidé que Carthage devait périr, le pater patratus allait remplir sa charge en prononçant les mots sacramentels Jovem ego testem facio, etc. 1.

Sans nous faire pénétrer dans les profondeurs de la science ou de l'histoire, Ayala commence à rapprocher les principes des faits et à les grouper ensemble: c'est un de ces essais qui nous montrent combien il y avait de difficultés à vaincre pour réussir.

Doctrines d'Ayala touchant l'exercice du droit de guerre.

On retrouve, dans la première partie de son ouvrage, les règles principales de justice que les théologiens nous avaient déjà données touchant l'exercice du droit de guerre, mais il ne faut pas s'attendre à rencontrer dans un lieutenant de Phi-, lippe II des tendances à la mansuétude envers les vaincus.

S'il applaudit 2 à l'usage qui s'est établi de ne plus faire d'esclaves dans les guerres entre chrétiens, il semble que ce soit par politique plus que par humanité 3: mais il a soin de constater que le droit primitif de réduire, de part et d'autre, les prisonniers en servitude subsiste toujours dans les guerres avec les infidèles. Il s'élève surtout contre la prétention d'Alciat qui soutenait qu'entre peuples chrétiens on devrait renoncer à la confiscation des biens de l'ennemi comme au droit d'esclavage, puisqu'après tout ces peuples sont frères 5.

1 Ayala, de Jure et officiis belli, L. 1, c. 1 et 4.

2 Et quidem inter christianos laudabili et antiquâ consuetudineintroductum est, ut capti hinc indè, utcumque justo bello, non fierent servi. L. 1, c. 5, § 19.

3 Quàm non conveniat quàmque periculosum sit reipublicæ numerum servorum augeri indicant tot bella servilia, conjurationesque servorum quæ rempublicam romanam afflixerunt, et in summum discrimen adduxerunt. L. 1, c. 5, § 19. V. aussi Ibid., § 16.

At verò si bellum geratur cum infidelibus et paganis, certè hinc indè capti ejus erunt conditionis cujus secundum jus civile capti ab hostibus, idque constitutionibus regni Hispaniæ decisum videtur. (Ibid.)

5 Neque Alciato assentior qui, in bello inter christianos, capta non fieri capientium hoc argumento probare conatur quòd scilicet omnes qui in orbe romano erant, cives romani effecti sunt, unde hodié omnes christianos populum romanum esse et Christi lege fratres, etc., L. 1. c. 5, § 2.

Ayala s'en tient, pour le partage des dépouilles, à la rigueur de la loi romaine: il traite longuement de la manière de faire les parts entre les vainqueurs, s'occupe beaucoup de savoir si le butin sera distribué en nature ou mis en vente, et quels prélèvements devront être opérés au profit du trésor public, de la couronne et des chefs d'armée; mais il dit à peine un mot de ces tempéraments d'équité que réclame la situation pleine d'intérêt des victimes innocentes de la guerre.

Par les distinctions qu'il établit, on voit clairement qu'à l'époque où il écrivait, la pensée n'était venue à personne de traiter les prises maritimes autrement que les prises terrestres. Le butin fait sur mer se partageait d'après des règles analogues à celles qui présidaient à la distribution des objets provenant du pillage des camps où des villes; seulement, à la part du roi, qui était ordinairement du cinquième, s'ajoutait, dans les prises maritimes, le corps des vaisseaux enlevés à l'ennemi 1, et là où le roi avait supporté tous les frais pour l'armement d'une escadre de guerre, il avait droit, comme nous l'avons dit précédemment, à la totalité des prises.

Bien que les Pays-Bas ne soient nommés nulle part dans le chapitre relatif à la guerre avec des sujets révoltés, le ton du publiciste, qui s'anime presque jusqu'à la colère, trahit le sang qui bouillonne dans les veines du guerrier castillan à la pensée que des rebelles ont osé lever contre son roi le drapeau de l'indépendance.

Ayala n'hésite pas à exclure les sujets révoltés de tous les droits que peut invoquer dans la guerre un ennemi régulier (justus hostis): il ne voit en eux que des coupables 2 qui ne méritent ni ménagement ni pitié, et qui ne peuvent même se prévaloir de la foi jurée pour l'exécution des promesses qu'ils auraient arrachées par force à leur prince 3.

1 L. 1, c. 5, §§ 3 et 9.

2 Quod de latronibus et prædonibus diximus, idem et de rebellibus dicendum est qui justi hostes dici non possunt. (L. 1, c. 6, § 7.)

3 Nihil enim magis pungit principem, dit Ayala, quàm pacisci cum suis subditis rebellibus eisque fidem servare. (L. 1, c. 6, § 11.)

Cependant tout en invoquant le droit et l'histoire pour démontrer aux rebelles que leur seul moyen de salut est d'implorer humblement leur pardon, Ayala, dans les conseils qu'il donne aux souverains, leur recommande de préférer les voies de la douceur à celles d'une extrême sévérité et de se faire aimer plutôt que craindre de leurs sujets et de leurs soldats.

Après avoir traité les questions principales du droit des gens, avec plus de savoir que de méthode, notre auteur consacre les deux dernières parties de son ouvrage à tracer les règles du commandement et de la discipline militaires. Sa pente à puiser dans l'histoire romaine ses leçons et ses exemples n'a pas besoin ici de se contraindre; il peut se livrer, tout à l'aise, à l'admiration que lui inspirent ces grands maîtres en l'art de la guerre.

ALBÉRIC GENTILIS

Né en 1551, mort en 1611.

L'Espagne, nous venons de le voir, avait servi de berceau à la science du droit des gens.

L'Italie et la Hollande pourraient, à leur tour, revendiquer l'honneur d'avoir assuré ses pas encore chancelants. Mais, comme il arrive dans les temps de révolutions politiques et religieuses, ni l'Italien «Gentilis», ni le Hollandais « Van Groot » (Grotius) n'écrivirent sur le sol natal les traités, de mérite inégal, de réputation plus inégale encore, qui ont concouru à ce résultat.

• L'Angleterre avait donné asile à Gentilis, qui ne croyait pas sa foi protestante en sûreté dans la marche d'Ancône. Grotius, réfugié en France, au sortir de sa prison de Lovenstein, paya noblement cette hospitalité en dédiant son immortel ouvrage à Louis XIII (août 1624).

Essayons de marquer avec impartialité le caractère des progrès qui se rattachent à ces deux noms.

Gentilis commence à tracer le cadre de la science du droit des gens.

L'éclat dont brille celui de Grotius ne doit pas nous rendre injuste envers son précurseur et son émule dans la composition laborieuse de la théorie du droit des gens. Sous la plume érudite de Gentilis, cette science avait commencé à se transformer. D'une part, elle s'était étendue et élargie ; d'autre part, elle s'était dégagée de son mélange avec des sciences étrangères, pour s'asseoir définitivement sur son propre terrain. En ce qui concerne l'ordre des chapitres et la distribution des matières, le cadre tracé par Gentilis dans son traité De jure belli, est satisfaisant et logique.

Dans le premier livre, il traite de ce qui précède et justifie la guerre; dans le second, il pose les règles de droit et d'équité suivant lesquelles on doit la faire; dans le troisième, il s'occupe de la manière dont elle finit. De là trois groupes dans

lesquels viennent se classer tous les principes relatifs aux a causes de la guerre », aux « droits de la guérre », aux « suites de la guerre ».

Quelles sont les causes légitimes de guerre d'après Gentilis ?

Gentilis ne veut pas qu'on applique la majesté de ce nom à d'autres conflits armés qu'à ceux qui réunissent ces deux conditions d'être une « guerre publique » et une « guerre juste >> (Bellum est publicorum armorum justa contentio)1.

Il n'y a de « guerres publiques » que celles qui ont lieu entre des princes ou des États souverains et indépendants, et pour des causes qui touchent aux intérêts généraux de ces États ou de l'un d'eux.

Il n'y a de « guerres justes » que celles où l'emploi de la force est devenu l'unique moyen de faire prévaloir le droit ou de réparer l'injustice; car il faut avoir épuisé auparavant toutes les voies d'amiable entente, soit directement, soit par l'interposition des bons offices d'amitié que des princes neutres et amis peuvent remplir.

Quant à cette justice qui est nécessaire pour légitimer le recours aux armes, elle peut se puiser, ou dans l'ordre des devoirs qu'impose la religion, ou dans l'ordre des droits que donne la nature, ou dans l'ordre des engagements qui résultent du fait de l'homme.

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Il y a un degré de justice qui est suffisant pour «se défendre », il y en a un autre qui est requis pour « attaquer ».

Dans l'appréciation de ces degrés de justice comme dans celle des degrés d'intérêt que peut avoir tel État à entreprendre une guerre, Gentilis estime qu'on doit tenir compte nonseulement de l'importance des intérêts matériels qui sont en jeu, mais aussi de ces raisons d'équité, d'honneur, d'humanité qui constituent les intérêts moraux d'un peuple.

Il admet donc, pour ce qu'il nomme les « causes humaines »>, trois sortes de guerres : les guerres « justes et nécessaires », les

1 Lib. I, c. 2

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