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principe de la guerre à outrance fit son entrée dans les conseils de Calcutta. Assez longtemps la Compagnie s'était contentée d'un partage de territoire avec les souverains indigènes, dont elle paraissait reconnaître au moins nominalement l'indépendance; assez longtemps elle avait essayé d'administrer l'Inde avec le concours de l'Inde elle-même. Le moment semblait venu pour elle de traiter en ennemi quiconque ne se courberait pas sous le joug de sa dépendance.

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La destruction de l'empire de Mysore, fondé par Hyder Ali, et sur lequel Tippoo Saeb a jeté le reflet intéressant de sa fin malheureuse, fut le premier coup porté aux souverainetés nationales de l'Inde par cette politique nouvelle des Anglais. Il n'y a rien qui excite plus vivement la sympathie des peuples, que ces bruits que leur apporte de loin la renommée d'une nationalité aux abois, lorsque, dans la personne d'un chef intrépide, elle prolonge, jusqu'à la mort, sa résistance aux armes d'un implacable conquérant. Que sera-ce, si cette lutte engagée, par exemple, au fond de l'Orient, reproduit celle qui passionne, en Europe, tous les esprits; si l'ennemi que combat Tippoo Saëb, sous les murs de Seringapatam, est le même contre lequel sont soulevées les haines de la France?

On s'explique ainsi comment l'opinion publique, qui était restée presque indifférente aux affaires de l'Inde quand les exploits de nos marins, sous le commandement de l'illustre Suffren, pouvaient ramener la fortune du côté de la France, s'éprit tout à coup d'un bruyant intérêt pour le dernier sultan de Mysore; mais la puissance de Tippoo Saeb était depuis longtemps frappée à mort, lorsqu'on eut l'idée de le secourir.

Ce n'était plus dans l'Inde elle-même que la France devait chercher un contre-poids aux conquêtes asiatiques des Anglais c'était sur le rivage africain que cette compensation devait bientôt s'offrir à notre politique et à nos armes.

SECTION VI.

Expédition des Français en Égypte sous le Directoire.

Rapprochements entre cette expédition et les dernières entreprises des Croisés.

Quoi qu'on fasse pour briser la chaîne des temps, il y a toujours quelques anneaux qui se rattachent l'un à l'autre. Peut-on imaginer deux situations plus différentes que celle de la France monarchique sous saint Louis, et celle de la France républicaine sous le Directoire? Quelle est donc cette force des choses qui entraîne le jeune et déjà glorieux vainqueur de l'Italie vers les plages de l'Égypte où le « bon roi» conduisit ses chevaliers?

C'était, nous l'avons dit, de ce côté que les derniers croisés, instruits par l'expérience de tant de fautes et de désastres, avaient résolu de tenter un suprême effort. Dans leur projet de conquérir l'Égypte, les vues de la politique commençaient à se mêler au zèle religieux : on était, en Égypte, plus loin de la Palestine, mais on était plus près de l'Inde, et en altaquant un des centres de la puissance musulmane, on ouvrait plus largement au commerce européen le chemin de l'Orient; on lui offrait pour entrepôt le port fondé par Alexandre. La politique de Venise, toujours si habile à tourner à son profit le zèle des croisés, avait, à leur suite, raffermi dans l'Égypte sa position maritime et commerciale. Moins puissante et moins hardie que ne fut depuis l'Angleterre, au lieu de pénétrer dans l'Inde, elle s'était postée sur la route, et quand les Portugais eurent fait, par mer, le tour de l'Afrique, il leur a suffi de barrer aux Vénitiens l'ancien passage pour s'emparer des riches marchés qu'ils fréquentaient.

Ce passage, fermé par Albuquerque au commencement du XVI° siècle, rouvert au profit des Anglais au xvío, devait-il tomber, au commencement du XIX, aux mains de la France? On put le croire un moment, tant fut brillante et d'abord heureuse cette expédition qui tenait, comme autrefois, les yeux de l'Europe fixés sur le sort de nos armes lointaines. Au lieu

de ces masses indisciplinées et confuses qui couraient au martyre plutôt qu'à la victoire, au lieu de ces courages chevaleresques dont l'ardeur mal réglée se consumait en de stériles exploits, l'Égypte et la Syrie virent alors une armée, faible par le nombre, mais forte par la discipline, trouvant en ellemême des moyens de vaincre proportionnés à tous les obstacles qui se levaient devant elle, et opposant à la vieille civilisation musulmane, avec le génie d'un grand capitaine, tous les progrès accomplis depuis quatre siècles, au sein de notre Europe, dans l'art de la guerre.

Et cependant, quand on se demande quel a été le fruit de ces héroïques combats, il faut convenir que, comme au temps des croisades, c'est surtout à renforcer en France la cause de l'ordre que l'expédition d'Égypte a servi. L'anarchie révolutionnaire a disparu devant le jeune chef de l'armée d'Égypte, comme l'anarchie féodale avait été disparaissant d'âge en âge, à chaque retour des croisés.

Quant à l'Angleterre, que le général Bonaparte allait combattre sur les bords du Nil pour réparer la faute commise par Louis XV lorsqu'il lui avait abandonné ceux du Gange, elle sut, en nous laissant la gloire des combats de terre, frapper d'un cruel désastre notre marine renaissante: elle sut aussi attirer à elle, par les détours d'une politique qui fait peu d'honneur à sa loyauté, le plus beau joyau de la Méditerranée, que les troupes expéditionnaires de la France avaient conquis, comme en passant, à leur départ.

Prise de Malte.

C'est encore un autre trait de ressemblance qu'offre l'expédition d'Égypte avec les croisades. La prise de Malte nous rappelle la conquête de Chypre, cef ait d'armes accidentel aussi rapide qu'imprévu, qui avait abouti à la fondation durable d'un royaume chrétien, quand s'étaient évanouis comme des rêves tous les autres desseins de cette première expédition faite en Orient par les armes unies de la France et de l'Angleterre. De même aussi, l'importance de Malte, effacée

d'abord par l'éclat de nos armes aux Pyramides et au mont Thabor, ressortit bientôt après, quand on vit que cette île était le seul fruit qui dût rester (et non pour nous) de ces trois glorieuses et pénibles campagnes dont notre expédition d'Égypte se compose (1798-1800).

Ce qui est resté de nos victoires en Égypte.

Mais je me trompe. Si Malte nous a échappé, peut-être en punition de l'injustice que nous avions commise en l'occupant, si la brillante bataille d'Aboukir ne nous a pas consolés du désastre maritime qui nous a rendu ce nom néfaste, si l'évacuation de l'Égypte ne nous a pas laissé un seul poste militaire, pas même un comptoir marchand sur ce sol dont nos sciences, comme nos armes, avaient pris possession au nom de la France, et que déjà l'Angleterre s'habituait à regarder comme pouvant un jour nous appartenir, il ne faut pas croire que tant de sang généreusement versé soit perdu. La pensée première de l'expédition d'Égypte, qui était de rouvrir la porte des Indes au commerce européen, semble maintenant en voie de se réaliser par la paix, comme tant d'autres entreprises que la guerre n'avait pu conduire à bonne fin. Ne sont-ce pas nos ingénieurs qui creusent dans l'isthme de Suez un canal pour faire communiquer les deux mers, comme ils avaient construit sur le Nil des ouvrages propres à régler le bienfait de ses eaux fécondantes? Cette entreprise méritait, par sa grandeur, que l'Europe toute entière s'y associât pour en assurer le succès; mais la postérité reconnaissante en reportera surtout l'honneur à cette sympathie que nos victoires, nos bienfaits et jusqu'à nos malheurs ont établie entre le berceau de la civilisation antique et la capitale de la civilisation chrétienne.

SECTION VII.

Le Consulat. Neutralité armée de 1800. Question des navires convoyés.

Tendances pacifiques sous le Consulat.

Entre les guerres de la Révolution et celles de l'Empire, la première époque du Consulat nous apparaît comme une éclaircie entre deux orages. Les passions déchaînées s'apaisent; tout renaît à l'ordre et à la vie, sous l'influence d'un gouvernement réparateur, qui sait encore unir la modération à la force, et, tout en prisant la gloire des armes, mettre au-dessus les intérêts de la justice, de l'humanité, de la paix. Cette paix, si nécessaire et si désirée, seule capable de raffermir tout ce qu'ébranlent les révolutions et les guerres, le premier consul l'offrait à la fois au dedans et au dehors. Il pacifiait la Vendée; il signait le concordat; il écrivait sa lettre au roi d'Angleterre.

A cette chevaleresque ouverture, qui conviait les deux nations les plus civilisées de l'univers à chercher « les moyens de s'entendre pour faire cesser les ravages de la guerre », le cabinet de M. Pitt put bien répondre par des récriminations irritantes, mais il ne put empêcher que le désir de paix, qui avait saisi le premier consul, ne gagnât l'Europe. La coalition formée contre la France sembla prête à se dissoudre, tant les souverains et les peuples se montraient disposés, l'un après l'autre, à provoquer ou à accepter des arrangements, qui n'ont pas, sans doute, désarmé les ambitions ni pacifié le monde, mais qui procurèrent du moins une trêve pendant laquelle on respira quelque peu.

Seconde ligue des neutres (1800).

C'est à ces moments de réaction où le besoin de repos se fait sentir après l'agitation fébrile des passions haineuses, que la cause des neutres reprend intérêt et faveur. Non-seulement elle retrouve alors cette protection qu'on accorde naturelle

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