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ment au bon droit, mais on l'embrasse aussi par politique, et il faut avouer que, dans la situation prise par l'Angleterre, quiconque ne voulait pas courber la tête sous son joug maritime devait se rallier au drapeau de la neutralité.

Mais telle était la conséquence du désordre introduit dans cette partie du droit des gens par les entreprises de ce peuple ambitieux, que, pour proclamer des maximes de paix, il fallait se tenir prêt à la guerre. Ce fut aussi une nouvelle ligue de << neutralité armée » que les peuples maritimes du Nord concertèrent ensemble, par les conseils et sous l'influence du gouvernement consulaire.

Les éléments de cette ligue se retrouvèrent à peu près les mêmes qu'en 1780.

Les anciens royaumes scandinaves et la Prusse étaient toujours là comme le cadre d'une armée qui n'attend qu'un chef pour rentrer en campagne.

Paul Ier se mit à leur tête avec plus de résolution que n'en avait montré Catherine; mais la mort cruelle qui l'enleva si soudainement après la formation de la ligue, ne lui a permis d'y laisser que son nom.

Tout l'honneur de la résistance est demeuré au peuple le plus faible et qui se trouvait en même temps, par son voisi nage, exposé le premier aux coups de l'Angleterre.

Nous avons déjà dit combien les Danois avaient mis de persévérance et de courage à soutenir, pendant les guerres de la révolution française, les droits des neutres. Tandis que les États-Unis d'Amérique, malgré leur puissance, cédaient à la pression du Cabinet britannique, en abandonnant, par le traité de 1794, le principe fondamental de ces droits, le Danemark s'était efforcé de conquérir à la neutralité un nouveau et important privilége, celui d'affranchir de toute visite les navires de commerce marchant sous escorte de bâtiments de guerre.

Question des navires convoyés.

Cette question qui, pendant le XVIIIe siècle, n'avait occupé

que faiblement l'attention, qui, lors de la première ligue des neutres, n'avait pas paru assez grave ou assez mûre pour prendre place dans le programme formulé par l'impératrice Catherine, avait tellement grandi, depuis cette époque, qu'elle semblait presque dominer toutes les autres.

Il n'était bruit en Europe que de la noble conduite d'une frégate danoise (la Freya) qui, pour défendre la franchise du convoi qu'elle escortait, avait soutenu vaillamment l'attaque de six frégates anglaises (25 juillet 1800).

Le grand homme d'État du Danemark, le comte de Bernstorf, n'avait pas déployé moins de fermeté dans sa lutte écrite avec lord Grenville sur le point de droit.

La distinction à établir, quant à la visite, entre les navires convoyés et non convoyés, n'a jamais été plus nettement exposée que dans ces lignes :

Principes posés par le comte de Bernstorff.

<< La visite exercée par les corsaires ou vaisseaux de guerre « des puissances belligérantes, à l'égard des bâtiments neutres << allant sans convoi, est fondée sur le droit de reconnaître « le pavillon de ces navires et d'examiner leurs papiers. Il ne « s'agit que de constater leur neutralité et la régularité de a leurs expéditions. Les papiers de ces bâtiments étant trouvés « en règle, aucune visite ultérieure ne peut légalement avoir «< lieu, et c'est, par conséquent, l'autorité du gouverne<<ment au nom duquel ces documents ont été dressés et dé« livrés qui procure à la puissance belligérante la sûreté re« quise.

<< Mais le gouvernement neutre, en faisant convoyer par << des vaisseaux de guerre les navires de ses sujets commerçants, « offre par là même, aux puissances belligérantes, une garantie « plus authentique, plus positive encore que ne l'est celle qui « est fournie par les documents dont ces navires se trouvent « munis et il ne saurait, sans se déshonorer, admettre à cet « égard des doutes ou des soupçons qui seraient aussi injurieux

:

• qu'injustes de la part de ceux qui les concevraient ou les « manifesteraient.

« Que si l'on voulait admettre le principe que le convoi du « souverain qui l'accorde ne garantit pas les navires de ses sujets de la visite des vaisseaux de guerre ou armateurs « étrangers, il en résulterait que l'escadre la plus formidable <«< n'aurait pas le droit de soustraire les bâtiments confiés à « sa protection au contrôle du plus chétif corsaire 1. »

Quelle que fût la puissance de ces raisons, le Danemark, dans sa position isolée, n'avait obtenu du gouvernement anglais la restitution des bâtiments capturés sous l'escorte de la Freya qu'en promettant de « suspendre ses convois », la question de droit « demeurant réservée pour une discussion ultérieure». (Convention du 29 août 1800.)

Mais, en s'appuyant sur ce fait d'un intérêt immense et tout récent pour proposer aux cours du Nord la formation de la ligue des neutres 2, l'empereur Paul eut soin de faire insérer dans les conventions conclues à cet effet (20 décembre 1800), une nouvelle exposition de principes dans laquelle la Russie, la Suède, le Danemark et la Prusse adoptèrent solennellement la décision que voici sur la question des navires convoyés (art. 5):

Solution adoptée par les neutres.

« La déclaration de l'officier commandant le vaisseau ou les << vaisseaux de la marine impériale ou royale qui escorteront la << flotte marchande : « que son convoi n'a à bord aucune mar<«<chandise de contrebande », doit suffire pour qu'il n'y ait lieu « à aucune visite sur son bord ni sur celui des bâtiments de << son convoi. >>

Nécessité de « notifications spéciales» en matière de blocus.

On ajouta en même temps au principe déjà posé en 1780, sur

1 Lettre du comte de Bernstorff (avril 1800), citée par M. Ortolan, Règles du droit international, t. II, p. 395.

? Voir le Manifeste de la Russie aux cours du Nord.

les conditions du « blocus réel», une règle supplémentaire portant que «< tout bâtiment naviguant vers un port bloqué ne « pourrait être regardé comme ayant contrevenu à la convena tion, que lorsque « après avoir été averti, par le commandant « du blocus, de l'état du port », il tâcherait d'y pénétrer en << employant la force ou la ruse » (art. 3).

La nécessité de la « notification spéciale » en cas de blocus fut ainsi admise au nombre des principes fondamentaux du droit des gens.

Bataille de Copenhague.

Mais ce droit des gens de l'Europe n'était pas, nous l'avons dit, celui de l'Angleterre.

Le cabinet de Londres vit dans les conventions signées à Saint-Pétersbourg « des entreprises hostiles tendant à détruire << les principes sur lesquels reposait en grande partie la puis<< sance navale de l'empire britannique 1».

Pour en arrêter les effets, il envoya dans le Sund une flotte formidable, sous les ordres de Parker et de Nelson.

Nous n'avons pas à raconter ici l'héroïque défense de Copenhague, contre laquelle les forces navales de l'Angleterre furent au moment de s'avouer vaincues.

Dissolution de la ligue des neutres à la mort de Paul Ier.

Il y a, dans l'histoire, des récits qui semblent faits pour montrer à l'homme le néant de ses vues et la vanité de ses calculs, tant les événements s'y tournent et retournent au rebours de tout ce qu'on aurait pu imaginer et prévoir.

Le jour même où les Danois ouvraient si courageusement la campagne, la nouvelle de l'assassinat de Paul Ier vint marquer la fin de la guerre et la dissolution de la ligue dont il avait été l'âme, dont il promettait d'être le bras.

Puis, au lieu de la déclaration de principes qui consacrait à nouveau, en les énonçant clairement et en les étendant encore,

1 Mémoire sur la conduite de la France et de l'Angleterre, p. 117.

les droits des neutres, on vit sortir, de tant de complications étranges et sanglantes, la convention maritime signée, à SaintPétersbourg, par l'Angleterre et la Russie, le 17 juin 1801, et à laquelle on obtint, mais plus tard, l'accession du Danemark (23 octobre 1801) et de la Suède (30 mars 1802).

Arrêtons-nous un instant à en examiner le texte et l'esprit.

SECTION VIII.

Convention maritime de Saint-Pétersbourg (17 juin 1801).

Lorsqu'il s'agit de régler à l'amiable la limite de deux héritages ou la frontière de deux États, je comprends qu'il puisse être raisonnable et juste de partager par moitié la portion de champ ou de territoire qui fait l'objet du litige.

Mais qu'un tel procédé soit applicable lorsqu'il est question de définir des principes de justice, de logique, ou de droit, c'est ce que ma raison n'admettra jamais.

Je m'étonne donc qu'un publiciste aussi judicieux que M. Wheaton ait pu voir, dans la convention maritime de 1801, un monument diplomatique digne d'éloge et de durée.

Examen de l'opinion de M. Wheaton sur la convention du 17 juin 1801.

Que contient, en substance, cet acte célèbre ?

« Sur quatre grands principes du droit des gens soutenus par la ligue des neutres et par la France, la Russie, dit M. Thiers1, en avait sacrifié deux pour obtenir la reconnaissance des deux autres. >>

Or, si la logique exige qu'un principe produise ses conséquences naturelles et ne vienne pas se heurter contre un principe contraire, qu'une définition soit claire et ne recèle pas volontairement des obscurités; si le bon sens veut qu'une fois entré dans la voie d'un juste progrès, on n'oblige pas les peuples civilisés à reculer brusquement en arrière, la conven

1 M. Thiers, Histoire du consulat, t. III, p. 116.

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