Page images
PDF
EPUB

CHAPITRE IV.

DES PROGRES LES PLUS RÉCENTS DU DROIT MARITIME INTERNATIONAL.

SECTION Ire

Déclaration de principes du 16 avril 1856.

Il ne faut pas juger de l'importance des questions par le bruit qui se fait autour d'elles. Ce sont les passions humaines qui font tout ce bruit, lorsque l'intérêt, l'ambition ou la haine s'obstinent à faire prévaloir, contre la raison et contre le droit, des prétentions immodérées ou injustes. C'est alors que les guerres s'allument et que se livrent les combats. La renommée s'en répand en tous lieux, et une thèse de droit des gens devient l'unique objet dont s'occupe le monde. Mais quand l'heure du dénouement est arrivée, la justice apparaît silencieuse et tranquille : elle a repris, dans le calme et dans la paix, son air naturel et simple. On se demande si ces questions qui se résolvent, en quelques heures, dans une dernière séance de congrès, sont bien celles qui ont été la cause de tant de luttes acharnées, qui ont divisé l'Europe en deux camps et amené, de part et d'autre, tant d'actes de violence et de ruine. Les questions, il est vrai, sont restées les mêmes, mais la situation des esprits et celle des choses ont changé.

Tentatives diverses faites, depuis 1778, pour régler par un pacte permanent les points douteux du droit maritime.

L'idée de conclure entre tous les États maritimes un pacte pour la réforme de la guerre de mer, d'après des principes consacrant les droits des neutres et les tempéraments déjà adoptés par les peuples chrétiens dans la guerre de terre, pourrait être revendiquée par la France, car elle se trouve en germe dans la déclaration de Louis XVI du 26 juillet 1778 sur la navigation des bâtiments neutres en temps de guerre 1.

1 Voir ci-dessus, p. 257.

Cependant, il faut reconnaître que la Russie a donné, la première, à cette pensée, sa forme d'exécution la plus solennelle par la déclaration de l'impératrice Catherine du 26 février 17801, communiquée même à l'Angleterre et qui a été la base de la neutralité armée, conclue, peu après, entre les puissances du Nord.

Solutions adoptées par les neutres en 1780 et en 1800.

La déclaration de Catherine, qui reçut l'adhésion de la France, du Danemark, de la Suède, de la Hollande, de l'Autriche, du Portugal et de Naples, posait quatre principes relatifs :

Le premier, au libre cabotage des vaisseaux neutres sur les côtes des nations en guerre ;

Le second, au libre transport des marchandises ennemies par vaisseaux neutres, à l'exception de la contrebande de guerre;

Le troisième, à la définition de la contrebande de guerre ; Le quatrième, enfin, à la définition du blocus maritime.

Les principes relatifs au cabotage, à la franchise des marchandises ennemies sur vaisseaux neutres et au blocus, furent consacrés de nouveau dans les conventions de Saint-Pétersbourg, du 20 décembre 1800, avec l'addition d'un principe nouveau, établissant la dispense de visite pour les navires de commerce convoyés 2.

Mais, après avoir ainsi, sous Catherine et sous Paul Ier, proclamé ces principes comme devant servir de règles dans les guerres maritimes à venir 3, la Russie, au commencement du règne d'Alexandre Ier, avait, par son traité du 17 juin 1801 avec l'Angleterre, abandonné les deux principes relatifs à la franchise des marchandises ennemies sur navires neutres, et à

1 Voir ci-dessus,p. 261.

2 Voir ci-dessus, p. 342.

3 L'article 10 de la convention du 20 décembre 1800 porte que ces stipulations seront regardées comme toujours subsistantes dans les guerres maritimes qui pourraient éclater par la suite. (Schoel, Traités de paix, t. VI, p. 75.)

la dispense de visite pour les navires convoyés, et elle avait laissé affaiblir le principe relatif à la définition du blocus réel 1.

Les Américains eux-mêmes, au profit desquels ce grand débat s'était principalement engagé, avaient fait de graves concessions à la politique anglaise, lorsqu'il s'était agi de défendre le programme inauguré par les neutres du Nord 2.

La France seule n'a jamais retiré, depuis Louis XVI, les principes qu'elle avait une fois posés.

Nous avons vu comment, sous l'Assemblée législative, elle avait tenté de placer, en tête de ces principes, une déclaration nouvelle, qui devait en effet devancer et faciliter tous les autres progrès du droit de la mer.

Mais les négociations ouvertes, à cette époque, avec les puissances maritimes, pour concerter « l'abolition de la course dans la guerre de mer3, » n'avaient trouvé d'écho que dans quelques villes hanséatiques, fidèles à d'anciennes traditions de liberté.

Tout ce qui a suivi cette déclaration, jusqu'à la fin des guerres de l'empire, pourrait être ici passé sous silence.

Et cependant certains actes qui, sous la forme de représailles, tendaient au renversement de tous les principes, contenaient, nous l'avons déjà dit, sous la forme de vœux, un programme tellement avancé que nous n'oserions pas, même aujourd'hui, nous associer à tout ce qui était alors demandé.

Programmes de droit maritime formulés sous le premier empire.

Le décret de Berlin, cette expression intime de la pensée de l'Empereur qui le rédigea, dit M. Thiers, de sa propre main3,

1 Voir ci-dessus, p. 345.

Voir ci-dessus, p. 322.

3 Voir ci-dessus, p. 309 et 310.

Voir ci-dessus, p. 300.

5 « Ce décret, conçu, rédigé par Napoléon lui-même et lui seul, sanş la « participation de M. de Talleyrand. » (Histoire du Consulat et de l'Empire, t. VII, p. 222.)

formulait comme il suit les principes dont le blocus continental avait pour objet de forcer l'acceptation par l'Angleterre.

« Les dispositions du présent décret seront considérées « comme principe fondamental de l'empire jusqu'à ce que « l'Angleterre ait reconnu :

« Que le droit de la mer est un et « le même sur terre que

« sur mer »;

« Qu'il ne peut s'étendre «ni aux propriétés privées », «< quelles qu'elles soient, ni à la personne des individus étran«gers à la profession des armes ;

« Et que le droit de blocus doit être restreint aux places << fortes réellement investies par des forces suffisantes 1. »

Le Mémoire publié, en 1810, « sur la conduite de la France et de l'Angleterre à l'égard des neutres » reproduit en partie ce programme.

Il s'agit toujours « d'assujettir la guerre de mer aux règles « adoptées dans la guerre de terre, de borner ce fléau aux mal« heurs inévitables qu'il entraîne, et d'épargner les rigueurs et «<les déprédations au commerçant paisible 2. »

Mais le Mémoire indique plus nettement les moyens à prendre.

Ce serait « d'abolir la course et de respecter le bâtiment « neutre comme un territoire indépendant 3. »

Un tel progrès pouvait-il donc, à cette époque, je ne dis pas se réaliser, mais se comprendre?

Les hommes d'État du premier empire n'en avaient pas conçu l'espoir. Le Mémoire sur la conduite de la France et de l'Angleterre reconnaît qu'on ne saurait encore « regarder ces «< idées généreuses que comme un rêve. Du moins, disait-il, la « raison commande de se rattacher aux principes qui s'en <«< éloignent le moins 4, » et de là l'on arrivait à conclure qu'il

1 Préambule du décret du 21 novembre 1806. V. aussi ci-dessus, p. 361, l'extrait d'une lettre écrite par ordre de l'Empereur à M. Armstrong.

2 Mémoire sur la conduite de la France et de l'Angleterre à l'égard des neutres (1810), p. 201.

3 Ibid.

* Mémoire déjà cité, p. 202.

« n'y aurait pas d'accord durable entre les puissances avant <«< que les principes fondamentaux de l'indépendance maritime << ne fussent posés et reconnus sur les bases des déclarations « de 1780 et de 18001. »

Le rêve généreux de 1810 est devenu, en 1856, une heureuse réalité.

L'Angleterre, s'associant enfin à la pensée de la France, ou plutôt cédant à la voix de la justice et de l'humanité, « a renoncé, au profit des neutres, à des principes qu'elle avait jusque-là invariablement maintenus 2.»

Principes reconnus par la déclaration du 16 avril 1856.

La déclaration finale du congrès de Paris (16 avril 1856) énonce, comme devant servir de base à tout arrangement qui sera pris à l'avenir « sur l'application du droit maritime en temps de guerre 3, »les quatre propositions suivantes, adoptées par toutes les puissances signataires du traité de Paris:

« 1° La course est et demeure abolie;

« 2o Le pavillon neutre couvre la marchandise ennemie, à « l'exception de la contrebande de guerre;

« 3o La marchandise neutre, à l'exception de la contrebande « de guerre, n'est pas saisissable sous pavillon ennemi;

« 4° Les blocus, pour être obligatoires, doivent être effec« tifs, c'est-à-dire, maintenus par une force suffisante pour « interdire l'accès du littoral de l'ennemi. »

Nous reviendrons tout à l'heure sur chacun de ces principes, mais disons d'abord un mot de la forme sous laquelle ils se présentent maintenant à notre examen.

1 Mémoire déjà cité, p. 202, 203.

a

• Déclaration du comte de Clarendon, protocole no XXII. Séance du 8 avril 1856. (Archives diplomatiques. Janvier 1862, p. 143 et suiv.).、 3 « Sur la proposition de M. le comte Walewski, et reconnaissant qu'il est « de l'intérêt commun de maintenir l'indivisibilité des quatre principes men« tionnés en la déclaration signée ce jour, MM. les plénipotentiaires convien<< nent que les puissances qui l'ont signée ou celles qui y auront accédé, ne « pourront entrer à l'avenir, sur l'application du droit maritime en temps de « guerre, en aucun arrangement qui ne repose à la fois sur les quatre princi«pes, objet de ladite déclaration.» (Protocole no XXIV, séance du 16 avr. 1856.)

« PreviousContinue »