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Si l'opinion est moins fixée en France qu'en Angle- 1822 terre sur l'objet qui nous occupe, cela tient à des causes qu'il est de notre devoir de développer: un peuple aussi humain, aussi généreux, aussi désintéressé que le peuple français, un peuple toujours prêt à donner l'exemple des sacrifices, mérite qu'on explique ce qui semblerait une anomalie inexplicable dans son caractère.

Le massacre des colons à St.- Domingue et l'incendie de leurs habitations ont d'abord laissé des souvenirs douloureux parmi les familles qui ont perdu parents et fortune dans ces sanglantes révolutions. Il doit être permis de rappeler ces malheurs des blancs, quand le mémoire anglais retrace avec tant de vérité les souffrances des nègres, afin de faire comprendre comment tout ce qui excite la pitié exerce une puissance naturelle sur l'opinion. Il est évident que l'abolition de la traite des nègres eût été moins populaire en Angleterre, si elle eût été précédée de la ruine et du meurtre des Anglais dans les Antilles.

Ensuite, l'abolition de cette traite n'a point été prononcée en France par une loi nationale discutée à la tribune; elle est le résultat de l'article d'un traité par lequel la France a expié ses victoires. Dès lors elle` s'est associée dans les idées de la foule à des considérations étrangères: par cela seul qu'on l'a crue imposée, elle a été frappée de cette impopularité qui s'attache aux actes de la force; il en fut arrivé ainsi dans tout pays où il existe un esprit public et un juste orgueil national.

Une motion parlementaire, à jamais honorable pour son auteur, a finalement été couronnée de succès en Angleterre; mais combien d'années ne fut-elle pas repoussée avant d'ètre convertie en loi, quoique soutenue par l'un des plus grands ministres que l'Angleterre ait produits? Pendant ces longs débats, l'opinion eut le temps de se mûrir et de se fixer; le commerce, qui prévoyait l'événement, prit ses précautions; un nombre de nègres surpassant le besoin des colons fut transporté dans les îles anglaises, et l'on prépara des générations permanentes d'esclaves pour remplacer le vide laissé par la servitude casuelle, lorsqu'elle viendrait à s'abolir.

Rien de tout cela n'a existé pour la France; la fortune et le temps lui ont manqué. La première convention entre la France et l'Angleterre, après la Restau

1822 ration, avait reconnu la nécessité d'agir avec une prudente lenteur dans une affaire d'une nature si complexe; un article additionnel de cette convention accordait un délai de cinq années pour l'entière abolition de la traite des nègres. La déclaration de Vienne du 8. Février 1815, s'exprimant sur la même matière, porte: que, quelque honorable que soit le but des souverains, ils ne le poursuivront pas sans de justes ménagements pour les intérêts, les habitudes et les privations mêmes de lours sujets. Un louable et vertueux empressement a fait depuis dépasser ces termes, et a peut-être muitiplié les délits, en froissant trop subitement les intérêts.

Le gouvernement français est déterminé à poursuivre sans relàche des hommes engagés dans un négoce barbare: de nombreuses condamnations ont eu lieu, et les tribunaux ont sévi dès qu'on a pu atteindre les coupables. "Il serait affreux, dit le mémoire anglais, que la nécessité de déduire des hommes ne fùt que devenue la suite de celle de cacher un trafic proscrit par les lois." Cette démarche trop juste démontre que la loi française a été rigoureusement exécutée, et l'excès des précautions cruelles prises par les fauteurs de la traite pour cacher leurs victimes prouve d'une manière péremptoire la yigilance du gouvernement.

Une loi qui porte à de tels excès pour soustraire le délinquant à l'action même de cette loi pourrait paraitre assez forte; néanmoins, la résolutiou du gouvernement français est de faire augmenter les pénalités légales aussitôt que les esprits seront préparés dans la nation, et par conséquent dans les chambres législatives, à revenir sur le sujet de la traite des nègres. Sous ce rapport, il est fàcheux, mais utile, de faire remarquer que toute insistance étrangère ajoute aux difficultés du gouvernement français, et va contre le but que. se proposent les sentiments les plus généreux.

Il reste à dire quelques mots sur les moyens coërcitifs que Sa Grâce le duc de Wellington propose dans son mémoire.

Les ministres plénipotentiaires de Sa Majesté trèschrétienne sont prêts à signer toute déclaration collective des puissances tendante à flétrir un commerce odieux, et à provoquer contre les coupables la vengeance des lois. Mais une declaration qui obligerait tous les

gouvernements à appliquer à la traite des négres les 1822 châtiments infligés à la piraterie et qui se transformerait en une loi générale du monde civilisé, est une chose qui ne parait pas aux ministres plénipotentiaires de Sa Majesté très-chrétienne être de la compétence d'une réunion politique. Quand il s'agit d'établir la peine de mort, ce sont, selon la nature des gouvernements, les corps judiciaires ou les corps legislatifs qui sont appelés à statuer.

Retirer l'usage et la protection du pavillon français aux individus étrangers qui se serviraient de ce pavillon pour couvrir le commerce des esclaves, rien n'est plus juste: mais la France n'a pas besoin de défendre ce qu'elle n'a jamais permis.

L'engagement de prohiber l'entrée des états des alliés aux produits des colonies appartenant à des puissances qui n'auraient pas aboli la traite des nègres, est une résolution qui frapperait uniquement le Portugal; or, le Portugal n'a point de représentant au congrès, et il est de droit, avant de passer outre, de l'entendre dans sa cause.

Les mesures indiquées relativement à la France sont bonnes, mais elles sont toutes matière de lois, et par conséquent elles doiveut attendre cette faveur de l'opinion qui assure le succès. Le gouvernement de Sa Majesté très-chrétienne prendra conseil de lui-même, quand le temps sera venu; il serà possible qu'il admette l'enregistrément des esclaves, cependant il ne se dissimule pas que cette intervention de l'autorité porterait une espèce d'atteinte au droit de propriété, droit le plus sacré de tous, et que les lois de la GrandeBretagne respectent jusque dans ses écarts et ses caprices.

Le mémoire du gouvernement britannique exprime le regret que la France soit la seule des grandes puissances maritimes de l'Europe qui n'ait pas pris part au traité conclu avec S. M. B. dans l'objet de conférer à certains bâtiments de chacune des parties contractantes un droit limité de visite et de confiscation sur les vaisseaux engagés dans la traite des negrès.

La charte de Sa Majesté très chrétienne abolit la confiscation; quant au droit de visite, si le gouvernement français pouvait jamais y consentir, il aurait les suites les plus funestes; le caractère national des deux peuples français et anglais s'y oppose; et s'il était be

1822 soin de preuves à l'appui de cette opinion, il suffirait de rappeler que, cette année même, en pleine paix, le sang français a coulé sur les rivages de l'Afrique. La France reconnait la liberté des mers pour tous les pavillons étrangers, à quelque puissance légitime qu'ils appartiennent; elle ne réclame pour elle que l'independance qu'elle respecte dans les autres, et qui convient à sa dignité.

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99.

Memorandum sur les pirateries à propos des colonies espagnoles, présente au Congrès de Vérone par le Duc de Wellington au nom de la GrandeBretagne. En date du 24. Nov. 1822. (Chateaubriand Congrès de Vérone. T. I. édit. orig. de Leipzig 1838. p. 62 sqq.)

Extrait.

Les relations existantes entre les sujets britanniques et les autres parties du globe ont depuis longtemps placé Sa Majesté dans la nécessité de reconnaitre l'existence de fait des gouvernemens formés dans les différentes provinces de l'Amérique méridionale en autant qu'il le fallait pour traiter avec eux; que le relâchement de l'Autorité de l'Espagne, dans toute cette partie du globe, a donné naissance à une foule de pirates et libustiers; qu'il est impossible à l'Angleterre d'extirper ce mal insupportable sans la coopération des autorités locales qui occupent les côtes. La nécessité de cette coopération ne peut que mener à quelque nouvel acte de reconnaissance de l'existence de fait de l'un ou de plusieurs de ces gouvernemens de propre création *).

*) L'Autriche répondit à ce Memorandum anglais: "Que l'Angleterre avait bien fait de défendre ses intérêts commerciaux contre la piraterie; mais que, quant à l'indépendance des colonies espagnoles, elle ne la reconnaitrait jamais tant que Sa Majesté catholique n'aurait pas librement et formellement renoncé aux droits de Souveraineté qu'elle avait jusqu'ici exercé sur ces provinces." La Prusse s'exprima à peu près de la même façon. Elle fit observer que le moment le moins propre à la reconnaissance des gouvernemens locaux de l'Amé

Note verbale des Plénipotentiaires de France 1822 au Congrès de Vérone, en réponse au Memorandum anglais sur les colonies espagnoles en Amérique..

Les ministres plénipotentiaires de Sa Majesté trèschrétienne au congrès de Vérone ont examiné avec une sérieuse attention le memorandum sur les colonies espagnoles, que Sa Grâce de duc de Wellington a communiqué aux représentants des cours alliées dans la séance du 24. Novembre. Le cabinet des Tuileries souhaite vivement, comme celui de Saint-James, que l'Espagne adopte des mesures propres à rendre au continent de l'Amérique la paix et la prospérité. C'est dans ce désir sincère et dans l'espoir de voir se rétablir l'autorité de Sa Majesté catholique que le gouvernement de Sa Majesté très-chrétienne a aussi refusé les avantages qui lui étaient offerts.

Un motif d'une importance plus générale règle d'ailleurs la conduite de la France à l'égard des gouvernements de fait: elle pense que les principes de justice sur lesquels repose la société ne peuvent être sacrifiés légèrement à des intérêts secondaires, et il lui paraît que ces principes augmentent de gravité lorsqu'il s'agit de reconnaître un ordre de politique virtuellement ennemi de celui qui régit l'Europe; elle pense encore que, dans cette grande question, l'Espagne doit être préalablement consultée comme souveraine de droit de ses colonies. Néanmoins la France avoue avec l'Angleterre que lorsque des troubles se prolongent et que le droit des nations ne peut plus s'exercer pour cause d'impuissance d'une des parties belligérantes, le droit naturel reprend son empire; elle convient qu'il y a des prescriptions inévitables; qu'un gouvernement, après avoir long-temps résisté, est quelquefois obligé de céder à la force des choses, pour mettre fin à beaucoup de maux et pour ne pas priver un Etat des avantages dont d'autres Etats pourraient exclusivement profiter.

rique espagnole serait celui où les événemens de la guerre
civile prépareraient une crise dans les affaires de l'Espagne.
La Russie déclara qu'elle ne pourrait prendre aucune déter-
mination qui préjugeât la question de l'indépendance du sud
de l'Amérique.

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