Page images
PDF
EPUB

c'était une témérité. On conçoit qu'un seul homme se laisse entraîner par son ambition, par le dépit, par une aveugle obstination: Napoléon lui-même, démentant son propre génie et sa riche expérience, a commis depuis de plus grandes fautes : mais on ne conçoit pas qu'un conseil ait pu persister dans la résolution de jeter en Souabe une armée de quatre-vingt mille hommes; de l'y laisser isolée, dans une position concentrée et sans appui, et n'ayant d'autre objet que d'y prendre poste, jusqu'à la jonction des armées russes, qui ne pouvait s'effectuer avant un mois. On ne peut expliquer cet entraînement que par l'insistance et les séductions des agens de l'Angleterre; ils parvinrent à déterminer le conseil aulique contre l'avis de l'archiduc Charles. Il faut le répéter ici, à l'honneur de ce prince, il s'opposa, aussi long-temps qu'on voulut l'écouter, à l'exécution du plan de campagne proposé par le général Mack, et concerté avec les généraux russes pour commencer sur le Rhin les opérations offensives. L'Angleterre, qui n'avait

d'autre but que d'attirer Napoléon pour engager irrévocablement la guerre continentale, quelle qu'en dût être l'issue, mit à ce prix le supplément de subsides ardemment sollicité par la cour de Vienne, à cause du déplorable état de ses finances.

On voit que l'Autriche dissimula trop long-temps, nuisit à la cause commune des alliés en se décidant trop tard, et finit par compromettre sa propre sûreté en agissant trop tôt. De telles fautes ne peuvent rester impunies.

Napoléon, à son arrivée à Strasbourg, le 29 septembre, reçut des divers cantonnemens de son armée les rapports les plus sa tisfaisans: ses ordres avaient été ponctuellement exécutés; tout était prêt pour le passage du Rhin sur les points indiqués à chacun des corps d'armée. On ne saurait décrire l'effet que produisit sa présence, la joie et l'empressement des soldats; pas un seul conscrit des nouvelles levées n'avait quitté les détachemens qui, des dépôts, avaient été dirigés sur les corps; ils rivalisaient d'ardeur

avec les vétérans; ceux-ci leur montraient au-delà du fleuve, comme la Terre promise, la chaîne des montagnes qu'ils avaient franchies plusieurs fois, et les champs de bataille où ils avaient combattu. La ville de Strasbourg, transformée, comme celle de Vienne, en un vaste arsenal, offrait à l'observateur militaire le tableau le plus intéressant et le plus instructif; une brillante cour, toute guerrière, le mouvement des troupes de toutes armes défilant devant l'empereur; les esplanades, les places, les moindres espaces couverts de voitures, d'artillerie, de pontons, de chariots, d'équipages; une population nombreuse, tout occupée de fabrication d'attirails de guerre de toute espèce.

Dès le 25 septembre, la veille de l'arrivée de Napoléon à son quartier-général, le prince Murat passa le Rhin sur le pont de Kehl avec trois divisions de dragons, commandées par les généraux Klein, Beaumont et Valther (à peu près sept mille chevaux); il prit position Offenbourg, à Wilstedt, à Ettenheim. Le maréchal Lannes, commandant le

cinquième corps d'armée, passa le même jour, à la tête de sa belle division de sept à huit mille grenadiers réunis, sous les ordres du général Oudinot, suivie et soutenue par une division de deux mille chevaux de grosse cavalerie, commandée par le général d'Hautpoul cette partie de l'avant-garde se dirigea sur Reuchen.

L'objet de ce premier mouvement, que Napoléon avait ordonné avant son départ de Paris, était de faire croire à l'ennemi qu'il voulait pénétrer en Souabe par les défilés de la forêt Noire, par Gengenbach et le Hornberg, et gagner la tête des eaux du Danube, pour agir sur la rive droite, parallèlement au front de l'armée autrichienne, concentrée sur la ligne de l'Iller. Le général Mack faisait observer ces défilés par ses troupes légères. Les démonstrations des maréchaux Murat et Lannes ne pouvaient manquer d'attirer son attention; ils avaient ordre de tenir leurs positions, de faire de fréquentes patrouilles et des reconnaissances, de ne point se compromettre, et de ne point engager de combat

sans nécessité : c'était un rideau, un masque à la faveur duquel tout le reste de l'armée, avec son artillerie et ses bagages, devait exécuter le passage du fleuve, et par différentes directions, tournant et laissant à sa droite la masse des montagnes, traverser rapidement, et sans rencontrer aucun obstacle, la partie du duché de Wurtemberg la mieux ouverte par d'excellentes routes, pour se porter sur le Danube.

"On peut citer comme un modèle de dispositions et de travail d'état-major, les instructions adressées de Paris par le maréchal Berthier aux commandans des corps d'armée et au général Songis, commandant en chef de l'artillerie, relativement à ce premier mouvement de l'avant-garde, et au passage simultané des différentes colonnés. Nos lecteurs les trouveront fidèlement rapportées au commencement des Pièces justificatives de ce volume; ils en pourront suivre le détail sur la carte générale, et en apprécier la justesse et la clarté : nous devons nous bor ner à montrer ici avec quelle célérité et

« PreviousContinue »