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derrière nos soldats, et la France ne tarda point à être menacée sur plusieurs de ses frontières par une coalition européenne aussi violemment acharnée que dans les derniers temps du règne de Louis XIV. Cette seconde coalition était plus dangereuse que celle à laquelle avait eu affaire la Révolution naissante, car la question polonaise, réglée désormais, ne devait plus détourner l'attention des coalisés ni susciter entre eux de défiances. De plus, un nouvel élément militaire entrait en ligne contre la France, avec l'apparition de Souvorof en Italie les beaux esprits pouvaient plaisanter de son accoutrement et de ses simagrées; par son ascendant sur ses soldats, par sa prédilection pour le corps à corps et l'arme blanche, par son obstination à dédaigner les opérations de détail et à marcher sur la capitale ennemie, il était lui aussi un révolutionnaire en tactique, et peut-être, dès 1799, il aurait pu assurer le triomphe définitif de la coalition. Mais l'Autriche, si souvent battue dans les campagnes précédentes, prit de l'humeur de ses succès, et l'égara dans les glaciers de la Suisse, où son armée fut décimée par les souffrances et dut battre en retraite devant Mas

séna.

C'était un répit pour la France, d'autant mieux qu'à la même époque Brune refoulait les envahisseurs en Hollande : mais avec un gouvernement sans prestige et sans force, un Trésor vide, l'opinion ne pouvait espérer ni une paix honorable ni une guerre longtemps heureuse. Voilà pourquoi une explosion de joie salua la nouvelle du débarquement de Bonaparte à Fréjus.

Le résumé que M. Sorel a consacré aux événements de Brumaire était écrit avant la publication du beau livre de M. Vandal au lieu de retracer le détail des faits, il ne vise qu'à en préciser le caractère et les causes. En quelques pages fortes et lumineuses, il établit comment la France, passionnément attachée dans son ensemble aux résultats civils de la Révolution, était en 1799 désintéressée de la liberté politique; comment la possession des frontières naturelles, passée à l'état de dogme pour la majorité des Français, nécessitait en pratique la concentration des forces nationales entre les mains d'un dictateur; comment la jeune génération militaire, grandie littéralement sans foi ni loi, éprise seulement de gloire et avide uniquement de jouissances, était prête à suivre Bonaparte à la conquête de l'Europe avec la même exaltation, la même soif d'aventures, de plaisirs et de profits, qui animait les compagnons d'un Cortez ou d'un Pizarre.

M. Sorel a encore supérieurement démontré que si le succès couronna l'entreprise de Brumaire, maladroitement conçue et plus maladroitement exécutée, c'est que la marche des événements et 10 JANVIER 1903.

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l'état de l'opinion condamnaient le Directoire à disparaître'. « Cette journée continua donc la Révolution : elle ne l'acheva pas, comme les contemporains en eurent l'illusion. Elle ne la rompit pas davantage, comme la plupart des historiens l'ont prétendu. En ce qui concerne en particulier la politique extérieure, le duel se poursuivit avec la vieille Europe dans les mêmes conditions générales; mais les péripéties en devinrent plus poignantes par la prédominante intervention d'un homme de génie. Comment l'histoire diplomatique du Consulat et de l'Empire procéda de celle de la Révolution, «< conditionnée » elle-même par les traditions et les pratiques de l'ancien régime, voilà ce que M. Sorel doit à présent mettre sous nos yeux, pour parfaire une des œuvres les plus originales et les plus instructives de notre temps.

L. DE LANZAC DE LABORIE.

4 « La machine se détraqua vingt fois; les machinistes perdirent la tête, s'abandonnèrent, la combinaison manqua dans ses détails, et cependant, l'événement s'accomplit. Ce n'est pas parce que deux tambours et quelques grenadiers pénétrèrent dans l'Orangerie de Saint-Cloud que le Directoire croula. La cause, ce fut l'état général des esprits : il fit que les officiers osèrent commander la charge, que les tambours osèrent battre, que les soldats osèrent marcher et que les députés en fuite se dispersèrent dans le silence, l'isolement, la nuit. »

A ROME

SOUVENIRS DE VOYAGE

DE

S. A. R. MME LA PRINCESSE LOUIS-FERDINAND DE BAVIÈRE

INFANTE D'ESPAGNE

S. A. R. Madame la princesse Louis-Ferdinand de Bavière, auteur des pages que l'on va lire et qu'elle a bien voulu nous autoriser à traduire pour le Correspondant, est fille de S. M. la reine Isabelle, et tante du jeune roi d'Espagne.

Ce récit, dans sa simplicité charmante, fera mieux connaître la descendante des rois catholiques que la plus longue des biographies. Nous nous contenterons donc de donner au lecteur les éclaircissements indispensables.

L'infante Maria della Paz, si populaire à Munich sous le nom de princesse Paz, a épousé, il y a vingt ans, le prince Louis-Ferdinand de Bavière, neveu du prince-régent et fils de feu le prince Adalbert et d'une infante d'Espagne. Trois enfants sont nés de ce mariage les princes Ferdinand-Marie et Adalbert et la princesse Maria del Pilar, âgée de douze ans. Le prince Louis-Ferdinand s'est voué à la médecine et aux soins des malades pauvres. La princesse le seconde avec un admirable dévouement et une activité infatigable. Elle a fondé, entre autres œuvres, le Seraphische Liebeswerk, ou OEuvre de charité séraphique, qui a pour but le sauvetage matériel et moral des enfants pauvres et abandonnés et qui fonctionne depuis dix ans dans l'Allemagne du Sud. La Légion enfantine, à la tête de laquelle est placée la jeune princesse Maria del Pilar, est une des branches de cette œuvre. Au mois de

Elles viennent de paraître, en allemand, dans les Historische politische Blatter, de Munich, décembre 1902.

mars dernier, la petite princesse adressait un touchant appel à l'enfance privilégiée, lui demandant de consacrer une heure par semaine à travailler pour l'enfance malheureuse. Cet appel a été entendu non seulement en Allemagne, mais dans l'Europe presque tout entière. Au mois de juin avait lieu à Munich une première exposition de 4,500 objets (vêtements, albums, jouets, etc.), provenant de l'industrie enfantine. On vient d'en ouvrir une seconde qui n'en contient pas moins de 5,000. Tous ont été adressés à la jeune princesse Pilar, qui a accusé réception de chacun de ces envois par une carte postale écrite de sa main.

La princesse Louis Ferdinand ne borne pas son activité aux œuvres de bienfaisance; toute entreprise catholique trouve en elle une protectrice aussi éclairée qu'ardente. Les lecteurs du Correspondant savent, par l'article de M. le chanoine Pisani 1, quelle part elle a prise au congrès de savants, tenu, il y a deux ans, à Munich. C'est à ses soins aussi que la capitale de la Bavière a dû d'entendre exécuter, au mois de juillet dernier, le magistral oratorio du P. Hartmann an der Lahn, l'éminent compositeur franciscain, d'origine tyrolienne, plus d'une fois mentionné dans les pages qui suivent.

M. ANDRÉ.

Rome! Quel monde renferment ces quatre lettres! Pour le païen comme pour le chrétien, ce nom a un charme particulier, indescriptible.

C'était le but suprême de mes désirs, et je l'ai atteint : j'ai été à Rome!

Un matin, à déjeuner, je dis à mon mari :

Veux-tu me donner six jours de congé?

(Après vingt ans de mariage, c'était la première fois que je posais une pareille question.)

Pourquoi?

-Je voudrais aller à Rome.

Quelques jours plus tard, je renouvelais ma demande. Elle me fut accordée. Mon mari sollicita du prince-régent la permission nécessaire, et je reçus de ce dernier un télégramme disant : « Je te souhaite de tout cœur un bon voyage. »

J'avais décidé de partir avec mon beau-frère et ma belle-sœur, le duc et la duchesse de Gênes; mais au jour fixé, mon beau-frère se trouvant souffrant, il me pria de ne pas différer mon départ à cause de lui.

'Correspondant du 10 octobre 1900.

Je me mis donc en route avec mon fils Adalbert, ma fille Pilar, ma jeune belle sœur Claire, trois dames d'honneur, un chapelain et deux femmes de chambre. Nous voulions faire un vrai pèlerinage; mais au lieu de partir à pied, un bâton à la main, nous nous installâmes commodément dans un wagon de première classe dont les divers compartiments étaient reliés entre eux par un couloir. Nous nous sentions si bien chez nous que nous croyions avoir des droits sur tout le wagon 1.

Quand orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près.

A peine étions-nous endormies, ma belle sœur et moi, que ma fille Pilar parut, portant son petit oreiller, et nous dit, en s'excusant de nous déranger: « Un petit garçon italien vient de s'asseoir sur ma tête! »>

Nous nous mîmes à rire et lui accordâmes volontiers l'hospitalité pour la nuit.

Ce joyeux épisode fut le début de nombreuses aventures du même genre. Un intrus disparu, un autre se présentait. Un disciple italien du dieu Mars venait de s'éloigner et nous recommencions à dormir, quand la porte du wagon fut énergiquement ouverte et un gros homme à barbe grise parut dans le couloir.

L'employé, auquel nous avions donné un pourboire, dit en confidence à l'étranger: « Ces dames sont des princesses. » Mais le nouveau venu se mit à crier avec fureur: « Ne savez vous pas qu'un député vaut plus que deux princesses?» Puis, apercevant ma fille qui continuait à sommeiller paisiblement : Poveru bambina! dit-il d'une voix radoucie, et il tourna les talons.

Il fut remplacé par une famille entière, avec plusieurs femmes et des enfants. Il ne nous restait plus qu'à faire place. Le père de famille avait des manières violentes. Je dois avouer que mon humeur de pèlerinage s'en ressentit pendant quelques instants et que je pris avec une certaine raideur un paquet que l'étranger me tendait.

Au point du jour, nouvelle invasion de voyageurs. Nous n'osions plus quitter nos places: elles eussent été immédiatement occupées. Tout à coup, quelqu'un dit en allemand près de nous : « Il y a de quoi vous faire perdre l'envie de voyager! » Bien que nous eussions déjà atteint le pays où fleurit l'oranger, cet idiome familier retentit à mon oreille comme une musique. Nous eûmes tout de suite classé notre Allemand et son compagnon. Ils avaient l'air très distingués : ce ne pouvait être qu'un prince et son aide de camp. N'ayant pas trouvé de place, ils demeuraient debout dans le couloir. Quand

La princesse voyageait incognito.

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