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38. La partie dont le contrat a été rompu par le fait de son service militaire qui a fait les trois preuves prescrites par l'article 1, les deux autres prescrites par le second article, et celle prévue par notre article 3, a droit à des dommages et intérêts.

Cette formule est intéressante à retenir, surtout si on la compare à celle contenue en l'article 1780 lequel porte :« la résiliation du contrat << par la volonté d'un seul des contractants peut donner lieu à des << dommages et intérêts ».

Il y a donc dans la nouvelle loi non plus une faculté pour le juge, mais une obligation impérative.

Et c'est bien volontairement que cette différence de rédaction existe.

Nous lisons en effet dans le rapport de M. Lelièvre au Sénat : <<... Et d'abord,il importe de dissiper une confusion qui paraît s'être produite dans l'esprit de l'un des honorables députés qui ont pris la << parole dans ce débat.

<< A la séance du 16 novembre 1900, M. Coutant critiquant la rédac<<tion de l'article 3 du projet, en ce que les indications de l'article << 1780 du Code Civil auxquelles il se réfère, devront servir à l'arbi<< trage des dommages-intérêts réclamés, a cru pouvoir conclure << qu'avec le texte adopté par le Sénat, le juge pourrait refuser une << indemnité à l'ouvrier ou à l'employé congédié.

<< Et pour appuyer sa thèse, M. Coutant cite le texte de l'article << 1780 § 3 où il est dit que la résiliation du contrat par la volonté << d'un seul des contractants peut donner lieu à des dommages-inté<< rêts.

« C'est donc, a conclu l'honorable député, une possibilité et non << une obligation pour le juge de prononcer une condamnation.

<< Pour faire tomber cette interprétation que M. Coutant applique au << projet actuel, il nous suffira de remarquer que l'article 1er du projet << en discussion a précisément pour objet, dans le cas déterminé par << son texte, d'une part, de modifier le § 3 de l'article 1780 et, d'autre < part, de constater que l'article 3 du projet comporte ces mots : la << partie lésée aura droit à des dommages-intérêts.

<< Il y a donc bien dans notre texte obligation et non simple fa<culté pour le juge d'accorder des dommages ».

39. Si la partie a droit à des dommages-intérêts,quel en sera le

taux.

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Faisons tout d'abord sur ce point un court historique.

Dans la proposition Prudent-Dervillers les dommages et intérêts étaient basés sur le temps pendant lequel les soldats renvoyés avaient antérieurement occupé leur emploi,et étaient déterminés par les us et

coutumes qui font loi pour les différends soumis à la juridiction des prud'hommes.

Dans la proposition Coutant aucune base n'était fixée.

Dans la proposition Roche et Le Senne, les dommages et intérêts étaient équivalents à trois semaines de travail pour les ouvriers, et à trois mois d'appointements pour les employés.

Dans le rapport Lavy, aucune base n'était fixée, mais un minimum était édicté. Les dommages et intérêts ne pouvaient être inférieurs au salaire d'un mois pour l'ouvrier ni aux appointements de deux mois pour l'employé. Il en était de même dans le premier rapport Odilon-Barrot, alors que dans le rapport Volland au Sénat et dans le contre-projet Beauregard à la Chambre, on se bornait à l'application de l'article 1780.

Dans le deuxième rapport Odilon-Barrot, il y a une particularité intéressante. L'article 1780 sera en principe applicable; toutefois les dommages-intérêts ne pourront être inférieurs aux appointements de deux mois pour l'employé et au salaire d'un mois pour l'ouvrier,si cet employé ou ouvrier a travaillé depuis au moins un mois dans l'atelier ou le magasin.

40.

· Dans le texte définitif les dommages et intérêts sont arbitrés par le juge conformément aux indications de l'article 1780 du Code civil.

L'on doit donc tenir compte: 1° des usages; 2o de la nature des services engagés ; 3o de la participation à une caisse de retraites; 4 et en général de toutes les circonstances de nature à justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé.

L'on doit prendre pour base d'abord les usages.

Ces usages présentent une très grande importance, car la plupart du temps, lorsqu'il en existera, ils détermineront la décision des Tribunaux.

Remarquons que les Compagnies de chemins de fer ont toujours mis un soin jaloux à n'en pas laisser établir.

Nous savons (1) qu'elles ont bien des règlements qui leur permettent dans certaines situations d'accorder des indemnités d'après des bases qu'elles établissent unilatéralement. Mais ces dispositions n'existent qu'à titre de pure bienveillance de la part de la Compagnie, et l'employé n'a aucun droit de s'en prévaloir (2).

Nous croyons au contraire que si un employé de cette Compagnie était renvoyé contrairement aux dispositions de la nouvelle loi, les Schaffhauser, Labori et Gomperts. Comm. ue la loi du 27 déc. 1890, n° 37; Pic, p. 433.

1.

2.

En ce sens Rep. Gén. Alph. du Dr. de Carpentier, v°. Louage d'Ouvrage, no 399.

Tribunaux pourraient très légitimement faire application de ces règlements aux employés en raison de la faute grave commise par l'employeur.

Les usages sont locaux et varient suivant les industries et les pays. Le pays dont il faut observer l'usage est en principe celui où le contrat est passé (1).

L'on pourrait encore sur ce point faire application du principe posé par un arrêt de la Cour suprême de 28 juin 1893 (2), qui a décidé lors d'une application de la loi de 1890, que pour évaluer l'indemnité due à l'ouvrier à raison de son congédiement trop brusque et non motivé, les juges pouvaient sur sa demande combiner les usages suivis en France, où l'ouvrier se trouvait dépourvu d'emploi, avec les usages du pays étranger auquel il appartenait; et l'arrêt ajoutait qu'un tel procédé, uniquement employé à l'effet de fixer avec équité la réparation due à l'ouvrier ne saurait être critiqué, d'autant qu'en ces matières, les juges du fond ont un pouvoir souverain d'appréciation.

En ce qui concerne la nature des services engagés, il est juste, comme le disait à la Chambre M. Poincaré dans son rapport, lors de la discussion de la loi de 1890, que l'indemnité varie suivant la difficulté du travail, la valeur de l'employé, le genre d'industrie si elle est d'art ou de commerce, etc., (3).

La troisième base est le temps écoulé.

Bornons-nous à faire remarquer avec un arrêt de la cour d'Amiens du 2 janvier 1892 (4) que, dès lors que le droit à une indemnité est reconnu,les juges ne sont pas astreints à calculer d'après le seul usage des lieux, ils peuvent aussi tenir compte des circonstances spéciales de l'affaire et notamment de l'ancienneté des services de l'employé congédié.

Comme le font très justement observer de savants auteurs (5), cela n'a rien que de très raisonnable. Un employé qui est resté longtemps au service de quelqu'un, qui a consacré plusieurs années de sa vie à un établissement industriel, agricole ou commercial, a plus de droit s'il est congédié, à la bienveillance de la justice, qu'un employé nouveau qui n'avait pas encore l'espoir d'avoir acquis une situation définitive. Le texte de la loi repousse toute exigence d'un minimum de durée de temps de services pour le droit à des dommages-intérêts. Aucune difficulté ne se présente en ce qui concerne la participation de l'employé ou ouvrier à une caisse de retraites.

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Enfin restent comme base d'indemnité toutes les circonstances pouvant justifier l'existence et déterminer l'étendue du préjudice causé. Tout ce que l'on peut dire,c'est qu'en principe le juge pourra, devra même être d'autant plus large dans le quantum des dommages-intérêts que la faute en elle-même est plus lourde et plus grave.

SECTION IV.

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Article 4. Toute stipulation contraire aux dispositions << qui précèdent est nulle de plein droit ».

41.

A la séance de la Chambre du 15 novembre 1900, Me Julien Goujon prit la parole en ces termes :

<<... J'ai eu l'honneur de déposer sur le bureau de la Chambre un << article additionnel ainsi conçu: Les deux derniers paragraphes de << la loi du 27 décembre 1890,relatifs au congédiement des ouvriers « et employés, sont et demeurent applicables à la présente loi.

<< Les paragraphes auxquels je fais allusion sont ainsi rédigés :

« 1. Les parties ne peuvent renoncer au droit éventuel de deman<< der des dommages en vertu des dispositions ci-dessus ;

«

<< 2° Les contestations auxquelles pourra donner lieu l'application des paragraphes précédents, lorsqu'elles seront portées << devant les Tribunaux civils et devant les Cours d'appel, seront « instruites comme affaires sommaires et iugées d'urgence.

<< Sur le fond de la question, il ne peut y avoir entre nous aucune << difficulté, et si je monte à la tribune, c'est pour substituer à ce texte, << qui peut, dans l'esprit des ouvriers, créer une inquiétude, un texte << plus net et plus explicite qui est accepté par la commission du tra<< vail. Mon nouvel article additionnel serait ainsi conçu : Toute sti<< pulation contraire aux dispositions qui précèdent est nulle de << droit...

«

L'honorable député explique ensuite pourquoi il est venu substituer ce second texte au premier. C'est parce que la jurisprudence de la Cour de cassation et celle du Tribunal de la Seine (1), avait admis que les parties si elles n'avaient pas la faculté de renoncer au droit éventuel à des dommages-intérêts (2), pouvaient au moins, à l'aide d'une clause pénale, limiter par anticipation les dommages-intérêts.

Il démontre ensuite avec des citations de MM. Trarieux et Poincaré à l'appui, que cette jurisprudence est manifestement contraire aux principes proclamés dans les deux Chambres lors de l'élaboration de la loi 1890.

1.

Trib. com. Seine 9 sept. 1892 (S. et P. 93-2-63. D. P. 93-2-545). Contra Sauzet. Ann. Dr. Com. 91-2-110.

2. Cass. 20 mars 1895 (S. et P. 95-1-317) et 9 juin 1896. S et P. 96-1-400.

Il ajoute, d'accord en cela avec le président de la Commission, que la loi que l'on vote ne crée pas un droit nouveau, que c'est une loi interprétative et qu'il était bon qu'à cette tribune, on dît aux tribunoux qui seraient tentés de s'écarter de cette opinion que telle était la la volonté du Parlement.

42. Aucune difficulté donc; toute stipulation contraire à la loi sera nulle de plein droit, c'est-à-dire que les Tribunaux proclameront cette nullité, sans qu'ils aient le pouvoir de faire autrement et que toute personne pourra s'en prévaloir.

Nous avons vu (1) un cas de stipulation nulle. Nous n'avons pas besoin de multiplier les exemples. Bornons-nous à dire que la loi veut que l'on ne puisse, par aucun moyen direct ou indirect, entraver l'effet des dispositions qu'elle édicte.

§ 1.

44.

SECTION V

Questions diverses.

Quel est le Tribunal compétent pour connaître de la loi

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Dans la proposition Prudent-Dervillers, les juges compétents étaient les Juges de Paix et les Prud'hommes (sans appel).

Dans la proposition Coutant la compétence était attribuée aux conseils de prud'hommes cantonaux et à leur défaut au Juge de paix. Il intervenait un rapport d'une « commission municipale de prévoyance « pour la sécurité des réservistes ».

Enfin dans la proposition Roche c'étaient les Juges de paix qui devaient statuer.

Le texte définitif ne tranche point la question de compétence. Il n'est donc pas dérogé aux règles de la compétence. Les demandes d'indemnité devront être portées devant les Tribunaux de commerce, les prud'hommes, les juges de paix, et les Tribunaux civils, suivant que d'après les règles ordinaires du droit, elles devront être déférées à l'une ou à l'autre de ces juridictions, c'est-à-dire suivant le chiffre de la demande, la nature du contrat ou la qualité des parties.

Il nous semble que l'unification de compétence eût été désirable.

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§ 2. Si ce sont les Tribunaux Civils et les Cours d'appel qui sont compétents, les affaires ressortissant de la nouvelle loi doiventelles être considérées comme affaires sommaires et jugées d'urgence?

45.

1.

Nous venons de voir que quelquefois les Tribunaux civils Voir supra no 34.

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