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gieux, littéraire, artistique, philantropique, scientifique, pour servir les intérêts les plus nobles de l'humanité.

Jusqu'à ce jour de telles associations ne relevaient en France, que du Code pénal. Les seules associations professionnelles formées sans aucune pensée de bénéfice, pour « l'étude ou la défense des intérêts économiques, industriels, commerciaux et agricoles », avaient réussi à s'affranchir de ce régime. La loi du 21 mars 1884 sur les syndicats était en effet un premier pas légal vers la liberté d'association. On peut y ajouter la loi du 12 juillet 1875 modifiée par celle du 18 mars 1880, qui a soustrait aux dispositions des articles 291 et suivants, les associations formées pour créer et entretenir des cours d'enseignement supérieur et qui leur permet de se fonder sur simple déclaration. Quant au reste; jusqu'à la promulgation de la loi du 1er juillet 1901, les associations, quelqu'utile ou louable que fût leur but, et trente ans après la fondation de la troisième République, demeuraient sous le coup des rigueurs pénales édictées par les gouvernements monarchiques.

M. Laboulaye (1), indique très justement comment la conception qu'on s'est formée en France du Gouvernement, et nos habitudes de centralisation excessive, ont empêché l'éclosion plus rapide d'une forme de liberté qui n'est en somme que le complément indispensable de toutes les autres.

L'association peut être, en même temps qu'un puissant agent de dé veloppement pour l'énergie des individus, un précieux auxiliaire pour l'Etat; elle est l'unique moyen de le décharger d'un certain nombre d'interventions auxquelles peut et devrait suppléer l'initiative individuelle. « Chez nous, dit M. Laboulaye, entre l'État et l'individu, il n'existe rien. L'État se croit le droit de faire tout ce que l'individu réduit à ses propres forces, est impuissant à exécuter. C'est une grande erreur et qui depuis 70 ans a empêché la liberté de s'établir en France. C'est là qu'il faut chercher l'origine de cette énorme machine de l'administration qui se charge de régler notre foi, d'élever nos enfants, de faire la charité pour notre compte et qui, si on n'y prend garde, ne nous laissera bientôt d'autre droit que celui de payer l'impôt. C'est l'association qui, dans les pays libres, débarrasse l'État d'une foule de soins qui ne le regardent pas ; c'est elle qui relie les individus isolés et multiplie les forces en les réunissant. Entre l'égoïsme individuel et le despotisme de l'État qui n'est qu'une autre forme de l'égoïsme, l'association place la foi, la science, la charité, l'intérêt commun, c'est-à-dire tout ce qui rapproche les hommes et leur apprend à se supporter et à s'aimer mutuellement.

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Elle est le cumul des sociétés ; sans elle la force est la loi du monde ; avec elle, cette loi, c'est l'amour. Despotiques ou libéraux, nos gouvernements sont toujours d'accord pour écraser le moindre germe d'association. Pour réunir vingt personnes et leur parler de religion, de morale, de littérature, que dis-je? d'arithmétique, ou de chimie, il faut l'autorisation de l'administration, et l'administration a toujours peur. La liberté c'est l'inconnu, c'est toujours un certain bruit; l'interdiction, c'est le silence et le repos. Va donc pour l'interdiction ! »

Le langage de M. Laboulaye appelle aujourd'hui une réserve,puisque la République vient d'abroger les textes restrictifs soigneusement maintenus par les gouvernements précédents. Très naturellement, sous des régimes qui ne tiennent pas leurs pouvoirs de l'opinion, les défiances officielles vis-à-vis du droit d'association étaient d'autant plus vives que l'association a toujours tendu en France à prendre une forme militante, à combattre le pouvoir central beaucoup plus qu'à concourir à son œuvre sociale. Mais de telles préoccupations ne pouvaient arrêter plus longtemps un gouvernement démocratique, sous lequel le suffrage universel assure au pays le moyen de faire triompher une volonté publique.

II

A Rome, la liberté d'association était inconnue; nul collège, nulle corporation ne pouvaient exister, ni constituer une personne morale, sans un acte de l'autorité souveraine (1).

Sous l'ancienne monarchie, on ne peut s'assembler sans la permission du roi. Un mandement de Philippe le Bel de 1305 interdit sous peine de prison à toutes personnes de s'assembler au-delà du nombre de cinq dans les lieux publics ou secrets. En 1343, des lettres de Philippe de Valois au baillage d'Auvergne, défendent à toute personne de faire assemblée sous couleur de confraierie ou autrement (2). »

En 1629 sous Richelieu, une ordonnance royale interdit de « faire aucune ligue ou association ou d'y entrer » (3).

Mais si les assemblées ou associations laïques préoccupaient le pouvoir royal, ce sont spécialement les communautés et agrégations religieuses qui ont donné lieu à la longue série d'édits et d'ordonnances par lesquelles elles se trouvaient étroitement soumises, pour leur établissement, pour le développement de leur patrimoine, pour leur fonctionnement et leur dissolution, à l'autorité du roi.

1. Des Granges, Revue politique el parlementaire, janvier 1901; Accarias, Précis de droit romain, t. Ir, n. 187 et suiv.

2.

V. Weill, le Droit d'association, p. 4 et suiv.

3. Isambert, Recueil général des anciennes lois françaises, t. XVI, p. 275.

Il serait trop long de passer tous ces textes en revue (1): résumonsles en disant qu'ils tendent tous à subordonner à l'autorisation royale la-fondation de tous établissements religieux, quels que soient leur caractère, leurs règles et leur but, aucune communauté religieuse ne pouvant ainsi se fonder sans une raison d'utilité publique reconnue par le souverain. Dans le nombre, l'attention mérite d'être spécialement appelée sur la déclaration royale du 17 juin 1659 et l'édit de SaintGermain-en-Laye de décembre 1666 (Louis XIV, Chancelier Seguier), et enfin sur l'édit d'août 1749 (Louis XV, chancelier d'Aguesseau).

La déclaration du 7 juin 1659 qui interdit à toutes communautés religieuses, séminaires et confréries de se fonder sans lettres patentes du roi, enregistrées dans les cours souveraines, contient un préambule qu'il est intéressant de reproduire : « Les rois, nos prédécesseurs, ayant jugé combien il était important pour l'ordre de l'État et le bien de leur service qu'il ne se fît dans le royaume aucun établissement de maisons régulières, communautés, séminaires et confréries, sans leur autorisation et permission portées par lettres patentes scellées du grand sceau, ils ont de temps en temps, pour maintenir un règlement si juste, si utile et si nécessaire, fait défenses par diverses ordonnances de faire aucun établissement de cette nature, sans leur permission expresse, vérifiée dans une cour souveraine, avec le consentement des évêques et des villes où les établissements doivent être faits, ce qui a été longtemps religieusement observé; néanmoins nous avons depuis eu avis que, par un abus et licence préjudiciables à notre autorité et au public, tous ces bons et utiles règlements ont été méprisés et que l'on a entrepris, contre l'ordre de l'Église et au mépris de notre autorité, d'établir des maisons régulières, des communautés, séminaires, des confréries en plusieurs endroits de notre royaume sans le consentement des évêques et des villes et sans nos lettres patentes duement vérifiées, ce qui cause un grand scandale et fait naître diverses plaintes de voir l'autorité de l'Église méprisée et nos lois et ordonnances violées, dont l'on voit arriver tous les jours de grands inconvénients, la licence faisant entreprendre d'établir souvent des communautés sans aucun revenu, en sorte que l'on a vu plusieurs être obligées d'abandonner leurs couvents et laisser par décret les lieux qui étaient consacrés à Dieu, d'autres ont même formé des règles et des constitutions pour leurs communautés sans être approuvées. A ces causes, etc. »

1. V. les ordonnances de 1270 (Etablissements de Saint-Louis, art. 125), de 1275 sous Philippe-le-Hardi, de 1291, de 1320, de 1328, de 1370, de 1385, de 1402, de 1539, de 1560, de 1579, l'édit du 21 novembre 1629, la déclaration du 7 juin 1659, l'édit de Saint-Germain-en-Laye de décembre 1666, la déclaration du 23 avril 1693 et l'édit de 1749.

Allant plus loin encore que la déclaration royale de 1659, l'édit de décembre de 1666, œuvre du chancelier Seguier, impose le consentement préalable et par écrit de l'évêque diocésain, une enquête de commodo et incommodo, l'autorisation royale et l'enregistrement par le parlement du ressort des lettres d'autorisation; il étend ce régime. aux établissements de bienfaisance : « Voulons et il nous plaît, porte l'édit dans son dispositif,qu'à l'avenir il ne pourra être fait aucun établissement de collèges, monastères, communautés religieuses ou séculières, même sous prétexte d'hospice, en aucunes villes ou lieux de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, sans permission expresse de nous, par lettres patentes bien et dûment enregistrées en nos cours de parlement, et sans que nos dites lettres, ensemble lesdits arrêts d'enregistrement d'icelles, aient été enregistrées dans les bailliages, sénéchaussées ou sièges royaux, dans le ressort desquels ils seront situés; et ce par ordonnance des lieutenants généraux esdits sièges, rendue sur les conclusions des substituts de nos procureurs généraux en iceux, et en cas que lesdits monastères, collèges ou communautés soient établis dans l'enceinte, faubourgs ou proche d'aucunes de nos villes, voulons que nos dites lettres, arrêts de nos cours, et ordonnances desdits lieutenants généraux rendus en conséquence, soient enregistrés dans les hôtels communs desdites villes, de l'ordonnance des magistrats d'icelles ».

Suivent les sanctions: « En cas que ci-après il se fasse aucun établissement de communauté régulière ou séculière sans avoir été satisfait à toutes les conditions ci-dessus énoncées, sans exception d'aucunes, nous déclarons dès à présent, comme pour lors, l'assemblée qui se fera sous ce prétexte être illicite, faite sans pouvoir, et au préjudice de notre autorité et des lois du royaume. Déclarons lesdites prétendues communautés incapables d'ester en jugement, de recevoir aucuns dons et legs de meubles et immeubles et de tous autres effets civils; comme aussi toutes dispositions tacites ou expresses faites en leur faveur nulles et de nul effet et les choses par elles acquises ou données, confisquées aux hôpitaux généraux des lieux ».

Enfin pour mieux assurer l'exécution de ces prohibitions, et faisant table rase du passé, l'Édit déclare: « Et d'autant que certaines congrégations, monastères et communautés ont ci-devant obtenu de nous des permissions générales d'établir des maisons ou hospices dans toutes les villes de notre royaume, où ils seront appelés du consentement de l'Évêque et des habitants, sans avoir besoin de nouvelles lettres, comme aussi l'amortissement de tous les biens qu'ils pourraient acquérir pour la dotation des dits monastères, nous avons par ces présentes révoqué et révoquons les dites permissions pour quelque cause et en

quelques termes qu'elles aient été accordées à quelques communautés que ce soit, pour les biens qu'elles doivent ci-après acquérir, nonobstant les arrêts de vérification desdites lettres, auxquelles nous défendons à nos juges, officiers et justiciers d'avoir aucun égard ».

Il semble toutefois que des dispositions si sévères n'aient obtenu qu'un effet relatif, et la situation était devenue telle au XVIIe siècle que le chancelier d'Aguesseau, reprenant en 1749 l'œuvre antérieure, avec des sanctions d'une vigueur nouvelle, édicta un ensemble de règles qui a été considéré comme le « Code des gens de mainmorte », dans l'histoire de notre droit public (1).« Louis, etc...Le désir que nous avons de profiter du retour de la paix pour maintenir de plus en plus le bon ordre dans l'intérieur de notre royaume, nous fait regarder comme un des principaux objets de notre attention les inconvénients de la multiplication des établissements des gens de mainmorte et de la facilité qu'ils trouvent à acquérir des fonds naturellement destinés à la subsistance et à la conservation des familles ; elles ont souvent le déplaisir de s'en voir qrivées, soit par la disposition que les hommes ont à former des établissements nouveaux qui leur soient propres et fassent passer leur nom à la postérité avec le titre de fondateur, soit par une trop grande affectation pour des établissements déjà autorisés, dont plusieurs testateurs préfèrent l'intérêt à celui de leurs héritiers légitimes. Indépendamment même de ces motifs, il arrive souvent que, par les ventes qui se font à des gens de mainmorte, les biens immeubles qui passent entre leurs mains cessent pour toujours d'être dans le commerce, en sorte qu'une très grande partie des fonds du royaume se trouve actuellement possédée par ceux dont les biens, ne pouvant être diminués par des aliénations, s'augmentent au contraire continuellement par de nouvelles acquisitions. Nous savons que les rois nos prédécesseurs, en protégeant les établissements qu'ils jugeaient utiles à leur état, ont souvent renouvelé les défenses d'en former de nouveaux sans leur autorité et le feu roi, notre très honoré seigneur et bisaïeul, y ajouta des peines sévères, par ses lettres patentes, en formes d'édit du mois de décembre 1666... (2) ».

Après ce préambule viennent les articles. L'article 1r remet en vigueur toutes les dispositions anciennes :

1.

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-Les gens de mainmorte étaient fort nombreux; ils se composaient de corps et établissements dont l'institution était tantôt ecclésiastique, comme les communautés séculières et régulières, tantôt civile, comme les communautés d'habitants, les corps et communautés de marchands ou d'artisans, les collèges, tantôt mixte,comme les hôpitaux, les fabriques, les confréries: v. notamment Denisart, vo gens de mainmorte, et Merlin, Répertoire, t. VIII.

2. Isambert. Recueil général des anciennes lois françaises, t. XXII, p. 226.

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