Page images
PDF
EPUB

questions. Une prorogation d'enquête peut être accordée. Exceptionnellement l'enquête n'a pas lieu devant le juge-commissaire, mais devant le tribunal; c'est lorsqu'il s'agit d'une affaire sommaire, soit par sa nature, c'est-à-dire par son peu d'importance, soit par des circonstances extérieures, l'urgence, l'abréviation de délais. L'enquête faite à l'audience est consignée par écrit, seulement si la cause est susceptible d'appel, pour que les juges de seconde instance puissent statuer en connaissance de cause.

Telle est l'essence des dispositions de notre code de procédure. Presque chacune d'elles peut donner lieu à des critiques méritées. Mais auparavant et pour obtenir une base concrète à ces critiques, exaninons le système des législations autrichienne et allemande.

D'après ces législations, celui qui offre une preuve par témoins doit indiquer les noms des témoins et les faits; si plus tard on demande l'audition de nouveaux témoins, cette audition ne doit pas être accordée, s'il apparaît que la solution du procès en serait retardée, et si le tribunal pense que la partie a agi ainsi pour entraver la procédure ou par négligence grave. L'enquête à lieu d'ordinaire non devant un jugecommissaire, mais à l'audience; un juge-commissaire n'en est chargé exceptionnellement que dans les cas suivants: 1 lorsqu'il paraît utile d'entendre un témoin sur les lieux; 2° quand l'enquête devant le tribunal présente des difficultés considérables; 3° quand le témoin n'y peut comparaître; 4° quand il demeure à une grande distance; ce sont des cas analogues à ceux de nos commissions rogatoires. Du reste, ce système, diamétralement contraire à celui de notre Code, est celui de presque tous les codes étrangers. Cependant, en Italie, pour les affaires qui ne sont pas sommaires, la loi laisse au juge l'option entre les deux modes d'enquête. L'audition des témoins peut se faire sur les lieux contentieux. La citation est rédigée par le greffier, c'est lui qui les convoque, aussi le tribunal peut-il exiger la consignation d'une certaine somme pour les frais. Le témoin non comparant est frappé beaucoup plus durement qu'en France; il est condamné d'office aux frais occasionnés par sa non comparution, ainsi qu'à une amende au maximum de 300 marks et en cas d'insolvabilité, à un emprisonnement de six semaines; la seconde fois, un mandat d'amener peut être décerné. Voici maintenant l'exclusion de tout notre système d'incapacité, d'indignité, et de reproches pour tout autre motif : tous les témoins sans aucune exception peuvent et doivent être entendus. Le code italien est dans le même sens. Le tribunal aura à leurs dépositions tel égard que de raison, mais pourra baser sa sentence sur n'importe quel témoignage. C'est le dernier assaut donné au système des preuves légales. Seulement certains témoins, ce qui est très différent, peuvent se refuser à témoigner, nous avons en France cette classe, mais elle ne comprend que les personnes qui peuvent invoquer le secret professionnel; en droit étranger elle en renferme beaucoup d'autres, notamment une partie de ceux que chez nous on peut reprocher. Tout d'abord, les fonctionnaires publics, alors même qu'ils ne sont plus en activité de service, ne peuvent témoigner sur les faits professionnels qu'avec l'assentiment de l'autorité supérieure, assentiment qui ne peut être refusé que si l'intérêt de l'Etat se trouvait mis en péril; c'est le tribunal qui demande cet assentiment et le notifie au témoin. Les autres personnes qui peuvent refuser de témoigner forment deux catégories, savoir : celles qui peuvent invoquer un motif réel, celles qui allèguent un motif

[graphic]

personnel en raison de la parenté ou de la profession. C'est ainsi qu'une personne quelconque peut refuser de témoigner: 1°si la déposition peut avoir pour conséquence immédiate un dommage matériel pour le témoin ou l'un de ses proches, 2° si elle peut compromettre son honneur ou celui de l'un des siens, 3° si elle implique la révélation d'un secret artistique ou industriel. Peuvent refuser de témoigner en raison de de leur situation personnelle 1° la personne fiancée à l'une des parties, 2o le conjoint de l'une d'elles, même après la dissolution du mariage 3o les parents ou alliés en ligne directe, naturellement ou par adoption, et en collatérale les parents jusqu'au troisième degré et les alliés jusqu'au deuxième, 4° les ministres du culte pour le secret professionnel, 5° toutes autres personnes pour les faits tombant sous ce secret; celles qui peuvent refuser pour cause de parenté doivent être préalablement averties de leur droit de refus; celles qui peuvent invoquer le secret professionnel peuvent témoigner sur les faits en dehors de ce secret.

Cependant tous les témoins sans exception doivent déposer: 1° sur l'existence et le contenu d'un acte à la passation duquel ils ont assisté comme témoins instrumentaires, 2° sur les naissances, mariages ou décès des membres de leur famille,3° sur les questions d'intérêt qui résultent des liens de famille, 4° sur des actes ayant trait au litige lui-même. quand ces actes leur sont attribués en leur qualité d'auteur ou des représentants d'une des parties. On peut relever du secret professionnel et alors le témoin est tenu de déposer. Il doit rendre vraisemblable les faits sur lesquels il base son refus, alors il n'est pas tenu de se présenter au jour fixé. Le Tribunal statue sans intermédiaire d'avoué. Chaque témoin prête serment avant de déposer, mais ce serment peut suivre seulement la déposition; en outre, ce qui ne serait pas permis chez nous, les parties peuvent renoncer à la prestation de serment du témoin, comme on renonce à celle d'un expert. Cependant certaines personnes sont entendues sans serment; ce sont : I les mineurs de seize ans ou les personnes dont l'esprit est trop faible pour en comprendre la portée, 2 celles qui d'après les lois criminelles sont incapables de témoigner, 3° celles qui sont dispensées pour cause de parenté ou d'intérêt personnel lorsqu'elles consentent à le prêter. Cette dernière mesure est assez singulière; elle constitue un demi-reproche: puisque telle personne pourrait se refuser à témoigner, ne devrait-elle pas prêter serment comme toutes les autres, si elle se décide à déposer? Les témoins sont entendus séparément, mais ils peuvent être confrontés. Le président doit autoriser les avocats-avoués à poser directement des questions. On peut faire entendre le même témoin de nouveau. On voit combien les deux systèmes diffèrent. Celui du projet a presque abandonné le système français et s'est rattaché au système allemand, en toutes les grandes lignes au moins. Tout d'abord le jugement qui ordonne la preuve décide si l'enquête aura lieu devant lui ou devant un juge-commissaire; on n'a pas osé ordonner que l'enquête aurait toujours lieu devant le tribunal entier, parce qu'il y a des enquêtes extrêmement longues, mais cela devra être la règle, c'est la généralisation de ce qui a lieu aujourd'hui dans les affaires sommaires. En outre, lorsque l'enquête doit avoir lieu à l'audience, le jugement indique si elle sera publique ou à huis-clos, et il en fixe le jour; il le fait même dans le cas de renvoi devant le juge-commissaire; le jugement ne sera point signifié, voilà d'un coup bien des retards et bien des

[graphic]

frais inutiles supprimés. Si le jugement est par défaut, l'opposition n'est recevable que dans la quinzaine de la signification, mais le défaillant peut, en tout état de cause, même après les délais d'oppositions et la clôture de l'enquête, être autorisé à procéder à une contreenquête, sauf au tribunal à ordonner que tels des témoins de l'enquête seront entendus de nouveau. Les noms des témoins doivent être respectivement notifiés. L'enquête et la contre-enquête, soit devant le tribunal, soit devant le juge-commissaire, ont lieu en même temps. Le président ou le juge-commissaire peuvent faire toutes questions aux témoins, non-seulement sur les faits admis, mais sur tous autres utiles, contrairement à la législation actuelle. Les témoins peuvent être entendus de nouveau et confrontés entre eux. L'amende contre le témoin réfractaire peut s'élever jusqu'à 1000 francs. En cas de réassiguation, on peut décerner mandat d'amener contre lui. Les reproches sont abolis; seulement on ne peut assigner comme témoins les parents ou alliés en ligne directe de l'une des parties, ni son conjoint même divorcé, sauf dans les procès relatifs à des questions d'état et dans ceux de séparation de corps ou de divorce, mais ils peuvent alors se refuser à déposer; dans l'état actuel du droit, ce refus ne serait pas permis en matière de divorce et ces parents ne pourraient, par contre, étre cités en matière de questions d'état. Les médecins, ministres des cultes, avocats, officiers publics et ministériels peuvent refuser de déposer en invoquant le secret professionnel.

Plusieurs grands principes se dégagent de cette direction contemporaine de la procédure d'enquête.

Le premier est celui de la procédure orale, publique et contradictoire, devant le tribunal entier, substituée à la procédure écrite et occulte devant un juge-commissaire; la prédominance de plus en plus marquée de la procédure ayant ces caractères s'étend même au répressif; c'est celle des temps anciens, survivant encore en Angleterre, qui est ressuscitée chez nous, après avoir été longtemps éliminée par la procédure contraire. C'est qu'elle a, en effet, des avantages précieux. Lorsque l'enquête a lieu devant le juge-commissaire, elle a une physionomie pour lui, car il entend les témoins, voit leur attitude, leurs gestes, note les inflexions de leurs paroles, mais pour lui seul, car ceux qui seront appelés à juger ne les auront pas aperçus, ils ne pourront que lire leur déposition cristallisée sur le procès-verbal. Et même le juge commis n'aura pas l'impression entière; il aura entendu les témoins de l'enquête huit jours, quinze jours peut-être avant ceux de la contre-enquête et il lui sera interdit de les confronter entre eux. Le tribunal saisi du procès-verbal d'enquête n'en connaîtra ainsi que le sommaire, d'autant plus que les dépositions pour être écrites ont dû être traduites préalablement par le juge d'un langage incorrect et impropre en un langage meilleur, c'est donc une simple traduction qu'ils ont sous les yeux; or, à chaque passage à travers un milieu, la pensée subit une réfraction qui peut aboutir à la réfraction totale. Au contraire, si l'enquête a lieu à l'audience, les juges ont devant eux les témoins vivants apportant leur témoignage vivant,avec le geste, la physionomie qui décelent souvent la sincérité, la passion, ou leur absence. Il peut les confronter non seulement entre eux, mais avec les parties présentes. Le jugement est rendu à la prochaine audience, alors que l'impression de l'enquête orale est encore présente à l'esprit. Il importe donc de ne pas renvoyer devant un juge-commissaire. Cependant on peut faire à ce

système deux objections sérieuses: tout d'abord certaines enquêtes sont très longues, et si elles ont lieu à l'audience, le temps consacré d'ordinaire au débat oral sera absorbé par ces apurements; il faut donc admettre quelques exceptions, d'autant que dans les affaires sujettes à appel le président ne se borne pas à entendre les dépositious, ni chaque juge à en tenir note pour lui-même, il faut qu'il les dicte sur un procès-verbal pour que plus tard la Cour puisse statuer, or cette dictée absorbe un temps énorme et l'expédition des affaires va en souffrir. Le projet a cru trouver un remède; sauf dans les affaires sommaires, le tribunal aura le choix de retenir l'enquête ou de déléguer un juge. Mais cette faculté détruit le principe, car le tribunal, s'il en a le pouvoir, renverra toujours devant un juge-commissaire, et la réforme ne sera que nominale; le système du Code allemand est seul sur ce point efficace, mais laisse subsister l'objection ci-dessus. La seconde objection est relative au souvenir de la déposition; le juge a besoin de ne pas l'avoir entendue,seulement une fois, mais d'y revenir et dans ce but il faut qu'elle soit constatée par écrit, ce qui n'a pas lieu dans les affaires sommaires et ce qui n'aurait pas lieu dans les autres si l'on voulait rapidement procéder. Dans les questions de divorce surtout il ne suffit pas d'une impression fugitive, encore moins dans des questions d'un intérêt faible pour l'auditeur, quand il s'agit de servitudes, de comptes, etc.

Un moyen simple pourrait être employé qui rendrait pratique l'enquête à l'audience. Le président interrogerait les témoins, les confronterait, entendrait les explications des parties, sans se préoccuper le moins du monde de la constatation par un procès-verbal. Cependant cette constatation aurait lieu; elle ne se bornerait point à l'analyse sèche de la déposition, comme celle qui est dictée par le président, mais elle la reproduirait tout entière avec les termes mêmes employés par les témoins, elle la photographierait. Le greffier serait chargé de sténographier l'enquête. S'il s'agissait d'une affaire en dernier ressort, le tribunal et les parties pourraient dispenser à la fin le greffier de traduire la sténographie en langage clair, ce qui économiserait des frais; dans les autres, au contraire, la traduction de la sténographie devrait figurer au procès-verbal. De cette manière, un temps trop long ne serait pas employé ; les juges auraient à la fois l'impression de l'enquête vive et son souvenir exact par cette représentation, et la Cour d'appel elle-même retiendrait quelque chose de la physionomie des dépositions.

Le second principe est celui de la simultanéité de l'enquête et de la contre-enquête, même lorsqu'elles ont lieu devant le juge commissaire. Cette simultanéité est très précieuse, elle permet un contrôle réciproque des témoins les uns par les autres et souvent par les parties elles-mêmes, quoique la participation de ces dernières ne soit admise qu'indirectement, et à l'actif, non au passif, puisqu'elles interrogent, mais ne peuvent être interrogées. Lorsque chacune de ces deux opérations est faite à part, cela devient impossible. Pourquoi d'ailleurs diviser l'indivisible? Est-ce qu'au répressif les témoins ne sont pas confrontés devant le juge d'instruction et devant le tribunal correctionnel? Seulement, ce qui manque encore dans l'application de ce principe faite par le projet, c'est la présence des parties pour qu'elles soient confrontées avec les témoins. Cela serait facile devant le juge-commissaire, car elles assistent presque toujours aux enquêtes. Devant

le tribunal, au contraire, elles sont représentées par leurs avoués. Tout au moins, le tribunal devrait-il pouvoir dans certaines affaires ordonner que les parties seront représentées pour pouvoir les confronter avec les témoins, ce serait un mélange très heureux de l'enquête et de la comparution personnelle.

Le troisième principe est celui de la suppression des reproches. L'exclusion des témoins admise par la législation repose sur la parenté ou l'alliance, l'intérêt indirect que le témoin a au procès, la dépendance, l'indignité, le parti déjà pris sur la question litigieuse, la corruption apparente; quelques-uns de ces motifs, par exemple, la parenté, peuvent dispenser le témoin de déposer, mais ne sauraient l'exclure raisonnablement s'il veut le faire. Examinons une à une les causes de reproches; d'abord la parenté, l'alliance, et cette sorte de parenté indirecte qui affecte le donataire ou l'héritier présomptif. Sans doute, on peut supposer que le parent sera favorable à son parent et l'allié à son allié, à moins que ce ne soit exactement le contraire. Mais s'il veut témoiguer, c'est qu'il se sent la conscience à l'aise ; et d'ailleurs sa parenté est connue, on aura à sa déposition tel égard que de raison. C'est quelquefois le témoin nécessaire, le seul dont la déposition se trouve ainsi écartée. Cela est si vrai que dans les procès les plus importants, en matière de divorce, en sa qualité de témoin nécessaire, sa déposition est admise. D'ailleurs, le procédé qu'on emploie est bien singulier quand l'enquête a lieu devant le juge commissaire ; sauf celle des parents en ligne directe, la déposition est recueillie malgré le reproche, et le tribunal peut la lire tout au long sur le procèsverbal d'enquête. Ne vaut-il pas mieux l'admettre franchement ? Les témoignages ne se nombrent pas, mais se pèsent, et si une telle déposition n'a aucun poids, elle sera rejetée en fait. Il en est de même du reproche fondé sur la dépendance, le domestique pourra témoigner s'il le veut, mais on connaitra sa qualité et on appréciera en conséquence; d'ailleurs, n'admet-on pas son témoignage en matière de divorce? Telle personne a donné un certificat sur les faits du procès; on présume qu'elle ne voudra se déjuger à aucun prix, c'est une présomption souvent erronée. Cette cause de reproche est nuisible dans beaucoup de procès. Les avocats ont leur dossier bourré de toutes sortes de certificats pour impressionner le tribunal; ils rendent reprochables tous les auteurs de ces pièces quand il s'agit ensuite de les faire témoigner. Le fait d'avoir bu et mangé aux frais d'une des parties est un piège vulgaire souvent tendu à la campagne; la moindre consommation acceptée rend le futur témoin incapable et on sait si les consommations se refusent. Pourquoi d'ailleurs supposer qu'on puisse être corrompu pour quelques centimes? Il y a dans cette prohibition un naïf archaïsme. Enfin la cause de reproche la moins fondée, c'est celle relative au condamné. Il faudrait d'abord distinguer entre les condamnations, même celles pour crimes, car il y en a qui n'affectent pas l'honneur. Puis, l'honnêteté est souvent divisible, le repentir peut étre venu, et enfin la capacité de témoigner n'est pas un bénéfice pour le témoin, mais pour ceux qui ont besoin du témoignage et pour la Société. Ce n'est donc pas le coupable qu'on punit. Il suffit que la qualité suspecte soit constatée pour que la déposition puisse se peser.

Mais si ces causes de reproche ne sont pas fondées comme telles, elles peuvent, au contraire, pour la plupart, former de valables motifs de dispense. Un parent peut ne pas vouloir déposer dans une affaire rela

1

« PreviousContinue »