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REVUE DES TRAVAUX LÉGISLATIFS

La Table perpétuelle des textes législatifs.

Depuis quelque temps, les textes se multiplient avec une inquiétante fécondité lois, décrets, circulaires.... etc.... se succèdent et se pénètrent, se complètent ou s'abrogent, (on en a même vu se contredire), dans un enchevêtrement qui déconcerte les recherches. Le jurisconsulte ne se reconnaît qu'à grand peine au milieu de dispositions si nombreuses. Encore n'est-il jamais assuré d'avoir en main la dernière promulguée sur la matière qui l'intéresse. Telle est, en effet, la profusion des nouveaux textes, qu'il devient presque impossible de se tenir au courant de ces modifications incessantes, faute d'un recueil qui les enregistre au fur et à mesure dans un ordre méthodique.

Or, c'est là un genre de services que l'on ne saurait attendre des codes les plus parfaits.

La plupart sont, il est vrai, pourvus d'un supplément consacré aux lois usuelles, mais, les additions successives que reçoit cette partie du volume ne peuvent l'empêcher d'être, par la force même des choses, toujours en retard sur la législation en vigueur. Au surplus, le prix élevé de ces ouvrages s'oppose à ce qu'on les renouvelle aussi fréquemment qu'il conviendrait. L'expérience démontre qu'on ajourne d'une année à l'autre l'acquisition d'une édition mieux en harmonie avec l'évolution législative. En attendant, l'avocat prolonge son vieux code, au risque de commettre bien des erreurs.

Si quelques-unes passent inaperçues, ne doit-il pas, le plus souvent, l'imputer à cette simple coïncidence que ni son adversaire, ni ses juges, n'étaient mieux documentés que lui....?

En tenant compte de ces diverses considérations, l'avenir semble appartenir à un code qui soit mobile, comme la législation elle-même, pour mieux en noter les fluctuations, et dans lequel les textes soient perpétuellement classés, d'abord, par ordre alphabétique de matières, puis, dans chaque matière, suivant la succession chronologique. — Par ordre alphabétique de matières, afin de faciliter les recherches, et, au besoin, de les provoquer, car, la condition primordiale pour trouver une disposition, c'est de savoir qu'elle existe; comment la deviner, si rien ne la révèle? Par ordre chronologique ensuite, pour présenter, sur chaque sujet, le dernier état de la législation.

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Tel est le problème que vient de résoudre un membre distingué du Barreau, à l'aide d'un procédé original dont le mérite lui revient entièrement, car rien de semblable n'avait encore été tenté.

M Lefrançois, avocat à la Cour d'appel de Grenoble, a eu la patience de dépouiller une à une toutes les dispositions importantes (Lois, décrets, circulaires, arrêtés, instructions... etc...) promulguées depuis le 1er janvier 1880, y compris la législation algérienne et coloniale. Il les a groupées sur des fiches mobiles, au nombre de 500 environ, ce qui Lois Nouvelles, 1901, 2 partie. Revue des travaux législatifs.

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lui a permis de combiner les deux méthodes de classement. Les feuillets se succèdent par ordre alphabétique de matières, et, sur chaque feuillet, les textes se suivent par ordre de dates.

Il ne pouvait être question de reproduire, en un espace aussi limité, le libellé même des dispositions. L'essentiel, après avoir signalé leur existence, est d'indiquer l'endroit où l'on peut aisément les trouver. L'auteur se réfère aux cinq publications qui sont les plus répandues : les Lois Nouvelles, le Recueil périodique de Dalloz, les Lois annotées de Sirey, les Pandectes françaises et la Gazette du Palais.

Ainsi entendu, l'ouvrage devient le complément naturel de toutes les bibliothèques, car il en est bien peu qui ne renferme l'un ou l'autre de ces cinq Répertoires.

Il pourra même être consulté avec fruit par les praticiens qui ne possèdent aucun de ces recueils. En effet, nous l'avons dit, c'est déjà beaucoup que d'avoir la notion et la certitude de l'existence d'un texte, et, ce premier point acquis, il n'est jamais impossible de se le procurer. Une disposition ingénieuse permet de tenir le volume au courant, et justifie le titre de table perpétuelle que lui a donné son auteur: La rédaction des Lois Nouvelles prend, à compter du 1er janvier 1901, la suite du travail de M. Lefrançois, et, moyennant un abonnement modique, enverra quatre fois par an les fiches qui auront subi des modifications dans le cours du trimestre. Le feuillet sera, dans ce cas, réimprimé tout entier et viendra remplacer celui qui aura été mis au point. - Enfin, une reliure mobile, dite électrique, complète le système en coordonnant les fiches et en les maintenant classées.

Tel est l'ouvrage dont nous sommes heureux de saluer la prochaine apparition.

M. Lefrançois n'est point un inconnu dans la littérature du Droit. Sans parler de diverses monographies qui ont attiré sur son nom l'attention des jurisconsultes, il a publié dans les Lois Nouvelles plusieurs commentaires très estimés. Ce nouveau travail est appelé à rendre les plus grands services à ceux (et ils sont nombreux) qui, par profession, sont obligés de chercher juste pour trouver vite. Aucun livre, peut-être, ne contribuera plus puissamment à faire connaitre cette loi que nut n'est censé ignorer, et qui se dérobe parfois aux plus laborieuses investigations.

LES RÉFORMES JUDICIAIRES ET LE BUDGET DU MINISTÈRE DE LA JUSTICE POUR L'ANNÉE 1901

CHAPITRE II. Discussion du Budget du ministère de la justice à la chambre des Députés (1).

SECTION I. - Discussion Générale (Suite).

La discussion générale se continua à la séance (première séance) du onze décembre.

1. - Voir les numéros des Lois Nouvelles des 15 et 31 décembre 1900, et 15 janvier 1901.

M. Bompard qui était monté à la tribune commença par déclarer que le budget de la justice était souvent voté sans observation, et que s'il en était autrement, et si plusieurs députés s'étaient inscrits dans la discussion générale, c'était parce que la commission du budget et son rapporteur, M. Cruppi, ne s'étaient pas bornés à rapporter les chiffres si modestes du budget de la justice, qui ne sont d'ailleurs qu'une simple apparence, puisque, si l'on dépense trente-cinq millions et demi pour le budget de la justice en France, le Trésor encaisse une somme au moins égale, grâce aux frais de timbre et d'enregistrement.

Et cette idée fait rééditer à nouveau cette constatation ironique que M. Rouher apportait jadis à la tribune, en présentant la loi de 1851, et dont le rappel fit sourire la chambre : « La justice est essentiellement << gratuite en France, parce qu'elle est une dette de l'Etat ; mais elle << est entourée de formalités onéreuses qui la rendent inaccessible aux <<< citoyens indigents (1) ».

La Commission du budget, fit remarquer l'orateur, demande au Parlement, par les articles 40, 41, 42 et 43 de la loi de finances, d'apporter à notre organisation judiciaire certaines réformes qui ne peuvent manquer de retenir l'attention.

M. Bompard présente tout d'abord une observation et une critique que nous avons déjà formulée « Tout d'abord, je constate que des << réformes organiques sont présentées par la loi de finances. Jadis << cela me paraissait une chose extrêmement contestable, et je suppose << que mon honorable ami M. Cruppi était de mon avis. Mais quand on << a siégé, ne fût-ce que quelques années dans cette enceinte, quand on << a vu la grande difficulté qu'il y a à faire aboutir les réformes les << plus modestes, on devient un peu plus large sur les principes, et « pourvu que l'accord se fasse sur une modification utile, que celle-ci soit réalisée par la loi de finances ou par une loi organique, cela « semble de médiocre importance. Je retiens seulement le fait parce « qu'il sera possible désormais à chacun de nous, lors du vote de la loi << de finances, de proposer et d'avoir l'espoir de faire adopter par la Chambre certaines modifications qu'il semblait à peu près impossible << de faire venir en délibération »>.

Il aborde ensuite les modifications proposées.

Relativement à l'article 40 de la loi de finances.qui apporte au Code d'Instruction criminelle une profonde modification qui a été examinée (2), l'honorable député ne s'y arrête pas,se bornant à faire remarquer qu'elle avait été déjà repoussée par le Sénat en 1883.

En ce qui concerne l'article 41 relatif aux cours d'appel, il fait valoir que c'est devenu une espèce de lieu commun de dire qu'elles sont trop nombreuses. Le gouvernement de la Défense Nationale et le ministère Gambetta avaient demandé de les réduire à dix-huit, et M. Bérenger en 1871 proposait de n'en garder que quatorze; elles n'en sont pas moins cependant restées au même chiffre invariable.

Même critique relativement aux conseillers de cours d'appel qui sont

1.

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Ce mot du ministre de l'Empire a visiblement inspiré M. Brieux, dans sa pièce la Robe Rouge. La mère : « Mais monsieur, on m'avait dit que la La Bouzule : « La justice est gratuite,

justice était gratuite en France...

<< seulement les moyens d'arriver jusqu'à elle ne le sont pas, voilà tout.. » acte III, scène II.

2. Voir pages 188 et 189 (n° des Lois nouvelles du 31 décembre 1900).

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trop nombreux : « on a cherché, en modifiant le quorum nécessaire << pour rendre un arrêt, en abaissant le nombre de magistrats requis << pour la validité d'une délibération, à rendre inutiles un certain nom<< bre de sièges de conseillers. C'est ainsi que M. Brisson, dans une pro<< position de loi qu'il a déposée en 1879, s'élevait contre le nombre << excessif des magistrats qui constituait un véritable luxe : il proposait << de réduire à trois le nombre des conseillers nécessaires pour la vali<< dité d'un arrêt.

« C'est ce qui a inspiré la loi de 1883, puisque cette loi a réduit le << nombre des conseillers, dont la présence est nécessaire, à cinq, en << faisant valoir que la France était le pays du monde où il fallait le plus << de magistrats pour rendre un arrêt. Il est vrai qu'en même temps le << Garde des sceaux d'alors, M. Martin-Feuillée, produisait une curieuse << statistique,dans laquelle il montrait que dans tous les pays européens, << quel que soit le nombre des magistrats requis pour rendre un << arrêt, il y avait à peu près quantité égale de réformations et de con<<firmations. Il parait qu'il s'établit en cette matière une sorte de << moyenne ».

Après avoir constaté que M. Cruppi ne s'était inspiré ni de l'une ni de l'autre de ces idées, il reconnait avec le rapporteur que la Cour de Paris est extrêmement surchargée et que d'autre part, le chiffre des affaires restant à juger grandit d'année en année dans une proportion considérable à Paris, ainsi d'ailleurs qu'à Lyon; l'augmentation du nombre des magistrats paraît à M. Raoul Bompard non seulement justifiée, mais indispensable dans ces deux cours.

Mais voulant que la réforme se suffise à elle-même, la commission du budget propose la suppression d'un conseiller par cour. C'est ici que l'honorable député présente ses critiques.

Tout d'abord pour apprécier si les cours sont surchargées ou non, la meilleure méthode consistant à se reporter au compte-rendu annuel de la justice qui est publié par le ministère, on constate que le nombre des affaires en retard dans la France entière, augmenté d'année en année (1), mais que ce reliquat se répartit très inégalement. En conséquence il s'étonne que l'on propose ce principe de l'amputation invariable, automatique en quelque sorte, d'un conseiller par cour, et que l'on n'aît pas apporté un texte tout autre permettant de supprimer des conseillers dans les cours les moins occupées et de les conserver dans les cours les plus occupées.

Et l'orateur cite des chiffres portant sur des Cours très chargées et d'autres non chargées; et démontrant qu'on ne peut traiter sur le même pied la Cour de Bordeaux qui compte au total 23 présidents et conseillers, 1280 affaires au total et qui avait encore à juger au 31 décembre 1896, 511 affaires dont 177 au rôle depuis six mois à un an, et telle autre Cour, qu'il ne veut pas citer « pour ne contrister aucun de << ses collègues », qui compte 147 affaires en tout, dont 22 seulement restent en retard.

<< Dans ces conditions,s'écrie-t-il, la commission du budget et le gou<< vernement ne pensent-ils pas qu'il serait préférable de voter un texte << qui, fixant une limite maxima au nombre de conseillers à suppri<< mer, laisserait au Gouvernement, étant donné qu'on prendrait la << précaution d'édicter un règlement d'administration publique, bien

1. Il était de 9073 en 1895; de 9348 en 1896; de 9.801 en 1897.

<< entendu, la possibilité de supprimer non pas seulement un, mais deux, << mais trois conseillers au besoin, dans les cours les moins occupées, << en laissant dans les cours les plus chargées le même nombre de ju<< ges. Il me semble que ce serait là une solution préférable à la tran<< saction qui est intervenue, d'après ce que nous dit le rapport, entre <«<le Gouvernement et la commission du budget, transaction qui a un << peu l'air de reposer sur les bases suivantes: on enlève un magistrat << aux Cours les plus chargées pour avoir le droit d'en enlever un à << celles qui ne le sont pas ».

L'orateur passe ensuite avec le rapport « des sommets de la hiérar<< chie au prolétariat judiciaire ». Il constate qu'il n'y a pas de retards à signaler. « Les juges cantonaux ont connu, en 1899, de 342.117 affai<< res, chiffre supérieur de 14.828 à celui de 1898, sur lesquelles ils << n'en ont laissé en retard, au 31 décembre, que 8.191, soit seulement << 23 pour 100.

Il déclare et constate, comme le rapporteur l'avait fait lui-même, que pour le juge de paix, si mal payé, révocable ad nutum, la répartition du travail est bien inégale. Pour ceux qui n'ont rien à faire, la loi de finances permet au Gouvernement de réunir par décret d'administration publique plusieurs justices de paix en une seule, du moins dans les villes, et d'économiser ainsi une certaine somme.

S'il est bien exact que la justice de paix de Lens, mentionnée par le rapport, est surchargée avec 1893 affaires portées à l'audience, celles de Paris sont beaucoup plus occupées encore. Il y en a une qui a par année 7.000 avertissements, 3.000 jugements, 4.000 conseils de famille, etc; de telle sorte que chaque semaine, 140 à 150 personnes se pressent dans la salle de cette justice de paix, qui ne peut guère en contenir plus de 80.

Cette situation avait attiré l'attention du garde des Sceaux M. Martin-Feuillée, qui avait préparé un projet de loi, qu'il déposa ensuite comme proposition de loi, n'ayant pas eu le temps de le soutenir comme membre du Gouvernement. L'article 34 de cette proposition de loi, permettait de fixer le nombre des juges de paix de Paris, en modifiant l'énumération d'autrefois, les renseignements fournis par la Chancellerie indiquant comme arrondissements les plus chargés aujourd'hui, les 2, 9°, 18°, 11°, 17°, 10° (1) et 12°, ainsi que les 'cantons de Neuilly et de Saint-Denis.

L'encombrement aboutit à cette conséquence, que la conciliation est complètement sacrifiée. « Elle n'existe plus du tout à Paris; d'ailleurs << elle n'existe guère plus en France.

<< Nous sommes vraiment un peu loin du moment où Voltaire disait: « La meilleure loi, le plus excellent usage que j'aie vu, c'est en Hol<< lande. Quand deux hommes veulent plaider l'un contre l'autre, ils << sont obligés d'aller d'abord au tribunal des juges conciliateurs << appelés faiseurs de paix. Si les parties arrivent avec un avocat « ou un procureur, on fait d'abord retirer ces derniers, comme on <<ôte le bois d'un feu qu'on veut éteindre ».

La conciliation diminue en effet dans des proportions considérables. Voici les chiffres en moyenne et par année:

1.

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Le 10° arrondissement qui n'a qu'un seul Juge de Paix, comme c'est la règle à Paris, ne compte pas moins de 240.000 habitants.

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