Page images
PDF
EPUB

puissances de ce monde, les opinions, les intérêts, les passions, les coutumes, et de ne vouloir entrer en accommodement sur aucune faiblesse ? Est-ce ainsi qu'on gagne les hommes? et y a-t-il rien, dans cette conduite, qui ressente la pru dence et la politique humaine? On ferait sur celle matière un long discours, qui, sans cesse, ramè nerait l'esprit à la même réflexion; car sous quel qu'aspect qu'on envisage ces hommes apostoli ques, se partageant l'univers avec confiance, et entrant chez les nations, comme dans des moissons blanchissantes qui attendaient la main de l'ouvrier, on demeure également confondu de leur faiblesse et de leur assurance, de leur témérité et de leur succès.

M. Gibbon était trop instruit dans l'histoire, pour se dissimuler la grandeur d'un tel spectacle; mais il ne voulait y voir que la main de l'homme, et cette idée lui faussa l'esprit. Elle lui fit avancer une opinion qui devait paraître insensée, même aux yeux de son parti; car comment imagina-t-il d'aller dire à un siècle qui tombait en convulsion au seul nom de l'intolérance, que le zèle intolé› rant des Apôtres avait favorisé les progrès de leur doctrine ? Il me semble que cette proposition est plus absurde pour les philosophes que pour les

chrétiens.

L'érudition de M. Gibbon n'est pas moins en défaut que son jugement, lorsqu'il avance que le zèle apostolique prenait sa source dans la religion juive. Cette opinion est hautement démentie par trois raisons tirées de l'histoire et de la nature même des choses. 1°. La religion juive, dans le long cours de son existence, n'avait jamais rien. produit de semblable. 2°. Son caractère et son esprit s'y opposaient; car le peuple juif se regardant, par sa loi, comme la race choisie et privi

légiée, ne pouvait pas avoir la pensée d'aller convertir les autres peuples. Le zèle ne venait donc pas de ses principes; et lorsque M. Gibbon ajoute qu'à la vérité ce zèle était dégagé de l'esprit étroit du judaïsme, c'est comme s'il disait en même temps qu'il en dérivait, et qu'il n'en dérivait pas ; car estce venir d'une religion que de n'en avoir l'esprit ? 30. Les Apôtres ne distinguaient pas, dans leur mission, les juifs des païens. Ils pressaient également les uns et les autres de se convertir, et d'entrer dans la nouvelle alliance. Or, encore une fois, dira-t-on qu'un zèle qui tendait à abolir la religion juive, venait de cette religion?

pas

Il paraît tant d'ignorance dans cette opinion, que j'appréhende que la candeur de M. Gibbon. ne demeure pas sans reproche. Quel embarras, quels efforts, quelle torture donnée au bon sens, pour éviter de reconnaître la chose du monde la plus simple et la mieux prouvée! c'est que le zèle des Apôtres avait son principe et sa force dans une conviction pleine, entière, invincible; et que cette conviction n'avait ces caractères, que parce qu'elle était opérée en eux par le fait le plus sensible, le plus palpable, le plus éloigné de toute illusion; mais en même temps le plus glorieux et le plus capable de faire braver la mort, la résurrection de Jésus-Christ!

CH. D.

OEuvres de Mathurin Regnier, EDITION STÉRÉOTYPE, d'après le nouveau procédé de L. E. Herhan. Un vol. in-18. Prix: 1 fr. 10 c., et 1 fr. 50 c. par la poste. Idem, in-12. Prix: 2 fr. 15 c., et 3 fr. 50 cent. par la poste. Idem, in-12, pap. vél. Prix : 4 fr. 20 c., et 5 fr. A Paris, à la librairie stéréotype, chez H. Nicolle et compagnie, rue Pavée Saint-André-des-Arcs, no 9; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres Saint-Germain-l'Auxerrois, no 42, vis-à-vis l'Eglise.

LES éditions nombreuses que l'on fait depuis quelques. années des bons ouvrages de tous les genres sont la meilleure preuve de notre retour aux principes de la saine littérature. Les écrits du dix-huitième siècle perdent tous les jours, lorsqu'on les compare aux chefs-d'œuvre du, siècle précédent : bientôt il sera inutile de mettre en question le rang que l'on doit assigner aux deux écoles. L'opinion qui se forme avec lenteur, parce qu'elle ne consulte pas un faux enthousiasme, et qui, par cette raison, acquiert une solidité inséparable de tout ce qui est juste et vrai, aura prononcé définitivement sur cette controverse.

Après avoir remis en circulation nos écrivains classiques, il était nécessaire de rappeler aussi l'attention du public sur les auteurs qui ont précédé le grand siècle. Leur lecture est plus utile qu'on ne le croit généralement; c'est chez eux que l'on peut étudier avec fruit le caractère et le génie de la langue française. Presque tous ont tenté des innovations; en observant celles que le goût a conservées ou rejetées, on pénètre peu à peu dans les secrets de nos bons écrivains; on se met en état d'apprécier leurs beautés et leurs heureuses hardiesses: on parvient en même temps à se préserver des écarts du néologisme moderne. L'édition stéréotype de Régnier peut concourir puissamment à ce but; mise à un prix très-modique,

elle familiarisera un grand nombre de lecteurs avec le langage poétique d'une époque qui précéda de quelques années les premiers essais du grand Corneille.

Avant de parler de Régnier, il n'est pas inutile de jeter un coup d'œil sur le temps où il věcut. Nous ne parlerons point des auteurs que tout le monde connaît; nous nous arrêterons sur des circonstances assez généralement igriorées, et qui pourront donner une idée des ressources qu'avait Regnier pour perfectionner son talent,

Les guerres civiles avaient imprimé un grand mouvement aux esprits. La nécessité où se trouvaient les chefs de parti de soutenir leurs opinions par des ouvrages polémiques et de haranguer souvent, avait donné beaucoup de force à la prose française. Nous ne jugeons ordinairement des écrits en prose de cette époque que par Montagne et Charron; nous avons tort. Pour s'en faire une idée juste, il faudrait se donner la peine de parcourir les nombreux écrits qui furent publiés dans le temps de la Ligue. On verrait combien les passions ajoutaient alors d'énergie à la langue; et l'on serait étonné de la chaleur, de la précision, et souvent de la noblesse de quelques passages.

En nous occupant de cette recherche, nous avons surtout remarqué un écrit qui fat composé quelque temps. après la journée des barricades. Il est intitulé: Excellent discours sur l'état présent de la France. L'auteur paraît très-animé contre le duc de Guise, et conseille au roi de s'affranchir, par des moyens nobles, d'une aussi honteuse tutelle. Le commencement de l'ouvrage exprime la douleur de l'orateur sur l'état de la France livrée alors aux discordes civiles. Le style a du nombre, et les sentimens sont touchans et vrais.

« On dit qu'il y a du plaisir à regarder du bord bouil»lonner les ondes, et à contempler de dessus la terre, >> comment les orages et les vents se jouent de la mer. Je » le crois, et cela veut dire seulement qu'il vaut mieux »voir le danger de loin que d'y être. Mais si du haut

» d'une

[ocr errors]

» d'une côte, j'apercevais un navire où j'eusse part, où » j'eusse des amis renfermés en hasard de se perdre, et » sans remède emportés contre les rocs par les courans et » par la tourmente, que j'aurais de regret de me rencon»trer à ce spectacle! Si la France ne m'était rien, sa>> chant exactement son état, comme je le sais, il ne me » coûterait guères d'en discourir : quand on m'en appor » terait des nouvelles, elles me seraient indiff rentes; je » les recevrais sans passion, bien aise au contraire d'être » loin de ses tumultes, d'ouïr parler de ses remuemens, » avec aussi peu d'émotion et de crainte, comme si l'on » me contait ceux qui advinrent à Rome dans les guerres » civiles. Je ne le puis étant Français ; je ne le puis, » voyant la seule barque de mon espérance, le, vaisseau » où j'ai tout ce que j'ai de plus cher, et qui lui-même m'est » plus cher que moi-même, le voyant courir à son nau» frage; voyant ma patrie, ma première mère que tant » de diverses maladies réduisent à l'extrémité, haletant » à peine son dernier soupir.... Si quelquefois aux affliç» tions, nous soupirons des mots extraordinaires, on les » écoute plus volontiers que s'ils partaient d'un noncha»lant esprit, allenti par ses continuels contentemens, qui » n'enfante rien aussi qui ne soit vulgaire. Ceux-ci seront » de même remarquables, seulement pour la matière qu'ils » traitent, non pour l'ordre ou la disposition. Les autres moyens 3 servent leur patrie de leurs corps ou de leurs nils font bien, puisqu'ils le peuvent; moi je plains seu»lement la mienne; je lui donne mes seules larmes, » n'ayant que cela qui lui puisse servir. »

U

Ce morceau nous a paru vraiment curieux pour l'élégance et la noblesse de la diction. On n'y trouve aucune trace de faux bel-esprit ; et l'on remarque que la langue s'élève sans se dépouiller de cette naïveté qui faisait alors son caractère principal. Les malheurs de la France ayant été peints en prose d'une manière si energique, on doit peu s'étonner que Régnier ait loué dignement dans ses

[ocr errors]
« PreviousContinue »