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chose de bas; mais aucune de ses actions n'inspirait le mépris.

C'était enfin un duc issu d'une famille respectable, et possesseur de vastes domaines.

AUTRE CARACTÈRE DU MÊME.

Par Junius ( traduit de l'anglais ).

Le duc de Bedford fut un homme d'une grande importance ; un rang distingué, une fortune immense, un nom illustre suppléèrent à son peu de mérite. L'usage qu'il fit de ces rares avantages eût pu l'honorer, mais n'eût pas servi aux progrès des connaissances humaines. L'éminence de ses dignités lui traçait son devoir, lui frayait le chemin qui conduit aux grandeurs ; il ne pouvait s'en écarter par erreur, ni l'abandonner par calcul.

L'indépendant et vertueux duc de Bedford ne voulut jamais prostituer sa dignité en se livrant à des déclamations au parlement, soit pour ou contre le ministère. Il ne se montra jamais l'ennemi, ni l'esclave des favoris de son souverain. Quoique souvent trompé dans sa jeunesse, on ne le vit pas dans le cours d'une longue vie, choisir ses amis entre des personnages débauchés. Son honneur personnel lui aurait interdit la société des joueurs, des athées, des spadassins, des bouffons ou des jockeys. Il n'aurait jamais consenti à se mêler des intérêts ou des intrigues de ses subordonnés, soit en récompensant leurs vices, soit en les enrichissant aux dépens de son pays. Pouvait-il ignorer ou mépriser la constitution de sa patrie, au point de convenir en une cour de justice, de l'achat ou de l'aliénation d'un bourg d'Angleterre? Si la Providence l'eût frappé de quelque malheur domestique, il aurait souffert avec sentiment, mais aussi avec dignité. Il n'eût pas cherché à

se consoler de la mort d'un fils uniqué, dans les sollicitations ou dans la vente de places à la cour, encore moins dans un agiotage à la compagnie des Indes.

L'histoire du duc de Bedford devient importante à l'époque de son ambassade à la cour de Versailles. Il fut alors chargé d'un ministère honorable, dont il s'acquitta d'une manière distinguée. Ses partisans cherchaient un ministre dont l'esprit conciliant ne s'éloignât pas de quelques concessions. Les affaires du royaume exigeaient un homme qui songeât plus à la prospérité de son pays, qu'à son élévation personnelle; et cet homme se trouva au premier rang de la noblesse.

N. L.

SPECTACLES.

ACADÉMIE IMBÉRIALE DE MUSIQUI
Esther et l'Oratorio de Saül.

Ces deux pièces ont été jouées, le 17 avril à l'Opéra, au profit de Mlle Suin. On a fait différentes critiques de la tragédie d'Esther. Son plus grand défaut est d'être trop courte. On ne se lasse point d'entendre d'aussi beaux vers. Aujourd'hui même, les spectateurs, malgré leur profonde ignorance, en général, les écoutent avec admiration et une sorte de recueillement et de respect. Il est vrai qu'ils s'en dédommagent par des éclats de rire lorsqu'ils entendent prononcer le mot de juifs. Une gaieté de cette nature interrompit assez long-temps la représentation dont je parle. J'entendis ." aussi dire que le mot de chambre prochaine étoit ignoble.

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On sait quc Racine a fidèlement suivi l'histoire d'Esther, telle qu'on la lit dans le livre de l'Ancien Testament, qui porte ce nom. Une difficulté m'a toujours arrété dans le septième chapitre de la Vulgate. Assuérus après avoir entendu l'accusation portée contre. Aman par la reine, sort un moment du lieu du festin. Son favori se lève aussi, pour supplier Esther de lui sauver la vie, ayant bien vu qu'Assuérus étoit disposé à la lui arracher. Le monarque revient, trouve qu'Aman s'est jeté sur le lit où était la reine pendant le repas, et s'écrie: Comment! il veut opprimer (opprimere) la reine dans ma maison! Sacy traduit opprimere par faire violenec. Mais soit qu'Aman voulût outrager ou assassiner la reine, l'embarras est le même. Cela ne peut guères s'expliquer qu'en supposant qu'il eût subitement perdu la raison, ou plutôt qu'Assuérus feignit de prendre une supplication pour une violence. Cette obscurité a semblé, à la représentation, se retrouver dans la tragédie de Racine, et y produire quelque embarras ; mais c'est la faute des acteurs. Aman se jette aux pieds de la reine, et fait ou doit faire un mouvement, soit pour les embrasser, soit comme pour la retenir lorsqu'elle recule d'indignation; car outre qu'il dit : par ces pieds que j'embrasse, etc., Assuérus qui survient › 'écrie:

Quoi! le traître sur vons porte ses mains hardies!

La pantomime que je viens d'indiquer rend compte de tout, et sans elle l'exclamation du roi serait inintelligible. Je fais cette remarque parce que j'ai vu plusieurs personnes arrêtées à ce vers, et d'autres se scandaliser mal-à-propos des mains hardies.

Cette tragédie, composée pour un couvent, est d'un genre nouveau. Il ya deux personnages qu'on ne voit que dans une scène, Mardochée et Zarès; car si le premier re

paraît à la fin, ce n'est que pour entendre ce qu'on lui dit et prononcer deux vers. Mais cette scène unique de Mardochée au premier acte est si vigoureusement écrite, qu'elle aurait suffi à la réputation d'un autre écrivain que Racine. Elle est pleine de ces vers qu'on retient à une première lecture et qu'on n'oublie plus. Athalie même, pour le style, ne l'emporte pas sur Esther.

Cependant la représentation de cette pièce n'a pas produit un très-grand effet. Il faut convenir qu'elle n'a pas tous les développemens des autres chefs-d'œuvre de Racine. Le dénouement en est un peu brusqué. Assuérus paraît se décider assez légèrement. Il ne veut pas même entendre la défense de son ministre. Si l'unique intention de l'auteur n'eût pas été de composer un divertissement d'enfans, comme il le dit, il eût fait d'Esther une pièce aussi étendue que celle d'Athalie. Ce n'est pas la matière qui eût manqué à celui qui a su trouver celle de la plus touchante de ses tragédies dans une seule phrase.

La manière dont les chœurs sont exécutés nuit à l'intérêt. La partie qui en est récitée l'a été fort mal par des actrices de l'Opéra, qui n'ont point l'habitude de la déclamation. Des vers enchanteurs n'ont produit aucune sensation, et quelquefois n'ont pas été entendus. La musique a été trouvée mesquine. On a supprimé de très-belles stances.

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Mademoiselle Duchenois, qui a le rôle le plus considérable de la pièce, était, dit-on, incommodée. Elle n'a pas tenu tout ce qu'on s'en promettait. Le costume persan ne l'embellissait pas, et il fallait se faire quelque violence pour s'imaginer qu'on voyait en elle la plus séduisante des femmes de l'Asie. Quelquefois elle fait valoir un mot aux dépens d'un vers, ou un vers aux dépens d'une tirade. Quelquefois elle manque de justesse ; et cependant il faut convenir qu'elle seule pouvait jouer ce rôle; que dans ses jours les

moins heureux, elle est encore jusqu'à présent la reine du théâtre Français, et qu'elle n'a même pas, à proprement parler, de rivale. Ses mal-adroits partisans ont voulu saisir quelques allusions en sa faveur : deux fois ils ont été repoussés par l'impartialité du public, qui s'est contenté d'être équitable, et ne l'a guère applaudie que dans son plaidoyer contre Aman. Mademoiselle Volnais a montré plus de fermeté et d'aplomb que de coutume. Saint-Prix n'a manqué ni de chaleur, ni d'énergie. Talma joue Assuérus avec sagesse et avec naturel. Lafond m'a paru donner au rôle d'Aman la couleur qui lui est propre.

Cependant j'ai entendu faire à chacun de ces deux derniers acteurs un reproche que je crois parfaitement juste. Lorsqu'Esther révèle le secret de sa naissance, Assuérus s'écrie:

Ah! de quel coup me percez-vous le cœur !

Vous la fille d'un juif!

Qu'en prononçant ces mots il la regarde, c'est dans l'ordre ; mais les vers suivans que lui arrache la douleur, ne doivent pas lui être dits en face :

...... Hé quoi! tout ce que j'aime,

Cette Esther, l'innocence et la sagesse même,
Que je croyais du ciel les plus chères amours,
Dans cette source impure aurait puisé ses jours!
Malheureux!

C'est une plainte faite au ciel, et Assuérus, qui a tant d'amour pour Esther, ne doit pas lui adresser directement une parole si dure.

Lafond voulant désarmer la reine, lui dit que les ennemis des juifs l'ont trompé.

En les perdant, j'ai cru vous assurer vous-même,
Princesse, en leur faveur, employez mon crédit ;
Le roi, vous le voyez, reste encore interdit.
Je sais par quels moyens on le pousse, on l'arrête,
Et fais, comme il me plaît, le calme et la tempête.

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