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de sa composition. C'est un colloque entre le berger Tityre et le berger Thyrcis.

THYRCIS.

Dans cette humble retraite, au sein de ce vallon,
Que chantez-vous, berger, et quel dieu vous inspire?
En ces momens de trouble et de division,

Pan même à nos ormeaux a suspendu sa lyre,

Et l'écho de nos bois ne rend plus aucun son;
Ces troupeaux mugissans, ces ruisseaux, ces ombrages
Ne sont plus à nos yeux de riantes images.

A quoi le berger Tityre répond :

Thyrcis, le temps n'est plus d'éclater en regrets:
Daphnis est de retour, Daphnis dont la voix tendre,
Rivale d'Amphion, enchante les forêts.

Aux bergers assemblés dès qu'il s'est fait entendre,

1 Il a calmé soudain les esprits inquiets.

Le bienfaisant Daphnis au sein de nos chaumières
A ramené la paix qui le suit en tous lieux;
Il vient de mettre un terme à nos longues misères.
Pour chanter dignement ce mortel généreux,
Muses, inspirez-nous vos sons harmonieux.

Sur ces entrefaites, survient le berger Damon, lequel est aussi innocent que les deux premiers; il entre en chantant les paroles suivantes :

Paisibles habitans de ces douces retraites,

Je viens unir ma voix au son de vos musettes
Et rendre grace au ciel qu'il daigne faire encor
Dans vos heureux climats renaître l'âge d'or.
De l'aimable Daphnis la douce bienfaisance
S'est fait depuis long-temps connaître à nos bergers,
Et je viens, en leur nom, sur ces bords étrangers
Elever un autel à la reconnaissance.

Les trois bergers continuent à chanter alternativement sur leurs musettes; ce qui est bien la plus jolie chose du monde et tout-à-fait divertissant. Les bornes de ce journal nous empêchent de citer en entier cette églogue allégorique; mais nos lecteurs conviendront sans peine d'après cet échantillon, que lorsqu'on fait d'aussi beaux vers on peut commenter hardiment les égiogues de Virgile. J. E. LA SERVIÈRE,

SPECTACLE S.

THEATRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.
Délia et Verdikan.

MALGRÉ quelques jolis morceaux de musique, la voix de Martin, l'agrément du jeu d'Elléviou, le talent prodigieux de madame Saint-Aubin, qui s'est encore surpassée avant-hier, cet opéra n'a pas réussi. Quoique le poëme ne soit pas bon, ce n'est pas à lui cependant qu'il faut entièrement attribuer la chute. Par égard pour l'auteur, que les journalistes avaient assez indiscrètement nommé par avance, suivant un usage peu convenable introduit depuis quelque temps, on eût du moins tout écouté avec patience, sans les efforts continus d'une cabale bien prononcée, qui n'ayant pu apparemment s'embusquer au parterre, s'était nichée au paradis. Quoique peu nombreuse, elle a, par ses cris et sa tenacité, couvert les applaudissemens presque universels du reste de l'assemblée. « Vous voyez comme ils sont ingrats », a dit Elléviou vers la fin de son rôle, soit que ces mots y fussent, ou qu'il les eût ajoutés. Cette allusion a été vivement sentie. Il y avait réellement de l'ingratitude à ne pas écouter avec résignation (car il en fallait un peu), la production d'un auteur qui fait tant de plaisir quand il joue celles des autres.

On voit d'abord un Turc qui vient d'acheter quatre jeunes esclaves fort belles. C'est un marchand qui n'est ni jeune ni riche, et sa femme lui demande avec raison ce qu'il en veut faire; car son projet n'est pas de les vendre. Il se les fait amener, et bien moins galant que Soliman, leur dit :

J'ai payé cher votre beauté;

Vous devez être bien aimables.

Аа

cen

Quelques détails de cette scène ont rappelé le souvenir des Trois Sultanes de Favart; comparaison fâcheuse pour Délia et Verdikan. La bienséance n'est pas toujours bien exactement observée dans cette dernière pièce. Le marchand pourrait se dispenser d'avertir, comme il fait quelque fois, qu'il passe dans l'appartement de ses femmes. Sur quoi, pour ne pas laisser d'équivoque, un autre personnage s'écrie « qu'il est fou de ses odalisques; que son plaisir est » de les cajoler. » Cette expression a choqué. Délia est aimée d'un capitaine de la garde du grand-seigneur. La première fois qu'elle l'a vu « son cœur battait si fort qu'elle » avait peine à le contenir, et il lui sembla qu'il voulait la » quitter. » Elle ajoute dans une ariette,

Qu'il l'a charmé par ses accens,

sans se douter qu'elle fait là un très-gros solécisme, tout au moins contre la grammaire. Le capitaine, nommé Verdikan, est surpris par le père dans sa maison. Le valet de l'amoureux fait croire à ce marchand très-crédule que son maître est le fils du grand-seigneur, le présomptif héri tier du trône. Sous ce nom, celui-ci épouse sa maîtresse. La cérémonie de ce mariage ressemble un peu à celle du Mama-Mouchi. Un visir, qui tombe des nues, vient désabuser le père; car la mère était dans la confidence. Néan moins comme l'alliance est sortable, et qu'un vil usurier auquel le marchand voulait donner sa fille, est reconnu pour un misérable calomniateur, qui n'est bon qu'à être empalé, tout se concilie, et se termine enfia.

C'est sur-tout la longueur de la pièce qui a secondé les malveillans; elle dure encore long-temps après que Verikan a été reconnu par la mère. Une intrigue sans mouvement, le monologue d'un valet, une scène entre ce valet et l'usurier, sans aucune espèce d'intérêt, et dans un moment où l'on haletait, à la lettre, après le dénouement, ont fatigué tout le monde. On est sorti convaincu que le premier acteur de l'Opéra-Comique doit se borner aux succès qu'il obtient dans cette profession. Il en aurait encore de

plus grands, si, pour se donner un air dégagé et délibéré, it ne précipitait pas trop souvent son débit, et ne saccadait pas sa diction. Du bredouillement n'est pas de la légèreté.,

M. Berton a fait la musique. L'auteur des paroles n'a pas voulu être officiellement connu. L'un et l'autre ont été demandés avec persévérance par un parti dont le zèle était plus grand que le nombre.

THEATRE DU VAUDEVILLÉ.

L'Athénée des Femmes.

2

EST-IL Convenable, est-il juste de vouloir livrer à la risée les femmes qui cultivent les arts et la littérature? On ne saurait bien résoudre la question posée ainsi d'une manière absolue. Si ces femmes sont ce qu'on appelait autrefois de petites bourgeoises sans fortune, qui négligent leurs de voirs domestiques pour courir après le bel esprit et n'atteindre que le ridicule, il est bien de tâcher de les rendre à leur ménage, et de leur faire quitter la plume pour reprendre l'aiguille et le fuseau. Si, avec beaucoup d'aisance, une feumé a de l'esprit et du loisir, on avouera qu'il vaut autant qu'elle emploie l'un et l'autre à quelque ouvrage agréa ble qu'à médire ou à jouer. Tout le monde est d'accord de la finesse de lear tact. Quelques jugemens erronnés qu'on leur reproche ne prouvent rien contre leur goût, si ce n'est qu'il n'est pas infaillible. Dans le siècle des véritables lumières, les hommes n'ont-ils pas aussi méconnu le mérite de plusieurs chefs-d'œuvre dramatiques?

On convient encore qu'il est utile aux progrès des lettres que les femmes les aiment et s'y intéressent. Sans cet int rêt, nous eussions eu peut-être Corneille, mais non pas Racine. Or il est difficile d'aimer les lettres, sans être quelquefois tenté de les cultiver. Enfin il y a des ouvrages que les femmes seules, pour ainsi dire, peuvent faire, des choses qui n'ont de graces que dans leur bouche, des genres où elles nous ont surpassés.

Cependant ce n'est pas le sujet, c'est la manière dont on l'a traité qui a fait cheoir le vaudeville où l'on a osé se mocquer de leurs prétentions littéraires. L'intrigue n'est rien moins que neuve. Madame Pathos, secrétaire perpétuel de L'Athénée des Femmes, a promis sa fille à M. Pincé, secrétaire de celui de Montargis. Un militaire, aimé de la jeune personne, se produit sous le nom de M. Pincé, et il épouse mademoiselle Pathos. Ce vaudeville ne pouvait donc se sauver que par les détails, et il sont souvent grotesques au lieu d'être comiques. Quelques mots néanmoins ont été applaudis. Madame Pathos, armée d'une tragédie en douze actes, sur les douze travaux d'Hercule, veut en assommer l'officier, qu'elle prend pour M. Pincé. « Je vous liraï >> tout. — Ah! ne m'accablez pas de vos bontés ! » Elle prétend avoir des moyens sûrs de réussir. On lui demande quels ils sont. « Les voies de fait; c'est plus aisé que d'avoir du génie. » L'Opéra ne lui paraît pas digne de ses productions. Il n'y a là, suivant elle, de bon

Et les entrechats de Vestris

Ont empêché bien des culbutes.

que les ballets;

Il est probable que c'est la rine qui l'a empêchée de préférer ceux de Dupont. Une vieille galvaniste annonce qu'elle a ressuscité des grenouilles, et qu'elle espère bien ressusciter aussi des hommes. L'officier répond qu'il la retient pour la première expérience. Les résurrections ont fait rire les uns, et scandalisé les autres qui ont voulu y entendre ma❤ lice. Mais il y a eu parfaite unanimité pour une romance où l'amante se comparait à la fauvette, son amant à un pinson, le rival de l'amant à un moineau. On a sifflé toute la volière. Les sifflets ont redoublé lorsque l'actrice a die en finissant:

Il faut faire de l'Athénée

Le rendez-vous du jour.

Le rideau s'est baissé au son de cette triste musique. Les femmes ont dû se trouver trop vengées. Elles pardonnent plutôt les épigrammes, et même les injures, que l'ennui.

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