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discours que

d'un certain coloris pour tromper le monde, et qui a porté de telles préventions dans les esprits, qu'il existe une foule de personnes, je dis, de personnes bien nées et instruites, qui ne sont pas capables de faire de différence entre la poésied' Athalie et celle de Mahomet. Voltaire a traduit selon sa manière accoutumée le Satan adresse au Soleil. Il y a dans ce morceau des vers brillans, il y en a de très-faibles; et quoique le passage soit fort court, les incorrections et les mots parasites n'y manquent point. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'il donne une idée absolument fausse de l'endroit qu'il tra duit. Le contré-sens est même grossier; mais il faut avoir fait une étude particulière de l'original pour s'en apercevoir, et on sent bien que ce serait trop de soin de vouloir prendre la peine d'entendre un auteur, avant de le traduire. La version de Voltaire a fait croire jusqu'ici à tout le monde que Satan, en apostrophant le soleil, le personnifiait, c'est-à-dire, qu'il le considérait comme un être animé, capable de recevoir les bienfaits de Dieu, et qu'à ce titre il lui inspirait de la jalousie. C'est le sens que présentent ces vers, dont Milton n'a pas eu la moindre idée :

Toi, sur qui mon tyran prodigue ses bienfaits,

Soleil, astre de feu, jour heureux que je hais! etc.

Je ne m'arrête pas à montrer le défaut sensible de ces trois dénominations qui n'ajoutent rien à la pensée, et qui même ne se rapportent pas exactement, soleil, astre de feu, jour heureux. Tout homme qui voudra se rendre compte de son admiration, sans s'y attacher par habitude ou par surprise, ne verra dans ces expressions accumulées qu'un remplissage dépourvu de poésie. Mais je passe au singulier contre-sens dont je viens de parler. Il est bon de savoir qu'avant d'adresser cette apostrophe

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apostrophe au soleil, Satan a visité toutes les parties
de la nouvelle création; il est descendu dans le
soleil même, il a pris une connaissance particu
lière de la matière qui le compose, il a reconnu
que c'était un objet inanimé, un simple flambeau,
et c'est d'après cette connaissance qu'il lui parle,
parce que la passion s'adresse à tout ce qui existe.
Or, je demande comment, avec une idée et une
connaissance si précise, Satan pourrait s'emporter
tout-à-coup contre cet astre, contre ce flambeau,
'se figurer que c'est un être heureux, comblé des
graces du Très-Haut, et lui témoigner en cette
qualité une jalousie et une haine violente? Certai-
nement ce serait une absurdité insoutenable; et il
n'y a pas de lecteur, si attentif qu'il soit, qui ne
fût révolté de trouver, à quelques page, de dis-
tance, deux idées aussi contradictoires que celles-la.
Mais Milton est plus conséquent, et donne des
peusées plus suivies aux personnages qu'il fail agir.
Voici comme il faut concevoir le fond de la
situation.

Lorsque Satan descend sur la terre, il est frappé de l'apparence majestueuse que le soleil a dans l'univers, et c'est sur cette apparence qu'il se récrie, comme l'a justement exprimé M. Delill::

O Thou, that with surpassing glori crown'd
Look'st from thy Sole dominion like the god
Of this new world.

Toi qui parais le dieu de ce monde nouveau:

Il faut remarquer que tout roule sur cette apparence; c'est ce qui soutient la poésie sans blesser le bon sens, et c'est ce qui rend la passion également naturelle. Cet air de majesté et de domination que le prince des ténèbres remarque dans le soleil ne irrite pas, à proprement parler, contre cet astre; mais il fui rappelle l'éclat qu'il a perdu ; et on doit concevoir que ce souvenir l'importune

Ce

et l'aigrisse. Voilà ce qu'il exprime avec une passion confuse sur laquelle devaient se méprendre ces écrivains légers qui ne daignent pas même entendre ce qu'ils lisent. M. Delille est tombé dans la même erreur sur la passion, lorsqu'il fait dire à Satan: Soleil, que je te hais! Satan, encore une fois, ne peut pas haïr la personne du Soleil ni lui parler avec cette fureur; on a vu que cela répugne à toutes ses idées; mais il dit simplement qu'il déteste son éclat, parce qu'il lui rappelle la splendeur d'où il est tombé.

O sun, to tell thee how i hate thy beams

That bring to my remembrana from what state

I fell.

M. Delille met cette haine et cette colère dans le cœur de Satan avant de le faire parler, et il en donne ce motif :

Tantôt de l'Empirée il contemple la voûte;
Tantôt ce beau soleil, au plus haut de sa route,
Epanchant de son troue un torrent de clartés,
Blesse de son éclat ses regards irrités.

Il gémit; et cédant à sa douleur profonde,
Il adresse ces mots au grand astre du monde.

Tout cela est étranger à Milton qui n'y a jamais pensé. Mais j'avoue que cette idée n'est pas inconséquente comme celle de Voltaire, et, d'ailleurs, la traduction est plus exacte et la versification plus soutenue...

Globe resplendissant, majestueux flambeau,
Toi qui sembles le dieu de ce monde nouveau,
Toi dont le seul aspect fait pâlir les étoiles,
Et commande à la nuit de replier ses voiles,
Bienfait de mon tyran, chef-d'œuvre de ton roi,
Toi qui charmes le monde et n'affliges que moi,
Soleil, que je te haís! et combien ta lumière
Réveille les regrets de ma splendeur première!
Hélas! sans ma révolte, assis au haut des cieux,
Un seul de mes rayons eût éclipsé tes feux.
Et sur mon trône d'or, presqu'égal à Dieu même,
J'aurais vu sous mes pieds ton brillant diadême.
Je suis tombé, etc.

Il faut remarquer que cette apostrophe n'est qu'un

mouvement passager. Tout le reste du discours qui est fort long ne s'adresse point au soleil, en sorte qu'on ne peut pas dire que Satan le prenne pour confident de ses pensées, ce qui rentrerait dans le mauvais sens que j'ai tàché d'expliquer. Je me suis étendu fort longuement sur une erreur de peu d'importance; mais je devais ce respect à des préventions anciennes et soutenues d'une grande réputation.

CH. D.

Le Flambeau des Étudians en rhétorique et en philosophie, par M. Collin. Un vol. in-12. Prix: 2 fr. 50 cent., 3 fr. par la poste. A Paris, chez Ponthieu, libraire, place Saint-Germain-l'Auxerrois ; et chez le Normant, imprimeur-libraire, rue des Prêtres SaintGermain-l'Auxerrois, n°. 42.

ENTRE un rheteur et un homme éloquent, il y a la même différence qu'entre un maître d'escrime et un habile capitaine; et, comme vous trouveriez impertinent qu'un maître d'armes se flattât de vous avoir enseigné l'art de la guerre, parce qu'il vous aurait montré la tierce et la quarte, vous pourriez, par la même raison, trouver ridicule qu'un homme prétendît vous avoir donné le talent de la parole, en vous montrant des figures de rhétorique. Tout homme qui se dit en écrivant : Je vais placer ici un beau lieu commun, une énumération bien abondante; là, je ferai une concession, uhe suspension; j'employerai la prosopopée, je ferai une apostrophe; tout homme, en un mot, qui ne s'occupe que des formes du style, ne connaîtra jamais la véritable éloquence.

Il est douloureux que la plupart des professeurs quí

mêlent d'écrire, fournissent la preuve de ce jugement. M. Collin veut que la rhétorique enseigne le talent du langage; et c'est pour cela, dit-il, que nous appelons rhéteur celui qui nous dirige dans le sentier du beau style, et orateur celui qui l'emploie dans ses discours. J'ignore si le beau style a un sentier, et si l'on peut employer ce sentier dans un discours; mais je sais bien que la rhétorique n'enseigne pas un talent que la nature seule peut donner un véritable orateur ne pense qu'à exprimer ses idées dans un sujet sérieux, et ne consulte que son ame dans la passion. Son style prend de lui-mênie lės formes, les mouvemens, les figures qui lui conviennent. Il ne s'amuse pas, comme ces petits faiseurs de rhétorique, à cueillir des fleurs sur son chemin; il les moissonne en courant, et le plus souvent il les dédaigne. Aussi ces rhéteurs n'entendent rien à la manière des grands hommes. Je lisais dernièrement dans un professeur de rhétorique de nos jours, que Bossuet était bien éloigné de savoir écrire comme les anciens. Il convenait qu'il avait quelques endroits qui sentaient fort le sublime, mais il lui refusait des idées et un style soutenus. Je jugeai qu'un tel homme connaissait Bossuet, comme on le connaît au collége ; c'est-à-dire, par quelques morceaux brillans de ses Oraisons. Mais pourrait-on lui faire entendre que l'Histoire Universelle n'est pas seulement un endroit sublime, que c'est un ouvrage d'une vaste conception, soutenu d'un bout à l'autre, dans le style le plus grave et le plus parfait? Comment faire comprendre à ces fanatiques des anciens, qu'un tel ouvrage est, par la perfection de l'éloquence, comme par celle des pensées, infiniment audessus de tout ce que l'antiquité a produit? Une pareille production confond leur routine: ils y chercheraient en vain leurs petits ornemens, leurs précautions oratoires,

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