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Nous aimons les oppositions dans la nature, et les antithèses dans les ouvrages d'esprit ; j'entends les antithèses de pensées : le faux goût seul aime les autres. La nature ne vit que de contradictions apparentes. La femme aime la force; l'homme, la faiblesse et la grace. Les antithèses de pensées plaisent aux bons esprits; celles de mots aux dépravés. L'image de ces dernières se trouve dans la fantaisie sophistique de Caligula. C'était un crime de pleurer sa sœur, parce qu'elle était au rang des Dieux ; c'en était un de ne la pas pleurer, parce qu'elle était sœur de l'Empereur.

Force gens prennent le gigantesque pour le grand. Lo premier part toujours d'un petit esprit qui veut être grand.

Ce sculpteur qui voulait tailler le mont Athos, pour en former la statue d'Alexandre, se proposant de laisser dans chaque main un espace pour bâtir une ville, et de faire passer la mer entre ses jambes, avait un projet souverainement gigantesque. Alexandre qui n'en formait que de grands, se moqua du sculpteur.

Quand vous avez mis une balle dans un fusil, vous visez plus haut pour atteindre plus bas : votre balle alors décrit la parabole. Faites hardiment le contraire dans le monde visez très-bas, vous verrez que vous arriverez très-haut.

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L'art de railler finement touche par un point à la sensibilité du cœur. Il semble que la Providence ait, dans sa bonté, accordé cette arme aux personnes sensibles, pour leur servir de défense contre le monde qui aime la raillerie, et qui raille la sensibilité.

En France, un malheur ridicule n'est pas un malheur; c'est un ridicule.

Ne dites jamais à une bête du mal de vous: si cela vous arrive, vous verrez qu'elle vous croira sur parole, et

qu'elle s'en servira d'argument contre vous, dans l'occasion.

Ne portez jamais l'air malheureux dans le monde ; portez-y plutôt l'air ennuyé : car on aimera mieux encore être condamné à vous amuser, qu'à vous consoler.

Un sot a souvent la même pensée qu'un homme d'esprit; mais, admirez comme il la met en œuvre. Le spirituel s'habille avec goût, avec élégance. Un habit tout pareil est là pour le sot savez-vous de quoi il s'avise? il passe les bras dans les culottes, et les jambes dans les manches de l'habit.

Force gens passent pour hauts et méprisans ce n'est chez eux que fausse honte. Apprivoisez-les avec art, ils vous en sauront gré, et vous verrez que ce sont des personnes d'un commerce doux et de mœurs aisées.

Humilier celui qui est assez bas pour, humilier un humble, me semble.charité, Qu'en pensez-vous ?

Comparaison n'est pas raison, dit le peuple. Que de beaux esprits qui n'en savent rien ! Ils comparent, ils comparent, ils compareront jusqu'au jour du jugement; mais ils ne prouveront pas plus pour cela.

Défiez-vous du bonheur de celui qui paraît si heureux. C'est peut être une robe de pourpre qui cache une lèpre.

Je me prends à rire, quand j'entends ce mot si commun: « il est bien heureux. » Nous ne saurons jamais dans quel degré un homme est heureux ou malheureux, quelle que soit la cause extérieure de son bonheur ou de son malheur prétendus; il faudrait être en lui, pour savoir cela. On estimait Job malheureux, par la condition même qui le faisait heureux.

Si je vois une femme âgée, qui a été belle, je dis : « cette femme a dû être belle. » Mais si je revois une femme , que je me souviens d'avoir vu belle, dans mon

enfance,

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PLUVIOSE AN XIII.

enfance, et qui a perda sa beauté sous la main du temps alors je ressens en moi quelque chose de pénible et de doux. Je retrouve dans ces attraits effacés, ces attraits que j'admirai enfant, et j'ai de la peine et du plaisir tout ensemble à regarder ces yeux qui ont perdu leur éclat, ce qui me semblent dire avec tristesse : ne m'appelez plus Noëmi. L'action outrageante du temps, confondra toujours quiconque la voudra méditer.

Le malheur est un tyran ingénieux à tourmenter ses victimes le bonheur est un intendant de nos plaisirs qui n'en fait jamais à notre guide.

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L'esprit qui plait le plus généralement, est celui qui se cache soigneusement pour en donner aux autres (1). Nous n'aimons pas qui nous humilie. Qui le croirait ! cette règle a ses exceptions. Il y a des gens qui ont besoin d'être avertis qu'ils ne sont que des bêtes pour vous trouver de l'esprit.

Le cœur a sa géométrie, qui n'est pas moins certaine que l'autre.

Feu M. de La Harpe, me répétait souvent ces paroles: "Mon ami, il m'en a coûté beaucoup d'efforts pour ne pas >> croire ; j'ai cru presque sans m'en apercevoir. »> CORIOLIS.

Suite des Observations de Métastase sur les Tragédies et Comédies des Grecs.

LES PHÉNICIENNES (d'Euripide).

On ne sait trop pourquoi cette tragédie est composée d'un chœur de Phéniciennes, dont elle prend le nom, tan

() Tel était, par exemple, l'esprit de J. Racine.

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dis que ce chœur devait être formé de Thébaines ou de Thébains, dès que la pièce est véritablement la Thébaïde mise en scène. Peut-être Euripide n'a-t-il pris ce titre qu'à cause de l'antique extraction de Cadmus.

La reine Jocaste arrive seule sur la place au-devant du palais royal, et raconte aux spectateurs toute l'histoire de sa maison. Son récit achevé, elle se retire et laisse la scène vide; inconvénient de l'unité de lieu.

Antigone paraît avec un vieux pédagogue; et l'on ne voit pas d'où ils viennent. Elle prie le vieillard de lui donner la main, afin de l'aider à monter un escalier qui conduit à la tour, d'où ils peuvent découvrir le camp des Argiens. C'est dans cette situation éminente que les deux personnages occupent la scène, et nomment aux spectateurs les chefs de l'armée ennemie imitation frappante d'Homère, qui place Hélène et Priam sur une tour de Troie d'où ils aperçoivent le camp des Grecs. Ce qui est récit dans Homère est action dans Euripide; mais tout ce qui convient à la narration n'est pas propre à être mis en

scène.

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L'épisode du jeune Ménécée, fils de Créon, qui fait le sacrifice de ses jours à sa patrie, sert très-peu à l'action principale. Un dévouement aussi noble, placé dans un cadre trop resserré, n'a pas tout le développement qu'il mérite.

Les rôles de Jocaste, de Polinice, et sur-tout d'Antigone, excitent un puissant intérêt, et le drame est plein de mouvement et de péripéties.

par

Un courrier apporte la nouvelle de l'avantage remporté les Thébains. Arrivé devant le palais du roi, il appelle à haute voix la reine Jocaste, qui, sans autre formalité, accourt entendre son message. Cette sublime simplicité des Grecs ne serait pas, de nos jours, un objet à imiter.

On trouve, aux vers 527, 528 de cette tragédie, la maxime appliquée à César : Si violandum, est jus. Cette pièce renferme 1754 vers.

ELECTRE (de Sophocle).

Le lieu de la scène est sur une place publique au-devant du palais d'Egiste, où Oreste, Pilade et leur vieux confident tiennent conseil et avisent aux moyens d'assassiner ce roi (1), comme s'ils n'eussent pu délibérer plus tôt et en lieu plus sûr.

Les deux princesses royales, Electre et Chrysotemis, sortent seules avant le jour pour se lamenter dans la rue, y raisonner de leurs misères et de la vengeance si desirée qu'elles veulent tirer de leur mère et de l'usurpateur. Les dames de Mycènes, leurs confidentes, s'y trouvent de même, et restent sur cette place, pendant toute la tragédie, à remplir les chœurs, sans participer aux trames des acteurs principaux.

Clytemnestre vient au milieu de la même rue quereller sa fille Electre. Ces deux femmes s'adressent à l'envi, et en présence des dames immobiles qui forment le chœur, des propos qu'il serait de la dernière indécence de tenir sans témoins et dans le lieu le plus secret. C'est dans cette situation que Clytemnestre reçoit le prétendu messager de Phanotée le phocéen.

Electre a pu entendre de cette place la voix, les paroles mêmes de sa mère, assassinée dans l'intérieur du palais par le fils d'Oreste. Mais au lieu de s'alarmer, elle crie à ce frère parricide ces mots horribles :

"Redouble tes coups, si tu le peux. » V. 1438.

(1) Inconvenient de s'astreindre à l'usité de lieu.

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