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Excerpta, ou morceaux choisis de Tacite, avec des sommaires et des notes en français, précédés d'une notice sur cet historien. Ouvrage prescrit et adopté par la Commission d'instruction publique, pour les lycées et les écoles secondaires. Un vol. in-12. Prix : 2 fr. 25 cent., et 3 fr. par la poste. A Paris, chez Xhrouet, imprimeur, rue des Moineaux, n°. 423; Barbou, libraire, rue des Mathurins; Déterville, libraire, rue du Battoir, n°. 16; et chez le Normant, libraire, imprimeur du Journal des Débats, rue des Prêtres Saint-Germainl'Auxerrois, no. 42.

PARMI les ouvrages prescrits par la Commission d'instruction publique pour être mis à l'usage des lycées, il en était peu d'aussi difficiles à disposer que celui dont nous avons à rendre compte. Il y a quelques poètes et quelques prosateurs anciens dont il est possible de détacher différens morceaux sans les affaiblir. Dans Tacite et dans d'autres grands écrivains, tout est tellement lié et suivi, les pensées, les sentimens, les images et les descriptions sont enchaînés si fortement, qu'on court le risque de les dénaturer et de leur faire perdre leur effet, en les isolant.

Cette considération avait fait craindre à plusieurs personnes que le projet de la Commission ne pût être exécuté, ou, ce qui présente encore plus d'inconvéniens, qu'il ne fût rempli d'une manière imparfaite. Les livres classiques ont une importance sur laquelle on ne saurait trop appuyer: ils font briller à nos yeux les premières lueurs de raison et de goût; nous y puisons des opinions et des règles de cri tique que nous n'abandonnons presque jamais; ce sont des impressions d'autant plus dur ables que nous les avons

feçues à un âge où nous n'en avions aucune à leur opposer. Rollin avait desiré qu'on fit dans quelques chefs-d'œuvre de l'antiquité, au nombre desquels il n'avait pas mis les ouvrages de Tacite, le choix des plus beaux morceaux, et qu'on en composât des recueils à l'usage des écoles ; il pensait que l'on jetterait par-là dans les études une variété qui plaît toujours aux enfans. Ce fut à ses conseils que l'on dut l'excellent livre intitulé: Selecta è profanis, où la morale la plus pure des anciens est développée avec clarté, où les difficultés de la langue latine sont graduées de manière à ce que l'élève puisse les surmonter à mesure qu'il poursuit l'explication. L'Université de Paris étendit ensuite cette idée, en publiant en plusieurs volumes un Selecio qui renferme, avec les plus belles harangues des orateurs, des historiens et des poètes latins, les traits les plus intéressans, les descriptions les plus agréa bles et les plus instructives qui se trouvent dans leurs écrits. Ce recueil un peu trop volumineux présen tait des mor ceaux complets; il pouvait jusqu'à un certain point tenir lieu aux élèves des ouvrages originaux.

Ces suffrages illustres, et ces essais heureusement tentés bien avant qu'on pensât à réformer l'instruction publique, avaient dissipé en grande partie les inquiétudes que le projet de la commission pouvait inspirer; il ne restait plus qu'à voir à qui ce travail important serait confié : tout dépendait de l'exécution. La lecture de l'Excerpta que nous annonçons nous a pleinement rassurés. On y reconnaît l'excellent discernement que donnent l'instruction, la raison et le goût; tout est disposé d'une manière convenable; rien n'est négligé pour fixer l'attention des élèves, et pour faciliter leurs travaux, sans leur épargner cependant les difficultés salutaires qu'ils sont en état de surmonter, et qui les habituent de bonne heure à la méditation et à l'é

tude : enfin cet ouvrage est la meilleure réponse aux objec 'tions qui ont pu s'élever contre le projet de la Commission.

L'éditeur a senti qu'il était nécessaire de donner de la liaison et de la suite aux fragmens qu'il a recueillis. Il en a composé une petite histoire intéressante et instructive des règnes des premiers empereurs romains, suivie de la description des mœurs des Germains, de la vie d'Agricola, le tout terminé par quelques pensées de Tacite qui n'ont pu trouver place dans les morceaux précédens. Un grand nombre des peintures qu'a faites l'historien ne sont pas à la portée des élèves. Ce n'est pas à leur âge qu'on doit prendre l'habitude trop pénible de considérer les hommes sous des rapports si défavorables; il se trouve d'ailleurs dans les récits de Tacite des événemens si monstrueux que l'enfance n'en doit pas même soupçonner la possibilité. Une saine critique peut aussi révoquer en doute quelques détails secrets de la vie des princes, dont il est difficile que l'auteur ait été instruit autrement que par des bruits qui peut-être ne méritaient pas sa confiance. C'est à cette partie anecdotique que les jeunes gens s'attacheraient le plus ; et l'on ne saurait se figurer sans crainte les `commentaires qu'elle pourrait leur fournir. Ces inconvé'niens qui, jusqu'au milieu du siècle dernier, avaient empêché d'admettre cet auteur dans les écoles, n'ont point échappé à l'éditeur. Il n'a pris dans Tacite que les morceaux qui intéressent et instruisent sans flétrir l'ame. L'ouvrage commence par la mort d'Auguste et l'avènement de Tibère: Germanicus développe ses belles qualités; il ramène au devoir les soldats séditieux; il jouit du triomphe; bientôt il meurt victime de la jalousie de Tibère. Ici l'editeur épargne à ses jeunes lecteurs le tableau horrible de la cour de ce prince. Le règne de Claude finit, et Néron monte sur le trône; là tout l'intérêt se fixe sur Britannicus; il meurt, et Agripine est disgraciée. Les longs préparatifs

de la mort de cette princesse n'entrent point dansl'Excerpta: il en est de même des derniers momens de Sénèque, philosophe qu'il est dangereux d'offrir à l'admiration des élèves. Les fragmens tirés des annales finissent à Thraséas et à Soranus: alors l'éditeur prend dans l'histoire de Tacite les principaux traits du règne de Galba et du siégo de Jérusalem. C'est là que se termine la partie historique de son travail, suivie, comme nous l'avons dit, des mœurs des Germains et de la vie d'Agricola. Ces deux traités se retrouvent tout entiers dans l'ouvrage : ils sont en quelque sorte consacrés comme classiques.

Les divers fragmens sont liés par l'éditeur de manière à former un corps d'histoire complet. Les développemens qu'il donne pour remplir les lacunes, écrits en français, sont puisés dans les meilleures sources; le style en est simple et naturel, et cette partie ne laisse rien à désirer.

Le commentaire n'est pas moins digne d'éloges; on y trouve toutes les explications qui peuvent être nécessaires aux jeunes gens sous les divers rapports de la géographie, de l'histoire et de la politique. Elles sont le fruit des méditations d'un esprit sage et cultivé. Dans celles qui accompagnent les mœurs des Germains, on remarque des rapprochemens fort curieux entre les usages de ces peuples et les institutions féodales; ces rapprochemens font honneur à la sagacité de l'éditeur. On sait que Tacite. s'est souvent trompé dans la peinture qu'il a faite des mœurs des Juifs : ses erreurs pourraient donner aux jeunes gens une fausse idée de ce peuple célèbre : comment parviendraient-ils à concilier ces renseignemens inexacts avec nos traditions sacrées? L'éditeur, dans une note trèscourte, explique la cause de l'ignorance de Tacite sous ce rapport. «Dans toute cette digression sur l'origine et les » antiquités de la nation juive, on trouvera souvent,

dit

» il, des erreurs grossières et des accusations qui s'accors » dent mal avec l'impartialité de l'historien. L'isolement » de ce peuple, la singularité de ses institutions qui per» pétuaient entre lui et les autres nations une haine et un » mépris réciproques, sans excuser Tacite, expliquent » ses erreurs. Il reçut et transmit sans examen les traditions » les plus imparfaites et les plus contradictoires; et comme » il n'avait vu ni le pays, ni les livres des juifs, il n'a

pu parler que d'après leurs ennemis. » Les réflexions purement littéraires trouvent aussi place dans les notes, Corneille et Racine ont imité Tacite, l'un dans Othon; l'autre dans Britannicus. L'éditeur a soin de joindre au texte ces belles imitations, qui montrent le parti que les grands poètes tirent quelquefois des morceaux les plus difficiles à traduire en prose. Ces rapprochemens n'avaient pas encore été faits dans un livre de collège; ils joignent au mérite de la nouveauté, celui d'être agréables et utiles,

L'éditeur de ce livre ne s'est point nommé : sa modestie donne encore plus de relief à son mérite. Il est rare de trouver aujourd'hui, sur-tout dans les essais des jeunes écrivains, ce goût simple, cette justesse de pensées, cette mesure d'expression,qualités solides qui peuvent seules faire vivre long-temps un commentaire ou un ouvrage de critique. L'éditeur nous paraît posséder ces qualités; son e ne peut qu'augmenter les espérances qu'il nous a fait concevoir.

La notice sur Tacite esi courte et substantielle. Quoi qu'elle ne soit destinée qu'à des écoliers, on y trouve des. traits dignes d'être médités, même par des personnes instruites. Tel est le passage où l'éditeur compare Tacite à Tite-Live sous le rapport des descriptions de combats. Le premier, dit-il, suivit quelque temps la carrière des armes. Tite-Live n'avait été qu'homme de lettres

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