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Racine a dit :

Je devrais faire ici parler la vérité.

Mais, comme dit très-bien Voltaire, cela ne s'appelle point imiter ou dérober; c'est seulement parler la même langue. Il est impossible d'éviter ces ressemblances, ces rencontres. Entendre la vérité serait une expression commune, la faire parler est une tournure poétique et bien plus vive, qui personnifie la vérité. Le premier qui l'a trouvée a enrichi la langue; il est difficile de savoir si c'est Racine; quoiqu'il en soit, aujourd'hui elle appartient à tous, et c'est une monnaie courante dont chacun peut faire usage.

J'ai parlé, dans un autre numéro, d'un vers plus marquant, emprunté à l'auteur de la Henriade, et mal employé par celui des Templiers.

Et qui meurt pour son roi meurt toujours avec gloire, avait dit Voltaire; ce qui est vrai. M. Renouard substitue innocent à pour son roi, et la vérité disparaît.› On dit qu'il a mis encore à la place de toujours.

Et qui meurt innocent meurt encore avec gloire.

L'exactitude ne s'y trouve point davantage.

Il a fait aussi à Crébillon un emprunt dont l'usage' n'est guère meilleur.

Avide de périls, et par un triste sort,

Trouvant toujours la gloire où j'ai cherché la mort.'

(RHADAMISTE.)

Cette pensée est belle; par un triste sort, loin d'être une cheville, ajoute à sa beauté, et prévient tout soupçon de jactance. L'imitation de M. Renouard est peut-être un peu maniérée.

Je demandai la mort; je n'obtins que la gloire.

L'antithèse, dans Crébillon, couverte en quelque sorte par le sentiment est à peine remarquée; ici elle est saillante, et l'on sent trop la main du poète : l'antithèse m'a paru un peu prodiguée dans cette tragédie. Au reste il

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faudrait l'avoir sous les yeux pour s'assurer de la justice de ce reproche; car c'est la fréquence et non l'emploi de cette figure qu'on peut blâmer.

Voici une imitation de Tacite que je trouve trèsheureuse. L'historien, après avoir peint la corruption motonone de plusieurs générations consécutives, se résume en quatre mots. Alia nomina, cadem vitia ; « d'au» tres noms, mêmes vices. »

Dans les Templiers :

Ce sont d'autres soldats, c'est la même vertu.

C'est la pensée de Tacite retournée, la même tournure, la même coupe; le mot de l'historien pourrait être rendu ainsi:

Les noms sont différens; les vices sont les mêmes.

Il y a, pour le dire en passant, une foule de beaux vers dans Tacite ; il ne s'agit que de les en détacher : Racine en a pris beaucoup sans avoir épuisé la mine; il en a transporté ailleurs que dans son Britannicus. La pensée de ces vers de Mithridate, si souvent cités, est de Tacite Et pour être approuvés,

De semblables projets veulent être achevés (1).
Ainsi que ces deux vers de Corneille,

Et le peuple inégal à l'endroit des tyrans (2),
S'il les déteste morts, les adore vivans.

On pourrait citer bien d'autres exemples du parti que nos meilleurs écrivains, poètes ou prosateurs, ont tiré de Tacite.

J'ai vu aussi quelque part une image avec laquelle le magnifique récit des Templiers, et le mot sublime qui le termine (les chants avaient cessé ), paraît avoir de l'analogie.

C'est dans une description de tempête: on peint les débris du navire flottans sur la mer; des malheureux dis

' ́(1) Quod non potest laudari nisi peractum.

(2) Et vulgus eádem pravitate insectabatur interfectum, quá foverat viventem.

putent un moment leur vie aux flots; ils poussent des cris douloureux. Tout-à-coup,

L'abyme se referme, et l'on n'entend plus rien.

Ce calme, ce silence de la mort fait frémir: cette peinture est aussi forte que l'autre ; mais la première est plus touchante je n'en connais pas qu'on puisse lui préférer.

J'ai remarqué bien peu d'expressions impropres dans les Templiers. Je ne crois pas qu'on puisse dire que Philippe exhalait le cri de sa colère: exhaler signifie proprement faire évaporer. Ainsi on exhale sa douleur en plaintes; mais la colère de Philippe ne s'évapora point ainsi.

Après la condamnation, bénissons nos périls, est encore une expression qui n'est pas bonne. Il y a plus que du péril pour ceux qui sont condamnés au feu sans appel :

Je préfère mourir à me justifier,

manque d'élégance tout au moins. Préférer ne va bien qu'avec un substantif:

Au jour de leur malheur je leur serai fidèle,

que j'en ai pu

présente un sentiment noble et un défaut d'harmonie. Ces taches sont légères et rares autant , juger par la représentation, et l'on a cité, dans divers journaux, de très-longues tirades où l'on n'en trouve aucune qui mérite d'être relevée. Si cette tragédie n'avait pas dans un degré éminent le mérite du style, le genre en est si sévère, l'intrigue si peu compliquée, les incidens si peu multipliés, qu'il semble impossible qu'elle pût se soutenir.

Des gens d'esprit, mais dont le goût est, à mon avis, d'une sévérité outrée, ont cru voir de la manière jusque dans ce vers, qu'excepté eux, tout le monde regarde somme très-beau:

La torture interroge, et la douleur répond.

J'avoue que je n'y vois que la manière de Tacite, de la

concision et de l'énergie; et je ne doute pas que dans Corneille il ne fût unanimement jugé admirable; tant aux yeux de la prévention, les noms mettent de différence entre les mêmes choses.

Toutes les pensées généreuses, tous les mouvemens qui enlèvent l'admiration dans cette pièce, sont rendus avec simplicité. Molay marchant au bûcher, regarde le roi, lève les yeux au ciel et lui adresse cette prière : Grand Dieu! ne nous venge jamais.

On trouve, entr'autres, deux traits de ce genre dans Racine. Iphigénie, croyant aller à la mort, dit à Cly

temnestre:

...

Il me reste un frère;

Puisse-t-il être, hélas ! moins funeste à sa mère !

Joas en voyant éclater l'amitié du petit Eliacin et de Zacharie l'un pour l'autre, s'écrie:

Enfans, ainsi toujours puissiez-vous être unis!

Ces vœux insinuent des craintes prophétiques qu'on sait devoir se réaliser. A cette beauté du premier ordre, se joint dans le vers de M. Raynouard, une autre qu'on peut dire encore supérieure, le sentiment héroïque d'un homme qui, condamné injustement, demande au ciel de n'être pas vengé. Il faut dire à la louange du christianisme, que lui seul inspire de telles pensées. Un des hommes les plus parfaits du paganisme, Germanicus se croyant empoisonné adressait à ses Dieux un vœu tout différent de celui du grand maître. Ce seul vers prouverait qu'on a eu tort, comme je l'ai dit précédemment, de reprocher à l'auteur de n'avoir fait agir et parler ce personnage que comme un Socrate ou un Caton.

Il y a pourtant un vers ou plutôt un hémistiche de la pièce auquel ce reproche pourrait convenir. Molay dit à ses frères : si j'étais assez malheureux pour vous conseiller une lâcheté, ne m'obéissez pas : Je vous rends vos sermens. Rien n'est plus beau ni plus noble; mais il ajoute : soyez grands par vous-mêmes. Il y a peut-être là un peu

de fausse grandeur. Peut-être ne doit-on pas dire à des moines, quoique militaires aussi, soyez grands; passe pour forts. Je n'aime point à entendre Orosmane et Mahomet dire, (l'un ) :

Trop généreux, trop grand pour m'abaisser à feindre.

(L'autre :)

Je me sens assez grand pour ne point t'abuser.

Et néanmoins grand, dans ces deux vers peut signifier puissant.

On a critiqué cette réponse magnanime du grand-maitre au roi qui offrait la vie aux Templiers:

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On a prétendu que Philippe devait répliquer: Est-il en món pouvoir de vous offrir l'honneur? On lui aurait trèsjustement répondu : «Oui, sire, en nous donnant pour juges » les tribunaux ordinaires au lieu d'un inquisiteur, vos » magistrats à la place de votre confesseur.

THEATRE DE L'IMPERATRICE.
(Rue de Louvois.)

Les Descendans du Menteur, par M. Armand
Charlemagne.

ON a eu tort de dire que dans le Menteur de Corneille le vice reste impuni. D'abord, c'est plutôt un défaut qu'un vice qu'on peut reprocher à Dorante. Ses mensonges ne compromettent que lui, et quoique blâmables, peuvent être regardés comme de pures étourderies. D'ailleurs, il est vrai qu'il n'est pas perdu, mais il est puni; il est écrasé sous le poids de l'humiliation quand son père, avec, un ton foudroyant, lui demande s'il est gentilhomme; et quand, désespéré de n'être pas cru lors-même

qu'il

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