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Mercredi 20 juin 1821.)

(No. 716.)

Sur M. Malan, et les ministres de Genève. M. César Malan, jeune, ministre genevois, dont il a été parlé plusieurs fois dans ce journal, a publié, au commencement de cette année, une Déclaration de fidélité à l'église de Genève, datée du Pré-l'Evêque, le 20 janvier 1821. Il y répond au reproche qu'on lui a fait d'avoir excité un schisme dans l'église de Genève. Consacré, dit-il, ministre, en 1810, il étoit alors socinien, lorsqu'ayant entendu, en 1817, la Doctrine de l'Evangile, il devint chrétien au lieu d'être rationaliste; alors it se dépouilla de ses erreurs, et prê cha la vérité. La Compagnie des Pasteurs le suspendit de ses fonctions de ministre, et le destitua ensuite de la place qu'il occupoit au collége. Il passa en Angleterre, et, de retour dans sa patrie, s'étant convaincu qu'il n'avoit fait que revenir à la doctrine professée par les premiers réformateurs, il crut être en droit d'agir comme ministre de l'église protestante. Les ministres, se dit-il, n'avoient pas le droit de me priver de l'exercice de mes fonctions, parce que je professois des sentimens qui étoient ceux de ieurs prédécesseurs. Il ouvrit donc une chapelle dans sa maison,, et demanda même l'usage d'un temple dans la ville; on le lui refusa. Alors il résolut de construire un temple, et recueillit pour cette dépense les dons de protestans étrangers; il a réussi dans son entreprise. Dans la Déclaration il rend compte de sa conduite, repousse la qualification de schismatique, et se félicite de suivre la vraie et pure doctrine de l'ancienne église de Genève.

Il y auroit bien quelque chose à dire sur cette vraie et pure doctrine, et sur cette ancienne église; car, si M. Malan fait tant de cas de l'ancienne doctrine et Tome XXVIII. L'Ami de la Relig. et du Ror.

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de l'ancienne église, qu'il cherche quelle étoit la foi de l'église de Genève avant la réforme. Que croyoit-on à Genève, en Suisse, en Allemagne, dans le nord comme dans le midi de l'Europe? qu'y croyoit-on, dis-je, dans les siècles qui ont précédé Luther et Calvin? Qui a autorisé ces deux réformateurs à innover? ou, s'ils ont pu changer la doctrine, pourquoi les ministres actuels n'auroient-ils pas le même privilége? Ceux-ci n'ont-ils pas autant de mission que ceuxlà? Voilà M. Malan qui revient à la doctrine de Calvin à la bonne heure; mais, avant Calvin, qui trouvera-t-il dans les mêmes sentimens? sur qui s'appuyerat-il? avec qui sera-t-il uni dans la profession de la même doctrine? Ce sont des questions que nous prenons la liberté de lui soumettre.

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Quoi qu'il en soit, les ministres de Genève ont été sensibles à la Déclaration de M. Malan, et au reproche qu'il leur fait d'être sociniens et rationalistes. Un écrivain, qui a gardé l'anonyme, a pris leur défense, dans une Lettre à M. Malan, soi-disant ministre du saint Evangile, au sujet de sa Déclaration; 2 février 1821, in-8°. de 42 pages. L'auteur de la Lettre fait à M. Malan quelques objections assez pressantes. Si vous avez été ordonné ministre, lui dit-il entr'autres par une église qui n'étoit pas chrétienne, votre ordination est donc nulle, vous n'avez donc point de mission; vous vous séparez de l'église qui vous avoit institué; qui vous en a donné le droit? Mais, sans insister davantage sur les reproches que l'auteur de la Lettre fait à M. Malan, venons à la partie la plus remarquable de cet écrit, celle où l'on discute l'accusation de socinianisme intentée par M. Malan contre la Compagnie des Pasteurs génevois. Cette accusation étoit d'autant plus embarrassante qu'elle n'étoit pas nouvelle, et que déjà, depuis soixante-dix ans, la Compagnie des Pasteurs passe pour avoir secoué le joug des mystères.

Interpellée plusieurs fois de s'expliquer sur un point si important, elle évite de répondre cathégoriquement, ou même il lui échappe quelquefois des demiaveux assez naïfs; et son silence, comme son langage, tendent à confirmer les soupçons qu'on avoit conçus sur sa doctrine.

L'auteur de la Lettre à M. Malan se montre digne d'être l'organe de la vénérable Compagnie, et la manière dont il répond au reproche de socinianisme est assez conforme à l'esprit de son corps. Vous soutiendrez, peut-être, dit-il, que Socin precha une doctrine directement contraire à l'Evangile; pour moi, je ne saurois le voir ainsi : sans doute il precha ce qu'on ne trouve point dans les livres sacrés; mais si ce qu'il enseigna est vérité ou mensonge, c'est ce qu'il ne nous appartient ni de savoir, ni de décider......... JésusChrist est-il Dieu lui-meme, ou n'est-il qu'un envoyé de Dieu? a-t-il existé de toute éternité, ou n'a-t-il commencé d'étre que du moment où il a paru sur la terre? Toutes questions que l'Ecriture ne résout point, et dont Dieu par conséquent a jugé à propos de nous interdire la connoissance. Eh! qu'importe en efjet à l'homme de pénétrer ces diverses circonstances? Effectivement il doit importer fort peu à un chretien de savoir si Jésus-Christ est Dieu; c'est là une question indifférente, et que l'Ecriture ne résout point! et c'est un ministre d'une communion chrétienne qui tient ce langage anti-chrétien, et qui, fermant les yeux sur la Bible, dont il invoque sans cesse l'autorité, ne veut point y voir la divinité de Jésus-Christ, gravée en caractères ineffaçables! Il n'ose prononcer si la doctrine de Socin est vraie ou fausse. Il excuse même volontiers ce sectaire. Le seul tort qu'il lui trouve, c'est d'avoir publié ses opinions comme des vérités; mais il ajoute aussitôt que ceux-là n'ont pas moins de tort qui soutiennent l'identité totale de Jésus-Christ

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avec Dieu, et son existence de toute éternité. Voilà donc Socin et ses adversaires mis sur la même ligne; de part et d'autre on donne dans l'exagération et dans l'excès; les ministres de Genève ont seuls rencontré un juste milieu en n'affirmant rien, et en restant sur cette question, comme sur bien d'autres, dans un doute profond, et dans une indifférence absolue. Et ces messieurs se félicitent de ce systême comme d'un mezzo termine habilement calculé! Eh! qu'ils fassent un pas de plus; le monde voit les défenseurs et les ennemis de la révélation aux prises les uns avec les autres. Les ministres feroient tort à leur impartialité en se déclarant nettement pour les uns ou les autres; de plus, ils éviteront bien des querelles en gardant le silence: ces questions sont si ardues; les décider est si hardi. Nous nous attendons donc qu'ils s'abstiendront de prononcer si Dieu a révélé une religion au monde; ils n'ont pas beaucoup de chemin à faire pour en venir là.

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La Lettre à M. Malan est toute rédigée dans cet esprit. L'auteur rapporte et approuve la profession de foi de la Compagnie des Pasteurs génevois, en 1758, à l'occasion de l'article Genève, inséré, par d'Alembert, dans l'Encyclopédie. Il ose dire que les expres sions de Verbe, d'Envoyé de Dieu, de Sauveur, de

Rédempteur, et autres que l'Ecriture applique à JésusChrist, sont toutes expressions figurées qui seroient contradictoires les unes aux autres, si elles devoient recevoir un sens littéral. C'est avec cette légèreté que parlent de la Bible ceux qui proclament son autorité, et qui prétendent ne s'en rapporter qu'à elle. Ils l'expliquent, ils l'altèrent, ils la mutilent, tout en protestant de la suivre dans sa pureté. Y auroit-il beaucoup d'injustice à trouver dans une telle conduite cette espèce d'hypocrisie que l'auteur de la Lettre reproche, sur un autre point, à M. Malan ?

Sur la fin, l'auteur revient à M. Malan, et le taxe d'orgueil, de désobéissance envers l'autorité, de procédés schismatiques. Il termine en s'excusant de garder l'anonyme, et en déclarant qu'il est laïque, et qu'il n'a point concerté cette réponse avec les ministres. Nous ne nous permettrons pas de révoquer en doute cette déclaration; cependant, il paroît qu'elle n'a pas persuadé tout le monde, et qu'on a cru voir dans cet écrit le ton d'un homme accoutumé à traiter les questions de théologie dans le goût qui a prévalu, depuis soixante ans, parmi les ministres de Genève.

M. Malan a répondu à l'anonyme par des Remarques sur l'écrit intitulé: Lettre à M. Masan.............; datées du Pré-l'Evêque, 22 février 1821, 11 pages in-8°. Il cherche dans ces Remarques à établir la légitimité de sa mission, et dit que sa conversion n'a pu lui ôter le cas ractère qu'il avoit reçu par sa consécration. Il n'a point désobéi au gouvernement, qui n'est pour rien dans les mesures prises contre lui par la Compagnie des Pasteurs. Il déclare qu'il ne s'attache ni à Calvin, ni à ses écrits, et oppose à l'anonyme, sur l'article de la divinité de Jésus-Christ, la confession de foi de Genève, en 1576. Il évite d'ailleurs d'entrer dans une nouvelle discussion sur un point sur lequel l'anonyme s'étoit fort étendu.

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Nous n'avons pas besoin de faire remarquer de nouyeau combien ces écrits rendent manifestes les progrès du socinianisme dans l'église de Genève; c'est le résul tat évident des faits et des ouvrages dont nous avons successivement rendu compte dans ce journal, relative ment à cette métropole du calvinisme. Malheureusement le même esprit iègne dans le reste de la Suisse et en Allemagne. On a entendu dernièrement, à Zurich, dans un sermon prononcé à l'occasion du jubilé de la réforme, parler des dogmes de la religion avec une légèreté dédaigneuse qui a révolté les plus modérés des pro

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