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dre compte du ret. livre, qui traite de l'esprit d'opposition nourri en France contre le saint Siége, et de ses causes. Il nous semble que ce livre doit éprouver moins de contradictions; et, si l'auteur y attaque les préjugés d'un corps autrefois puissant, et ceux d'une coterie jadis fort accréditée, ses observations, presque toujours aussi judicieuses et aussi vraies que fines et ingénieuses, doivent lui concilier le suffrage de tous ceux qui sont étrangers à tout esprit de corps ou de coterie.

M. de Maistre parle done. tour à tour, dans ce 1er. livre, du calvinisme, des parlemeus, du jansénisme, de Port-Royal, et des écrivains et des religieuses de cette maison. Suivous le rapidement dans ses jugemens sur ces divers points. Le calvinisme, né en France, y laissa toujours des impressions assez profondes; indépendamment de ceux qui adoptèrent entièrement ses doctrines, il n'y en eut que trop qui cédèrent, sans le savoir, à son influence, et qui puisèrent chez ses écrivains des opinions plus ou moins hardies. Un esprit d'opposition se forma; le saint Siége, et l'autorité en général, furent moins respectés. On chicana sur la réception du concile de Trente, et on imagina une distinction pour se dispenser d'adhérer à un grand nombre de ses décrets. En vain le clergé sollicitoit leur promulgation solennelle; on y opposa nos libertés, et dans cette occasion, comme dans quelques autres, on se servit de ce mot pour contrarier le vœu des évêques, et empêcher le bien de l'Eglise.

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La magistrature surtout se laissa engager dans cette route; son caractère distinctif et invariable, dit M. de Maistre, fut une opposition constante pour le saint

Siége. M. le comte Ferrand, dans son Esprit de l'Histoire, avoue que les cours souveraines n'avoient pu se tenir en garde contre le nouveau systême, et on s'en aperçoit assez en lisant les écrits de plusieurs membres du parlement de Paris, et en compulsant les arrêts de cette compagnie. L'esprit de ce corps parut se développer avec moins de mesure lors des querelles du jansénisme; l'opposition se rangea sous cet étendard. Bientôt on ne se contenta plus de harceler le saint Siége; on attaqua les évêques, toujours au nom de nos libertés; on supprima, on brûla même leurs Mandemens; on confisqua leur temporel; on usurpa ce qu'il y avoit de plus ecclésiastique et de plus spirituel dans leurs attributions; on rendit des arrêts pour ordonner d'administrer les sacremens; on déclara impie un ordre religieux que l'Eglise avoit proclamé pieux; enfin, il s'établit une lutte ouverte entre l'autorité ecclésiastique et les tribunaux chargés de rendre la justice, et ces longs débats ne favori sèrent que trop le parti qui en vouloit à la fois, et à l'Eglise, et aux parlemens.

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Le chapitre du jansénisme n'est pas le moins curieux. M. de Maistre paroît avoir bien connu cette secte remuante, tantôt dissimulée, tantôt hardie, et toujours dangereuse dans ses maximes, dans sa marche et dans son but. Voici comment il la dépeint:

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L'Eglise, depuis son origine, n'a jamais vu d'hérésie aussi extraordinaire que le jansénisme. Toutes, en naissant, se sont séparées de la communion universelle, et se glori fioient même de ne plus appartenir à une église dont elles rejetoient la doctrine comme erronée sur quelques points. Le jansenisme s'y est pris autrement; il nie d'être séparé; il composera même, si l'on veut, des livres sur l'unité, dont il démontrera l'indispensable nécessité. Il soutient, sans rou

gir et sans trembler, qu'il est membre de cette Eglise qui Panathématise. Jusqu'à présent, pour savoir si un homme appartient à une société quelconque, on s'adresse à cette même société, c'est-à-dire, à ses chefs, tout corps moral n'ayant de voix que par eux; et dès qu'elle a dit : Il ne m'appartient pas, ou il ne m'appartieni plus, tout est fini. Le jansénisme seul prétend échapper à cette loi éternelle: illi robur et æs triplex circa frontem. Il a l'incroyable prétention d'être de l'eglise catholique, malgré l'église catholique; il lui prouve qu'elle ne connoit pas ses enfans, qu'elle ignore ses propres dogmes, qu'elle ne comprend pas ses propres décrets, qu'elle ne sait pas lire enfin ; il se moque de ses décisions, il en appelle, il les foule aux pieds, tout en prouvant aux autres hérétiques qu'elle est infaillible, et que rien ne peut les excuser ».

Le caractère du jansénisme est empreint tout entier dans Port-Royal, dans cette maison fameuse, foyer de discorde et d'oppositions; réunion d'hommes ligués contre l'autorité, ayant un jargon à eux, changeant souvent de noms, formant un parti distinct, se plaignant toujours, argumentant, subtilisant, et contredisant sur tout. Jamais l'esprit de secte n'a paru plus manifestement que dans cette association mystérieuse et récalcitrante. On la trouve fidèleinent peinte dans le procès de Quesnel, imprimé sous le titre de Causa Quesnelliana; Bruxelles, 1704, in-4°. Là on l'y voit avec ses artifices, ses déguisemens de noms, sa caisse secrète, ses pamphlets, ses satires, et tous les autres caractères d'une faction véritable; et, si elle prétend récuser ce témoignage, quoique fortifié de tant de preuves, et appuyé sur une foule de lettres, de papiers et d'écrits, lisez les Lettres d'Arnauld; Nanci, 1727, 9 vol in-12. Vous y trouverez l'entière confirmation des faits cités dans le Causa, et vous ne pourrez vous dispenser d'y recon

noître cet esprit d'intrigues, cette manie d'opposition, cette taquinerie, ce langage mystérieux, ceś éternels travestissemens de noms qui exigent à chaque instant une clef que l'éditeur veut bien donner. Čes Lettres sont, pour quiconque les examine avec attention et de sang-froid, la plus forte preuve de la vérité des reproches et des griefs mentionnés dans le Causa Quesnelliana.

On cite en faveur de Port-Royal quelques hommes célèbres, et distingués par de grands talens; Pascal, Arnauld, Nicole, à la suite desquels viennent une foule de noms dont la plupart sont aujourd'hui oubliés. M. de Maistre examine le mérite et les services des trois coryphées : on le trouvera peut-être fort sévère à leur égard; mais, en vérité, quand on compare l'utilité réelle de ces écrivains avec la réputation qu'on leur a faite, on n'est plus aussi étonné du jugement de l'auteur sur ces personnages. Voyez la liste immense des écrits d'Arnauld; tous, à l'exception de quatre ou cinq, sont consacrés à soutenir et à éterniser de misérables querelles; voilà donc un homme qui a passé cinquante ans de sa vie à souffler» le feu de la division dans l'Eglise; l'Eglise lui doitelle beaucoup pour cet éminent service? Et ce que nous disons de lui peut s'appliquer, par proportion aux autres écrivains de la même école. Aigres et disputeurs dans la controverse, secs et glacés dans leurs livres ascétiques, toujours occupés de répandre des opinions proscrites, ils ont eu le malbeur de consumer leur vie dans ces travaux stériles ou dangereux. Ils ont pourtant, il faut le dire, produit quelques bons ouvrages; Abbadie, Sherlock, Leland, et quelques autres parmi les protestans, ont eu le même avantage.'

M. de Maistre consacre un chapitre entier à discuter les titres et les services de Pascal, et donne entr'autres son avis sur les Provinciales. Ceux qui admirent sur parole le trouveront peut-être exagéré dans son jugement sur ce livre fameux; mais, comme le remarque M. de Maistre, quand Voltaire et les évêques sont d'accord sur un ouvrage, il semble qu'on peut être de leur avis en sûreté de conscience. Or Voltaire disoit, en parlant des Provinciales, que tout le livre porte à faux. Le chapitre des religieuses de Port-Royal montre très-bien l'entêtement de ces filles qui se faisoient scrupule d'obéir à l'Eglise, et qui, par humilité, tenoient tête aux évêques. Enfin, le chapitre intitulé: Conclusion, est aussi fort piquant. L'auteur y apprécie la conduite de Louis XIV envers la secte; il y joint quelques anecdotes, une entr'autres par laquelle nous demandons la permission de finir cet ar ticle; elle concerne un conventionnel fort connu, le même qui avoit émis une opinion si douce dans le procès de Louis XVI, et qui, peu après, fut envoyé en mission dans une province nouvellement conquise. M. de Maistre, qui est de Chambéri, entendit, le 13 février 1793, ce conventionnel expliquer, dans la chaire de la cathédrale, à ses auditeurs, qu'il appeloit citoyens, les bases de la nouvelle organisation ecclésiastique. Vous étes alarmes, leur disoit-il, de voir les élections données au peuple; mais songez donc que tout à l'heure elles appartenoient au Roi, qui n'étoit, après tout, qu'un commis de la nation, dont nous sommes heureusement débarrassés. Débarrassés ; une si énergique expression est une nouvelle preuve à joindre à celles qui établissent ce que pensoit et ce que disoit dans le temps le sensible conventionnel sur le

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