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HARVARD COLLEGE

JUN 5 1888

LIBRARY.

Bright grad.

LIVRE QUINZIÈME.

CHARLES VI (SUITE).

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que

XV. Charles VI ne devait plus être le témoin de son règne. Il avait fallu pourvoir à la tutelle de ses enfants, et à la régence s'il mourait avant la majorité de l'aîné. Cette régence appartenait à son frère le duc d'Orléans. Mais tant qu'il vivait, ni le duc ni ses oncles ne devaient avoir de titres particuliers. Aussi la cour devint-elle un théâtre de cabales et d'intrigues, prélude de luttes sanglantes.

Le chef de tous ces princes, le plus puissant, le plus ambi- 、 tieux et le plus habile, était le duc de Bourgogne, Philippe le Hardi. Les ducs de Berry et de Bourbon acceptaient sa supériorité, et se laissaient dominer par lui. Le duc de Berry, vieilli de bonne heure, passait pour n'avoir plus qu'une passion, celle de l'argent. Le duc d'Orléans, jeune et d'un caractère léger, avait subi d'abord l'ascendant de Philippe le Hardi. Il ne tarda pas à lui disputer le premier rang, encouragé par un parti de jeunes seigneurs qui s'étaient attachés à lui. Chacun des deux rivaux s'efforça d'arracher au malheureux roi, durant ses intervalles lucides, des décisions favorables à ses prétentions personnelles.

Cette rivalité divisa la cour et inquiéta l'opinion. Ce qui est digne de remarque, c'est que le roi devint de plus en plus un objet de respect et de pitié, tandis que les princes portèrent la juste responsabilité d'un gouvernement peu populaire. Plus la guérison de Charles VI parut désespérée, plus on la désira comme le salut de la France. Les princes au contraire furent accusés par tout le monde; on leur reprocha l'augmentation des impôts, leur luxe, leurs prodigalités, les scandales d'une cour très-corrompue. On fit courir à leur sujet les bruits les plus absurdes, comme d'avoir causé par des sortiléges la maladie du roi. Au reste ces bruits, accueillis par l'ignorance publique, s'expliquent par la manière dont on traitait le malheureux

Charles VI. Comme les médecins l'abandonnaient, on admettait près de lui des empiriques et des charlatans. Ceux-ci entreprenaient sa guérison à leurs risques et périls.. On le livra ainsi à deux moines augustins, qui disaient avoir des secrets pour lui rendre la santé. Ils lui firent une opération dangereuse à la tête, et le mal s'aggrava. On les mit à la question. Ils avouèrent leur ignorance, furent dégradés de la prêtrise, condamnés comme sorciers, et écartelés aux halles de Paris.

En 1399, Henri de Derby, duc de Lancastre, souleva l'Angleterre contre Richard II, le renversa du trône et y monta à sa place. Cette révolution rendit quelque temps douteux le maintien de la trêve de 1396. On songea d'abord en France à reprendre la Guyenne; on savait les Aquitains attachés à Richard II, qui était né au milieu d'eux, et qu'on appelait communément Richard de Bordeaux. Comme ils faisaient difficulté de reconnaître le nouveau roi d'Angleterre, qu'ils traitaient d'usurpateur, on envoya le duc de Bourbon à Agen pour les solliciter de se donner à la France. Mais les villes de Bordeaux, de Bayonne et de Dax calculèrent qu'il était de leur intérêt de rester anglaises, à cause de leur commerce. « Nous avons, dirent-elles, plus de marchandises, de vins, de laines et de draps aux Anglais que nous n'en avons aux Français1. » Elles craignirent aussi de payer plus d'impôts si elles se livraient à la France. D'un autre côté, la noblesse se croyait liée par ses serments. En présence de ces sentiments si contraires à ceux qui avaient éclaté trente ans plus tôt dans les provinces voisines, il fallut renoncer à occuper le pays. On se contenta de donner à l'aîné des fils du roi le titre de duc de Guyenne, ce qui était une manière de déclarer que la France maintenait ses prétentions. On obligea aussi Archambaud de Grailly, frère du célèbre captal de Buch, à faire hommage pour le comté de Foix, dont il avait hérité depuis peu. Henri IV, ayant besoin de la paix pour s'affermir, tint peu de compte de l'hostilité impuissante qu'il trouvait dans le conseil de Charles VI, et confirma la trêve de vingt-huit ans.

L'Allemagne eut l'an 1400 une révolution presque semblable à celle de l'Angleterre. Les électeurs y prononcèrent la déchéance de Venceslas de Luxembourg, dont ils accusaient l'incapacité et la mollesse, et proclamèrent à sa place le comte palatin Robert ou Ruprecht, qu'ils jugeaient plus capable de 1 Froissart, liv. IV, C. LXXXI.

[1401]

LE DUC D'ORLÉANS.

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gouverner l'Empire et de le défendre contre les Turcs. Le duc d'Orléans, qui avait acquis de Venceslas le duché allemand de Luxembourg, voulut se faire le champion du prince détrôné, et dans tous les cas s'assurer la conservation du duché. Mais, arrivé à Reims, il apprit que Venceslas acceptait la sentence des électeurs. Il se contenta dès lors de mettre des garnisons dans les places du Luxembourg (1401).

Le duc d'Orléans, jeune, entreprenant et belliqueux, désirait faire la guerre. Il avait proposé de soutenir, puis de venger Richard II, en se fondant sur ce que ce prince était fiancé à une fille de France. En Allemagne, il avait embrassé le parti de Venceslas; en Orient, il s'était proposé de conduire une croisade. Mais partout il se trouvait en contradiction avec ses oncles. Il l'était également sur la question du schisme, car il tenait pour Benoit XIII, et c'était lui qui avait obtenu la levée du siége du château d'Avignon. Mécontent de cette opposition continuelle, il n'y vit qu'un aiguillon pour ses projets ambitieux. Il se fit donner par le roi, outre la ville et le comté d'Orléans qu'il possédait, plusieurs autres comtés, ceux de Périgord, de Dreux, de Valois et de Beaumont. Ces donations ne se faisaient guère sans soulever les plaintes des intéressés; car les pouvoirs particuliers qu'elles conféraient aux princes facilitaient les abus et les dilapidations, en gênant le contrôle des agents administratifs. Les Orléanais adressèrent des remontrances; mais on en tint peu de compte. Le duc de Berry se fit rendre de son côté le gouvernement du Languedoc; il est vrai qu'il n'y alla pas en personne; il y nomma pour lieutenant le comte Bernard d'Armagnac, son gendre, qui n'y était pas impopulaire comme lui.

Quand le duc d'Orléans revint du Luxembourg vers la fin de 1401', il ramena à Paris une partie de ses hommes d'armes. Le duc de Bourgogne, effrayé, s'empressa d'en faire venir à son tour. La ville, tout ouverte, sans murailles et sans milice urbaine, se trouva exposée au choc de deux armées qui s'observaient et grossissaient tous les jours. Le duc de Berry et la reine Isabeau de Bavière arrêtèrent cette première menace d'une guerre civile, en se jetant entre les deux princes rivaux. On obtint d'eux une réconciliation apparente; ils promirent de garder la paix et de licencier leurs troupes (janvier 1402).

Quelques mois après, le duc d'Orléans, profitant de l'absence de Philippe le Hardi et de l'influence que sa femme

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Valentine Visconti exerçait sur le roi, se fit nommer par Charles VI président des conseils généraux des aides et des finances dans toute la Langue d'oil, avec un pouvoir absolu et indépendant (18 avril 1402). Il se trouva par là maître de l'administration financière dans la plus grande partie du royaume, et put régler à son gré les états de dépense ou les budgets. On avait fait, en 1389 et en 1390, des ordonnances sur la manière dont ces états devaient être arrêtés chaque année. Ces ordonnances, pleines de sages dispositions, cessèrent d'être exécutées.

Le duc d'Orléans, à peine investi de ses nouveaux pouvoirs, décréta un emprunt forcé, auquel on assujettit même les membres du clergé, puis un impôt extraordinaire, pour lequel on n'admit également aucune exception. Philippe le Hardi protesta, fut appuyé par les autres princes, et écrivit au prévôt de Paris une lettre qu'il le pria de rendre publique. Les archevéques de Reims et de Sens joignirent leurs protestations aux siennes et défendirent le privilége du clergé. Le peuple, encouragé par cette opposition, murmura, surtout à Paris. Le duc d'Orléans se vit obligé de révoquer ses décrets. Le duc de Bourgogne fut replacé le 24 juin à la tête des finances, mais ses combinaisons financières n'eurent pas un meilleur succès. Il imagina de faire vérifier tous les contrats passés entre particuliers, pour imposer des taxes dans le cas où il y aurait abus ou lésion. Cette recherche parut si vexatoire qu'on y renonça presque aussitôt.

Ainsi les princes du sang furent les premiers auteurs des troubles qui ne tardèrent pas à éclater. La guerre qui suivit, a dit avec beaucoup de vérité M. Mignet, «ne fut point une résistance à l'administration royale; elle fut une dispute pour son exploitation. Les deux partis et leurs chefs recherchèrent également la possession de l'autorité et la direction des affaires sous le nom du roi, frappé de folie'. » Les complots et les révolutions qui en résultèrent furent préparés dans les hôtels d'Artois, de Nesle, de Bohême et d'Armagnac, dont les trois premiers appartenaient aux ducs de Bourgogne, de Berry et d'Orléans, et qui formaient comme autant de cours particulières autour de celle de Charles VI à l'hôtel Saint-Paul.

La composition du conseil avait déjà été l'objet de plusieurs édits. On le modifia encore en 1403. La présidence en fut donnée à la reine, malgré son peu d'aptitude aux affaires. On 1 Mignet, Formation territoriale et politique de la France.

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