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UNIVERSELLE

ET

REVUE SUISSE

CENT-VINGT-CINQUIÈME ANNÉE

TOME XCVIII

LAUSANNE

BUREAUX DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE
23, Avenue de la Gare, 23.

SUISSE: Chez tous les libraires.

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H. IMSAND, 3574 Corrientes.

1920

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NOV 1.7.1920

AP

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UN CENTENAIRE

LE GENEVOIS J.-P. VIEUSSEUX

ET L'UNITÉ ITALIENNE

(1779-1863)

Les Vieusseux ou Vieussieux sortent du Rouergue, où ils furent anoblis par le roi Charles VI (1380-1422). Au commencement du dix-septième siècle deux frères Vieusseux, fidèles au calvinisme, paraissent à Genève. L'aîné, Jean, épousa Jeanne Dufaure. Ils eurent six enfants, dont trois fils. Un de ceux-ci, Pierre, était qualifié à Genève de marchand drapier. Il fut admis à l'habitat le 27 octobre 1696, et à la bourgeoisie le 20 décembre 1702. Le 23 juin 1716, il s'allia à plusieurs des meilleures et des plus illustres familles de la République par son mariage avec Elisabeth Léger, qui lui donna douze enfants.

Un de ceux-ci, Jacques, le grand-père de Jean-Pierre, défendit Jean-Jacques Rousseau après la condamnation de l'Emile et du Contrat social. Il fut un des membres influents du parti des Représentants et, si la haine du parti adverse lui valut l'épithète de démagogue, il fut

surnommé l'Aristide de Genève par ceux qui avaient su apprécier sa clairvoyance et sa droiture, à preuve l'épisode suivant :

En 1766, quand, répondant à l'appel du gouvernement genevois, Louis XV et LL. EE. de Berne et de Zurich envoyèrent à Genève des plénipotentiaires afin d'y rétablir la concorde, Jacques Vieusseux fut, avec les De Luc et Etienne Clavière, des vingt-quatre commissaires chargés par la bourgeoisie de la représenter dans les pourparlers. Il fut un de ceux qui se montrèrent les plus obstinés à défendre ce qu'ils appelaient les vrais principes de la constitution de leurs pères. Si bien qu'un moment le bruit courut avec persistance que Louis XV, irrité, demandait sa tête.

D'Yvernois raconte que la vénérable Compagnie des pasteurs, sur le vœu des Conseils, rassembla un jour les vingt-quatre commissaires pour les conjurer de céder devant l'orage, et qu'elle eut la maladresse d'insister sur les dangers que couraient les défenseurs du peuple. Alors Vieusseux compara la sainteté du serment de citoyen avec l'acte pour lequel on le sollicitait :

<< Ministres, dit-il aux pasteurs, ministres d'une religion dont la morale est aussi pure que sont sublimes les récompenses qu'elle offre à la vertu, ne profanez-vous point ici votre caractère sacré en nous sollicitant de faire céder le cri de nos consciences à de misérables considérations humaines? L'esprit de cette religion sainte, que vous m'avez enseignée, est un esprit de liberté, rien ne m'engagera à trahir mes serments de chrétien, de citoyen, et à signer moi-même ma servitude et celle de ma postérité. Ma conscience est nette, je suis prêt à monter sur l'échafaud avec sérénité; et, si je survis aux coups dont on me menace, consolateurs des âmes, je

vous somme de vous approcher de mon lit de mort: vous jugerez des consolations que fournit aux chrétiens le sentiment d'avoir rempli leurs devoirs. >>

Ce doctrinaire irréductible en politique nous rappelle, par plus d'un de ses traits, Farinata degli Uberti, tel que Dante nous le présente dans son Enfer :

Ed ei s'ergea col petto e colla fronte

Come avesse lo inferno in gran dispitto.

(Il se dressait de toute la hauteur de sa poitrine et de son front et paraissait avoir pour l'enfer un souverain mépris.) — (Inf., X, 35.)

Du mariage de Jacques Vieusseux avec Suzanne Larguier, en 1745, naquirent six enfants. L'aîné, Pierre, né en 1746, entra à l'académie en 1760, fit des études de droit et exerça la profession d'avocat. Tel père, tel fils; il fit de la politique, ce qui lui valut d'abord d'être des Deux-Cents, puis d'être banni, comme son père, en 1783, pour avoir refusé le serment à l'Edit noir, contraire aux libertés populaires. En 1768 il quitta Genève pour s'établir à Oneille, en Ligurie, où son père avait une maison de commerce d'huile d'olives, fondée déjà vers 1680, sous la raison sociale Jacques Vieusseux & fils et Beauregard.

En 1772, il épouse Jeanne-Elisabeth, sa cousine germaine. De ce mariage naquirent douze enfants, parmi lesquels, en 1779, Jean-Pierre, dit Pedrino. Trois ans plus tard, son aïeul, banni de Genève par l'Edit noir, rejoignit la nombreuse famille de son fils Pierre, à Oneille. Ainsi Pedrino vécut dans un milieu de saine élévation morale, sous la direction d'un père à l'austérité douce, à l'intelligence éveillée et dont les connaissances étaient supérieures à celles requises par sa profession; sous l'influence de J. Vieusseux, ce noble vieillard à qui le nom

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