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tenait garnison en Locride, en Doride et en Phocide; coupant en deux parts la Grèce du nord, il séparait les Etoliens remuants et ambitieux de la Béotie et de l'Attique dégénérées, mais qui pouvaient encore être redoutables. Philippe menaçait plus directement l'Attique par la possession de l'Eubée, avec l'imprenable Chalcis, et du promontoire de Sunium. Il n'occupait dans le Péloponèse que des places sans importance, mais il tenait Corinthe, la clé de la péninsule. Maître ainsi de Démétrias, en Thessalie, de Chalcis, en Eubée, de Corinthe sur l'isthme, le roi de Macédoine se vantait de tenir entre ses mains les trois chaines de la Grèce.

Deux confédérations rivales se partageaient le reste de la Grèce l'une dominante sur le continent, l'autre dans la presqu'île ; l'une inféodée, par une politique funeste, à la Macédoine; l'autre hostile à cette monarchie avec un aveuglement plus funeste encore; l'une aristocratique, l'autre démocratique. C'étaient la ligue Achéenne et la ligue Etolienne.

L'Achaïe est cette partie du littoral du Péloponèse qui s'étend au nord de la presqu'île. Si l'on comprend que l'Arcadie forme, au centre du Péloponèse, un enchevêtrement de montagnes, dont les plus hauts sommets sont au nord de cette province, il est aisé de s'expliquer que les fleuves sortis de ces montagnes doivent se diriger de tous côtés, excepté vers le nord; et que, du côté du nord, l'Arcadie n'envoie à la mer que de simples torrents, nombreux mais isolés, parce que leur embouchure est trop voisine

de leur source pour qu'ils puissent se réunir, grossir leurs eaux en diminuant leur nombre et devenir ainsi de véritables fleuves. Chacun de ces torrents forme donc une petite vallée, qui s'ouvre directement vers la mer. L'ensemble de ces vallées, réunies entre elles par l'étroite lisière du rivage où elles aboutissent, forme l'Achaïe.

Ces conditions géographiques expliquent l'histoire de cette province. Chaque ville avait son territoire trop distinct pour n'être pas elle-même indépendante. Mais toutes ensemble étaient trop menacées par le péril commun d'une invasion, qui pouvait fondre sur elles par mer ou du haut des monts, pour n'être pas confédérées.

La ligue Achéenne, ainsi fort ancienne, mais longtemps plus religieuse que politique et surtout purement défensive, demeura obscure jusqu'à l'époque des guerres sanglantes qui suivirent la mort d'Alexandre. Mais Pausanias explique bien comment, par l'épuisement général du reste de la Grèce, l'Achaïe se trouva la plus forte des provinces: Sparte, vaincue à Leuctres et à Mantinée, était désormais contenue par Messène et Mégalopolis; Thèbes, détruite par Alexandre, venait à peine d'être rétablie par Cassandre. Athènes, épuisée par les longues guerres qu'elle avait soutenues, était opprimée par les Macédoniens. Au contraire, les Achéens, seuls entre tous les Grecs, n'avaient jamais subi ni tyrans, ni peste, ni guerres (1).

(1) Pausanias, VII, 6 et 7.

Aratus, le premier, donna un caractère national à la confédération, jusque-là purement provinciale, en y faisant entrer une ville non achéenne, Sicyone, sa patrie, arrachée au tyran Nicoclès. Peu à peu Corinthe et l'Arcadie, la plus grande partie du Péloponèse et une partie même de la Grèce du Nord, furent agrégées à la ligue. L'unité politique de la Grèce faillit alors se fonder; malheureusement, entre les factions qui divisaient toutes les cités, la ligue avait dù prendre parti; elle était aristocratique, et ce caractère lui faisait rencontrer partout, avec l'appui de l'aristocratie, l'inimitié de la démocratie.

Il est assez difficile, au premier abord, de s'expliquer pourquoi la confédération des Achéens était aristocratique; en d'autres termes, favorable aux riches. Tous les pouvoirs et toutes les lois émanaient d'une assemblée générale qui se tenait à Ægium, au printemps et à l'automne; tout homme libre avait le droit d'y assister, d'y parler, et d'y voter. Un conseil, formé des représentants des villes, rendait la justice et expédiait les affaires dans l'intervalle des assemblées générales. Un stratége, ou général, nommé pour un an, présidait le conseil, conduisait les armées et exerçait tout le pouvoir exécutif, avec l'assistance d'un hipparchos et d'un grammateus, sortes de ministres de la guerre et des affaires étrangères. Il n'y avait pas d'autres magistrats nécessaires, dans une confédération de villes libres qui n'avaient centralisé que leurs intérêts militaires et diplomatiques.

Dans cette constitution de la ligue Achéenne, où donc était l'aristocratie? Elle était d'abord dans certaines lois restrictives, dont un peu d'attention révèle l'importance. Tout homme libre était électeur, mais seulement à partir de l'âge de trente ans; premier gage donné au maintien des intérêts conservateurs. Ensuite l'élite de l'armée, formée de cavaliers qui s'entretenaient eux-mêmes, était nécessairement recrutée dans l'aristocratie. Enfin la magistrature gratuite et ruineuse du stratége ne pouvait être sollicitée et exercée que par un homme riche; quoique tous eussent le droit nominal d'y prétendre. Mais la prépondérance de l'aristocratie était surtout dans les mœurs. L'Achaïe avait eu le bonheur de vivre longtemps obscure et isolée : chaque famille et chaque maison n'y traînait pas, comme ailleurs et dans presque toutes les cités grecques, un héritage de rancunes politiques et de haines sociales. Elle renfermait des riches et des pauvres ; mais les riches étalaient moins de faste, et les pauvres, moins misérables, se sentaient moins d'envie au cœur. La richesse était surtout agricole; une aisance modeste était le lot d'un grand nombre. Les classes étaient moins tranchées. L'aristocratie conservait ainsi sa prépondérance naturelle et la conservait sans luttes. Le sénat, pouvoir souverain, était, quoique émané du vote populaire, entièrement aristocratique; et l'on conçoit que sa politique constante fut de faire triompher dans toute la Grèce le parti qu'il représentait.

Mais en face de l'Achaïe, de l'autre côté du golfe

de Corinthe, une autre confédération, non moins puissante, suivait une politique toute différente.

Entre Naupacte et les Thermopyles, un groupe trèstourmenté de hautes montagnes a formé de tout temps la région la plus déserte et la moins connue de la Grèce. Là se dressent des sommets que recouvre la neige une grande partie de l'année. Le mont Ghiona surpasse le Parnasse de cinquante-trois mètres, et s'élève à deux mille cinq cent douze mètres au-dessus du niveau de la mer. Point de routes à travers ces montagnes, point de villes dans leurs replis. Elles sont depuis trente siècles abandonnées à des bergers, qui n'ont pas d'histoire. Elles forment, entre la Grèce orientale et la Grèce occi lentale, une barrière qui ne sera jamais franchie. Elles ont arrêté les progrès de la civilisation qui brillait à Athènes et rayonnait sur Chalcis, Mégare, la Béotie, la Phocide. Elles ont laissé dans une barbarie profonde l'Etolien et l'Acarnanien, toujours ennemis entre eux, quoique également pillards et féroces.

Les témoignages unanimes de l'antiquité donnent une étrange idée des Etoliens. Thucydide (1) les dépeint comme des barbares et des brigands. Ils vivaient disséminés dans des villages, que séparaient de longues distances. Ils parlaient une langue ignorée du reste de la Grèce, et se nourrissaient, disait-on, de chair crue. On désignait en Grèce le brigandage par cette métaphore élégante: mœurs étoliques.

(1) Thucydide, I, 5; III, 94.

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