Habitants des vallées fertiles ou des montagnes arides, tous également méprisaient l'agriculture, et ne vivaient que pour la guerre et le pillage. Malgré ces mœurs insociables, les Etoliens étendirent leur influence politique plus loin que ne fit la ligue Achéenne, et leur confédération s'annexa des villes jusqu'en Asie. C'est qu'ils comptaient dans chaque cité des alliés, et un parti qui les appelait, quand ce parti devenait le plus fort: c'était le parti populaire, auquel les Etoliens apportaient l'abolition des dettes et l'exclusion des riches, quelquefois même le massacre des riches. Rien ne paraît d'abord plus semblable que les constitutions des deux ligues. Mais rien n'était plus différent que leur action, tant un peuple est ce que le font ses mœurs, et non ce qu'indiquent ses lois. Toute ville, même non achéenne, en entrant dans la ligue Achéenne, y était reçue sur le pied d'une égalité parfaite. Elle fournissait son contingent à l'assemblée générale, au sénat; le stratége pouvait être choisi dans son sein. Au contraire, une ville annexée à la ligue Etolienne recevait tout d'abord une garnison étolienne et un gouverneur étolien. Le parti populaire acceptait avec joie ce joug sous lequel il avait la satisfaction de voir courber au même niveau que lui l'aristocratie vaincue au lieu que l'aristocratie, dans les cités où elle dominait, cherchait, en s'unissant aux Achéens, des alliés, mais non des maîtres. Quelle que fût la force expansive de la confédération Etolienne, appuyée partout de la démagogie, elle n'eût pas réussi à empêcher les Achéens de fon der au moins l'unité politique du Péloponèse, s'il ne s'était trouvé dans la presqu'île une ville encore puissante, qui fut jusqu'au bout l'irréconciliable ennemie de la ligue aristocratique. Il était, paraît-il, dans la destinée de Sparte de perdre deux fois la Grèce, en s'opposant deux fois à ce que l'unité nationale pût s'y établir, au sommet d'une fédération de cités indépendantes. Sparte avait entravé les grands projets de Périclès et ruiné l'hégémonie athénienne. Elle allait cette fois briser la ligue Achéenne, plus libérale et mieux constituée que l'hégémonie athénienne. Au troisième siècle avant J.-C., la constitution de Lycurgue était tombée en dissolution. Les Spartiates, réduits à quelques centaines, n'étaient plus qu'une caste odieuse, regorgeant de richesses au milieu d'une misère extrême où languissait toute la nation. Deux hommes entreprirent de réformer la cité. Malheureusement l'un d'eux fut un utopiste et l'autre un démagogue. L'utopiste fut Agis. Il voulut remettre en commun tous les biens; mais il commença par donner les siens, qui étaient immenses. Il échoua néanmoins, et périt dans une réaction oligarchique. Le démagogue fut Cléomène; plus habile qu'Agis, et moins honnête, il commença par former sans bruit une armée dévouée à ses vues, puis, quand il fut sûr de ses forces, il déclara la guerre à la ligue Achéenne, et, dans tout le Péloponèse, appela les pauvres au partage des biens et au pillage des riches. Aratus était alors à la tête des Achéens. Serré de près par l'armée de Cléomène, il vit la faction démagogique à la veille de triompher, et de bouleverser la société. Il eut peur, et fit ce que ne doit jamais faire un bon citoyen, ce que n'eût jamais fait un politique plus clairvoyant, sachant bien qu'un pays qui ne peut se sauver lui-même des dangers qu'il recèle en luimême, est un pays que rien ne sauvera. Aratus appela l'étranger. Antigone Doson, roi de Macédoine, accourut avec joie; il mit garnison dans Corinthe, battit Cléomène à Sellasie, entra dans Sparte et y balaya la faction démagogique. Cléomène s'enfuit en Egypte, où il périt. Mais la ligue Achéenne était désormais liée à la Macédoine, soumise à son influence, asservie à sa politique et Sparte restait néanmoins un foyer démagogique, toujours prêt à allumer l'incendie dans le Péloponèse. Antigone avait à peine quitté la Péninsule, qu'un tyran s'élevait dans Sparte, Machanidas, homme habile, intelligent, résolu, qui sut recueillir l'héritage de Cléomène, et rétablir le parti vaincu à Sellasie. Il chassa, ou fit périr toute l'aristocratie; il appela à lui tous les pauvres, tous les mécontents, tous les hilotes affranchis, leur distribua les terres, les richesses; et, fondant sa tyrannie sur leur reconnaissance intéressée, il établit un pouvoir si solide, que ce pouvoir lui survécut; et que le jour où Philopœmen tua Machanidas de sa propre main, un autre tyran, Nabis, s'éleva pour le remplacer, et régna quinze ans par les mêmes moyens. Tel était l'état de la Grèce, lorsque Philippe con çut le projet d'intervenir dans la querelle de Rome et d'Annibal. D'un côté, une aristocratie honnête, mais timide; et de l'autre, une démagogie sans frein et avide à la curée : les deux partis également prêts à appeler à eux le secours des étrangers. D'immenses ressources gaspillées dans des luttes misérables; nombre d'hommes remplis d'intelligence, de talents, de bravoure, qu'ils usaient à de mesquines entreprises on peut ajouter qu'il n'y avait plus de religion, plus de mœurs, plus de probité; surtout plus de patriotisme. Une autre cause d'affaiblissement, plus funeste encore, était dans l'émigration continuelle qui entraînait hors de la Grèce, à Pergame, à Antioche, à Alexandrie, des hommes qui désespéraient de trouver dans leur patrie l'emploi de leurs talents. Alexandre, en conviant la Grèce à helléniser l'immense Asie, avait donné le signal et ouvert la voie; le mouvement ne s'arrêta plus, servi par l'ambition inquiète, l'ardeur à s'enrichir, et le dégoût que commençait à inspirer la patrie, consumée par les luttes sociales. Tous les ministres, tous les généraux, tous les ambassadeurs, en un mot tout le gouvernement était grec chez les successeurs d'Alexandre, autour de Philippe, des Séleucides et des Ptolémées. Cette diffusion de l'élément hellénique produisit un résultat considérable et inattendu; tout le bassin de la Méditerranée reçut la civilisation grecque et ainsi se prépara l'unité du monde romain; Rome prit tout en prenant la Grèce; mais en se donnant à l'univers, la Grèce s'était épuisée elle-même. Cependant, les événements se précipitaient en Italie. Quand la nouvelle du désastre de Cannes passa la mer, Philippe sortit de l'inaction attentive, où il s'était tenu quelque temps, et, selon l'expression de Tite Live, il pencha du côté où penchait la fortune (1). Des députés furent envoyés au camp d'Annibal, et conclurent un traité d'alliance avec les Carthaginois. Philippe avec deux cents voiles devait passer en Italie et ravager les côtes. Mais les ambassadeurs furent pris en mer au retour par la croisière romaine, et envoyés prisonniers à Rome, avec le traité qu'ils portaient. Rome agit avec sa vigueur ordinaire; on doubla l'effectif de la flotte dans l'Adriatique, et l'on décida qu'au premier mouvement de Philippe, sans l'attendre en Italie, on porterait la guerre en Macédoine. C'était tenir un bien fier langage au lendemain de Cannes; mais Rome ne menaçait jamais en vain; et Philippe l'apprit à ses dépens, seize années plus tard. Philippe conclut un autre traité avec Annibal, par des ambassadeurs, qui, plus heureux que les premiers, échappèrent aux Romains. Mais presque en même temps, ceux-ci prenaient pied en Grèce, par l'alliance qu'ils nouaient avec la ligue Etolienne. Dans l'état désespéré où étaient alors leurs affaires, ils ne craignirent pas de s'appuyer sur le parti démagogique, auquel ils devaient plus tard faire partout, mais plus qu'ailleurs en Grèce, une guerre (1) Tite Live, XXIII, 33. |