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conde édition, s'il n'eût fallu, pour y satisfaire, plutôt écrire un autre livre que corriger celui-ci.

On s'est plaint que l'auteur ait trop rarement puisé aux sources épigraphiques, si abondantes pour l'époque gréco-romaine. Certes nous n'ignorions pas de quel copieux trésor de détails nous aurions pu grossir et enrichir notre livre, en usant davantage des travaux de tant d'éminents érudits, qui depuis trente ans ont renouvelé ou créé l'archéologie grecque. Mais qu'avions-nous prétendu faire? Nous essayions (le premier en France) de tracer le cadre et l'esquisse d'une histoire de la Grèce romaine. Or, malgré tous les progrès accomplis dans notre temps par la science archéologique, malgré les immenses services rendus par elle à l'histoire, nous pensions que la matière d'un récit général, sobre et court, vivement tracé, se trouve encore dans les historiens, dans Polybe, Tite-Live, Strabon, Plutarque, Pausanias, Dion Cassius, Appien, plutôt que dans les inscriptions.

Lorsque ce livre parut, il y a quatre ans,

quelques personnes félicitèrent l'auteur, et d'autres le blâmèrent d'avoir, en l'écrivant, quelquefois songé aux évènements et aux hommes de son temps et de son pays. Ni l'éloge ni le blâme n'étaient mérités : une telle préoccupation était bien loin de notre pensée. Aussi, quoique les circonstances aient beaucoup changé depuis quatre ans, nous ne voyons rien à changer dans le jugement que nous portions alors sur les fautes qui ont fait perdre aux Grecs leur indépendance politique. Nous croyons toujours que cette indépendance a péri sous les coups de l'étranger, parce que les partis qui divisaient la nation aimèrent mieux périr séparément que vaincre ensemble.

HISTOIRE

DE LA GRÈCE

SOUS LA DOMINATION ROMAINE

CHAPITRE PREMIER.

PREMIÈRE GUERRE ENTRE ROME ET LA MACÉDOINE.

(217-205 av. J.-C.)

La conquête de la Grèce a coûté aux Romains soixante et dix ans d'efforts; et n'a pas été aussi aisée qu'on le croit généralement. La Grèce, à la veille de sa chute, était encore très-forte; elle avait une population compacte de trois à quatre millions d'habitants; son sol se prêtait merveilleusement à une guerre défensive qu'elle eût pu rendre interminable. Impuissante à agir au dehors par les armes, elle pouvait rester invincible chez elle, au moins dans les limites du Péloponèse. Enfin, elle avait partout des alliés; Rome, des ennemis partout: en Asie, à Carthage, en Espagne. La cause de la Grèce n'était donc pas désespérée. Montesquieu ne s'y est pas trompé; contre

la plupart des historiens, il croit « que la Grèce était redoutable par sa situation, la force, la multitude de ses villes, le nombre de ses soldats; sa police, ses mœurs, ses lois; elle aimait la guerre; elle en connaissait l'art, » et il ajoute : « elle aurait été invincible, si elle avait été unie (1). »

Là se trouve, en effet, l'explication de sa défaite; et tout le monde sait bien que la Grèce périt par ses funestes divisions. Mais ce fait si connu a lui-même besoin d'être éclairci. On croirait, à tort, qu'il régnait entre les cités des haines de races et des rivalités permanentes. Le temps et d'autres passions plus violentes avaient apaisé ces animosités traditionnelles, qui excitaient, deux siècles auparavant, la guerre du Péloponèse.

La période que nous allons étudier offre un spectacle tout différent. Alors, le caprice des alliances, bouleversées sans cesse, rapproche pour un jour . deux villes, ennemies la veille, sans les lier pour le lendemain; et jette chaque cité, tour à tour, dans les partis les plus contraires. C'est qu'il y a désormais non plus deux races en Grèce, mais deux factions dans chaque ville, qui s'y disputent le pouvoir. Aussitôt que l'une d'elles devient maîtresse, avec une rigueur inexorable, et dénuée de tout scrupule patriotique, elle brise les alliances engagées; elle va chercher dans les autres cités l'appui de la faction semblable, et déclare la guerre à la faction.

(1) Considérations, etc., chap. V.

rivale. Ainsi la Grèce a péri, comme on le répète souvent, par la division; non pas, comme on le croit, par l'hostilité des villes entre elles; mais par l'acharnement des factions qui déchiraient chaque ville en particulier, et mettaient en présence, dans toutes les agoras, deux partis, ou plutôt deux armées ennemies; lesquelles s'appelaient encore, par tradition, les aristocrates et les démocrates; mais qui n'étaient en réalité que les riches et les pauvres. La politique n'était plus qu'un prétexte dans cette lutte toute sociale. A la fin du troisième siècle avant Jésus-Christ, les constitutions aristocratiques ou oligarchiques étaient depuis longtemps partout tombées en désuétude. Tous les hommes libres étant égaux, l'esclave ne comptant pas encore, la démocratie pure régnait de fait dans tous les Etats. Mais l'égalité politique n'avait pas guéri l'inégalité sociale; elle en avait seulement rendu plus sensible l'inévitable amertume; et la lutte, assoupie entre la noblesse effacée et le peuple vainqueur, s'était réveillée entre les riches et les pauvres ; c'est-à-dire entre ceux qui, possédant quelque chose, voulaient le garder; et ceux qui ne possédant rien, voulaient tout prendre.

Malgré le retour possible de luttes semblables dans le monde moderne, il faut convenir que notre état social est aujourd'hui mieux armé contre leurs désastreuses conséquences. Le travail, source première de toute richesse (et ce n'est pas là une banalité morale, c'est le principe même et le mieux démontré de la science économique), le travail est au

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