Page images
PDF
EPUB

acharnée. Deux hommes appuyèrent leurs propositions d'alliance devant l'assemblée des Etoliens; ils se nommaient Scopas et Dorimaque. Le premier était stratége; tous deux, selon Polybe, étaient des hommes perdus de dettes, que leurs concitoyens n'avaient élevés au pouvoir que pour faire établir légalement par eux l'abolition des dettes. Par haine contre les Achéens, alliés du roi de Macédoine, les Etoliens envoyèrent des ambassadeurs à Rome; un traité d'alliance offensive et défensive y fut conclu, et le texte en fut inscrit dans le temple de Jupiter Olympien et au Capitole (1).

Rome et les Etoliens trouvèrent un autre allié en Grèce, le tyran de Sparte, Machanidas. En vain, une ambassade acarnanienne alla conjurer les Lacédémoniens de refuser leur appui à ce peuple étolien qui venait d'appeler l'ennemi commun en Grèce; en vain, Lyciscos, chef de cette ambassade, dans un discours émouvant que nous a transmis Polybe, supplia les descendants de Léonidas d'avoir pitié de la Grèce, et de repousser une alliance dont il peignait à grands traits l'infamie. Déjà les Etoliens, assistés des Romains, étaient entrés dans Anticyre; ils avaient réduit tous les habitants en esclavage; ils avaient gardé la ville, et les Romains avaient emmené les enfants et les femmes, pendant que les Etoliens s'attribuaient le sol et les maisons! Telles étaient, en effet, les conditions du traité qui unissait Rome à

(1) Polybe, XIII, 1. Tite Live, XXIV, 40; XXVI, 24.

l'Etolie. Il n'était par un Grec qu'elles n'eussent dû indigner. Sparte les accepta; devenue l'instrument docile d'un tyran démagogue, elle se jeta nécessairement dans l'alliance des Etoliens, et l'ardeur factieuse fit taire les derniers scrupules du patriotisme (1).

La guerre fut longue, acharnée, indécise. Philippe, qui avait promis d'envahir l'Italie, n'avait qu'une flotte misérable; il fut chassé de la mer par les Romains. La prise d'Anticyre fut vengée par celle de Thermus, capitale des Etoliens, et par la victoire de Lamia; la ligue achéenne combattait avec le Roi; et Machanidas périt de la main de Philopomen. Mais la flotte romaine saccagea les côtes de la Grèce; Egine prise menaça Corinthe; Oréos emporté tint Chalcis en échec; et le but des Romains fut atteint, puisque Philippe, retenu en Grèce, n'avait pu venir donner la main à Annibal. A la fin le roi comprit sa faute, mais non qu'il était trop tard pour la réparer. Il retourna en Macédoine presser la construction de cette flotte, qu'il avait, huit années auparavant, promise au vainqueur de Cannes. Rome alors rassurée, se retira de la lutte, et laissa traîner en longueur une guerre qui lui devait profiter, quel qu'en fùt le vainqueur. Elle savait que Philippe ne pourrait pas franchir l'Adriatique, avant qu'Annibal fût chassé d'Italie. Elle savait encore, et c'était là pour elle une précieuse garantie de l'avenir, que les fautes militaires

(1) Polybe, IX, 32.

de Philippe, et plus encore les excès de sa conduite, avaient peu à peu détaché de lui la Grèce, et surtout le parti aristocratique.

Roi absolu d'une nation chez laquelle tous les sujets étaient égaux sous un seul maître, Philippe, en Grèce, ne pouvait être que par accident le chef d'une aristocratie à la fois libérale et indépendante, que la reconnaissance seule avait liée aux Macédoniens depuis qu'ils avaient, avec elle, vaincu les démagogues à Sellasie. Le souvenir de cette alliance avait seul dicté la conduite des partis pendant la guerre contre les Romains. Quand une tradition politique à peu près passable, ou seulement possible, est constituée, un parti aristocratique et conservateur hésitera toujours à la renverser, parce qu'il se défiera de ce qui pourrait la remplacer et des dangers inconnus d'une révolution; au contraire, le parti démagogique cherchera toujours à la détruire, étant convaincu que le plus important c'est de renverser ; comme le premier est convaincu que le plus sûr c'est de maintenir. Il est facile ainsi de comprendre pourquoi le jour où les Romains avaient paru en Grèce, comme les destructeurs d'un état politique institué presque régulièrement sous le protectorat de la Macédoine, ils avaient eu contre eux tout le parti conservateur; tandis que la démagogie, c'est-à-dire la ligue étolienne, et Sparte, sans compter dans chaque cité le groupe nombreux des débiteurs obérés et des mécontents ambitieux, leur tendait les bras, les appelait en Grèce, et prenait les armes pour eux.

Mais pendant toute la durée de la guerre, Philippe sembla prendre à tâche d'indigner l'aristocratie par l'infamie de ses mœurs, et de l'offenser cruellement par l'insolence de ses manières. Par calcul ou par inclination, il fit de publiques avances au parti populaire. On le vit, aux fêtes d'Argos, déposer le diadème et la pourpre, pour se mêler à la populace : affectant d'être libéral, dit Tite Live, pour être plus licencieux (1). Les plus illustres familles souffrirent de ses excès et de ses débauches. Même on l'accusait tout bas d'avoir fait empoisonner le grand stratége des Achéens, Aratus, dont les conseils importunaient son humeur despotique. Ces griefs, auxquels la crainte et la nécessité imposaient encore silence, devaient rapidement s'aigrir jusqu'à tourner contre la Macédoine les armes de ses alliés achéens.

La première guerre entre Philippe et Rome finit l'an 205 avant Jésus-Christ. La mort de Machanidas avait fait réfléchir les Etoliens, qui perdaient en lui leur meilleur allié. La lutte durait depuis dix ans : · Rome en avait tout le profit politique; les Etoliens en supportaient tout le poids. Las de ce rôle, ils acceptèrent une paix séparée, qui venait d'être conclue, quand un renfort considérable leur arriva de Rome, avec Sempronius (2). Le sénat se montra vivement irrité en apprenant que les Etoliens avaient traité. Mais en Italie on était tout à l'expédition

(1) Tite Live, XXVII, 31. (2) Tite Live, XXIX, 12.

d'Afrique; et l'on songeait alors à Carthage plus qu'à l'Orient. Rome fit la paix avec Philippe. La stérilité des opérations militaires accomplies depuis dix ans s'accuse dans le traité, qui remit à peu près toutes choses dans l'état où elles étaient avant la guerre. Mais cette guerre, qui avait amené les Romains en Grèce pour la première fois, n'en eut pas moins, au point de vue politique, une importance considérable. Rome connaissait désormais l'état social de la Grèce et la faiblesse où les factions jetaient ce malheureux pays. Il avait suffi qu'une flotte romaine parût dans les eaux grecques pour aggraver encore le mal, en créant un parti romain en face du parti macédonien. Dès ce jour, la querelle sociale cesse d'être seulement intérieure et domestique; et l'intervention étrangère la voue à un désastreux dénouement. Chaque faction veut se fortifier de l'appui qu'offrent à l'envi Philippe et les Romains; et tous se préparent à appeler du dehors un allié, ou même un maître, pour écraser l'adversaire intérieur. De quelque côté que penchât la victoire, la Grèce ne pouvait donc échapper longtemps à la servitude.

« PreviousContinue »